L'accès aux ressources francophones

Christiane Pollin

La Bibliothèque publique d’information (Bpi) poursuit sa politique de coopération avec les bibliothèques municipales à vocation régionale. Elle organisait, les 22 et 23 novembre 2001 à la Bibliothèque francophone multimédia (Bfm) de Limoges, un colloque international auquel assistaient une petite centaine de bibliothécaires et de spécialistes de la francophonie ; on notait cependant, comme l’a regretté le représentant du ministère des Affaires étrangères, la faible représentation des pays du Sud.

Pôle associé de la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour le théâtre et la poésie francophones, la Bfm était toute désignée pour accueillir ces débats. Dépositaire d’un fonds qui réunira, à terme, 40 000 à 50 000 titres, elle recueille l’essentiel de la production littéraire francophone, le terme recouvrant ici « les ouvrages écrits directement en français, soit par un auteur étranger, soit par un auteur français pouvant se réclamer à juste titre d’une double appartenance culturelle. »

Cette définition de la littérature francophone a son importance. Elle varie notablement d’un établissement ou d’un pays à l’autre et induit, de ce fait, une troublante disparité dans ce que recouvrent les collections. Si la Bfm de Limoges exclut de ce fonds spécifique, et on le comprend, la littérature hexagonale, ce n’est pas le cas à la Grande bibliothèque du Québec où la notion de francophonie est beaucoup plus large.

La BnF distinguait, à l’origine, dans le « fonds français », les ouvrages qui concernaient les anciennes colonies ; il s’agit maintenant de « littérature d’expression française » sachant que la question ne se pose pas dans les mêmes termes selon qu’il s’agit de littérature proprement dite ou d’autres domaines disciplinaires. La Bpi, comme de plus en plus de bibliothèques publiques en France, développe des fonds de « français langue étrangère ». Quant aux Archives nationales du Sénégal, elles conservent, dans les « Senegalia », les publications des auteurs sénégalais ou éditées au Sénégal ou concernant le Sénégal et plus généralement l’ancienne AOF (Afrique occidentale française).

La normalisation de l’accès

Témoin de la richesse et de la diversité de la francophonie, mais aussi de sa vitalité, cette appréciation multiple des contenus ne va pas simplifier la tâche de ceux qui rêvent de faciliter l’accès à ces ressources et donc de le normaliser. D’autant que leur classement et leur signalement dans les catalogues font aussi l’objet de traitements divers… Si les normes internationales existantes sont précieuses, leur origine anglo-saxonne ne va pas sans poser quelques problèmes. Isabelle Dussert-Carbone fait ainsi remarquer que la classification Dewey ne reconnaît la francophonie que du point de vue des relations internationales ; il ne sera possible de la faire ressortir que précédée d’une notation géographique. L’indexation Rameau est une traduction québécoise que l’université de Laval a effectuée à partir de l’outil créé par la Library of Congress.

La Direction du livre et de la lecture a, quant à elle, participé à la traduction en français de la norme Z39.50 : on sait en effet que ce protocole permet l’échange de données bibliographiques. Elle encourage également l’évolution des métadonnées Unimarc, ce qui permet d’intégrer progressivement par exemple, dans les codes de langues, les langues de France qui n’y figuraient pas, alors que l’on trouve toutes les langues amérindiennes.

Peut-on espérer disposer un jour d’un portail des ressources francophones ? Faut-il envisager la création d’un métamoteur de recherche de type Copernic pour accéder à tous les catalogues en ligne ? Il faut s’en donner les moyens si, comme l’affirme Lise Bissonnette, « les bibliothécaires et les lecteurs sont les utilisateurs les plus intelligents d’Internet ». Enthousiasme tempéré par Jacques Chevrier, directeur du Centre international d’études francophones à la Sorbonne, qui fait justement remarquer le sous-équipement des pays du Sud. Le rôle d’Internet ne peut être surestimé alors que d’importants territoires n’accèdent encore que de façon aléatoire à l’électricité.

Pour sortir du débat techniciste, finalement rassurant, il faut oser aborder le problème culturel. Ces littératures mal définies, aux limites incertaines, longtemps considérées comme mineures ou « connexes » ont accédé à la majorité. Il s’agit maintenant de les faire connaître, étudier, aimer.

Pour cela, le volontarisme ne manque pas. L’enjeu est de taille : la promotion de la langue française passe non seulement par la constitution de collections mais aussi et surtout par leur valorisation. Chacun y travaille avec plus ou moins de conviction et cela peut aller jusqu’au militantisme, le mot est prononcé. Depuis la BnF qui présente des choix de livres sur des thèmes du type « Voyages en Afrique » pour faire découvrir des auteurs peu connus, jusqu’à la Grande bibliothèque du Québec qui fonde tous ses espoirs sur l’architecture électronique qu’elle met en place, toute la panoplie des outils bibliothéconomiques est mise à contribution. Seule la Bibliothèque nationale de Suisse affiche, multilinguisme oblige, une neutralité qu’elle revendique : le respect des langues minoritaires lui interdit tout militantisme francophile. Le français est en effet surreprésenté dans ses collections en raison de la suprématie historique de Lausanne et Neuchâtel dans l’édition et la diffusion du livre.

Les grands opérateurs

Quant aux grands opérateurs, ils relèvent tous de l’Organisation internationale de la francophonie, ce qui leur permet de travailler en synergie et de donner une cohérence à leurs actions de promotion. Opérateur principal, l’Agence intergouvernementale de la francophonie, créée en 1970 à l’initiative de trois chefs d’États africains, représente aujourd’hui 51 pays et 170 millions de francophones. Entre autres activités, elle propose un centre de ressources documentaires qui a le mérite de recueillir la littérature grise. Elle assure également la formation de bibliothécaires et de documentalistes et encourage le développement des logiciels libres pour favoriser l’accès des pays pauvres à Internet. Les autres opérateurs sont TV5 diffusée sur les 5 continents, l’université Senghor d’Alexandrie destinée à la formation continue des cadres supérieurs, l’Association internationale des maires francophones et l’Agence universitaire de la francophonie. Cette Agence, remarquablement active, diffuse des cours en français auprès de ses 400 universités-membres, anime des réseaux de chercheurs et favorise la constitution de ressources francophones pour les pays du Sud.

Certains États mettent en œuvre des politiques incitatives, qu’il s’agisse de soutenir la production éditoriale nationale ou son exportation. Ainsi les bibliothèques publiques belges sont-elles tenues d’avoir dans leurs fonds au moins 10 % de livres d’auteurs ou d’éditeurs belges. La France encourage la diffusion du livre français à l’étranger grâce à un large éventail d’aides dispensées par le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère des Affaires étrangères.

Le premier objectif est de soutenir l’exportation de livres édités en France vers les pays francophones ; ils représentent actuellement 60 % des exportations de livres français dans le monde et concernent essentiellement l’édition scolaire, mais on note une baisse des exportations vers les pays qui connaissent des difficultés économiques. Les aides passent notamment par des programmes d’abaissement des prix qui permettent, par exemple, aux étudiants d’une vingtaine de pays francophones du Sud d’acheter leurs manuels universitaires à 50 % du prix en France. La plupart des pays francophones émergents bénéficient de ces programmes qui encouragent, par la même occasion, les librairies locales. Grâce à France édition et à la Centrale de l’édition, soutenues par la Direction du livre et de la lecture, les éditeurs peuvent alléger leurs frais de transport et d’assurance. Le Centre national du livre prend en charge 50 % des fonds en langue française que commandent les librairies à l’étranger.

Soutenir les partenariats

L’avenir est au soutien de partenariats entre éditeurs français et éditeurs de pays francophones de façon à favoriser les publications locales, adaptées aux besoins de chaque pays, diffusées par des réseaux de libraires professionnels formés. L’édition française a intérêt à soutenir cette évolution qui ne peut qu’enrichir la production francophone mondiale, y compris en facilitant l’importation de livres provenant des pays du Sud.

Avec des hauts et des bas, la francophonie résiste, brave petite chèvre combative, face au grand méchant loup anglo-saxon. Et ce n’est manifestement pas un combat d’arrière-garde, si l’on en juge par l’étonnante vitalité dont elle fait preuve, malgré l’abandon à l’anglais de pans entiers de domaines scientifiques. C’est sans doute sa bi-, voire poly-culturalité qui la rend aussi dynamique mais aussi insaisissable, véritable casse-tête pour les catalogueurs et donc pour les chercheurs. Mais peu importe. Servies par des réseaux de diffusion déjà opérationnels ou en projet, les ressources francophones seront toujours plus accessibles par leurs contenus que leur dimension linguistique, et c’est sans doute un signe de maturité.