Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux

Un demi-siècle d'existence et d'activités

Élizabeth Giuliani

Pour fêter les cinquante ans de sa naissance, le 23 juillet 1951 à Paris, l’Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux (AIBM, cf. encadré) a voulu réunir son congrès annuel (le 19e) en France, du 8 au 13 juillet 2001. Le groupe français 1 de l’Association, chargé de préparer et d’organiser la manifestation, a choisi Périgueux pour accueillir une rencontre à la fois ordinaire – une réunion internationale se tient ainsi chaque année dans l’un ou l’autre des 45 pays membres – et exceptionnelle : célébrer un demi-siècle d’existence et d’activités.

Chaque année, au long de cinq journées d’ateliers restreints ou de séances publiques, les différents acteurs de la documentation musicale font le point sur les sujets d’actualité ou de préoccupation de leurs métiers. Ce « programme scientifique » est préparé par le bureau de l’Association et confié aux présidents des différents groupes qui la constituent. Car la très grande diversité des bibliothèques musicales est représentée par cinq branches professionnelles 2, tandis que la complexité de leurs activités se retrouve dans des groupes de travail et des commissions spécialisées 3. En 2001, comme tous les trois ans, la conférence internationale avait le statut de congrès et valida, en assemblée générale, l’élection d’un nouveau président et de vice-présidents 4.

Collecter, préserver, faire connaître, donner en consultation… pour des musicologues, des musiciens, des mélomanes, le grand public… des œuvres de musique ou des écrits sur de la musique savante, populaire, traditionnelle, ancienne, classique, contemporaine, sous forme manuscrite, imprimée, sonore, audiovisuelle…, voilà qui suppose qu’on se répartisse les tâches, qu’on se communique les informations et qu’on échange des ressources. Certaines thématiques sont traitées régulièrement lors de chacune de ces rencontres annuelles.

Inventaire et signalement

Il a ainsi été fait le point sur les entreprises collectives d’inventaire et de signalement de documents à contenu musical auxquelles l’association participe, répertoriant les éditions musicales et les ouvrages de théorie musicale publiés jusqu’en 1850, les écrits sur la musique parus depuis 1967, les collections d’images de musiciens, d’instruments ou de sujets musicaux, les articles publiés dans la presse musicale du XIXe siècle 5. Et depuis la dernière conférence, tenue à Édimbourg en 2000, une organisation analogue a été mise en place pour recenser des fonds d’archives musicales (correspondances, documents de travail, manuscrits autographes, etc.). Toutes offrent aujourd’hui un accès en ligne ou sur cédérom que l’on pouvait évidemment tester à Périgueux…

Les normes, les règles ou les usages établis en matière de traitements bibliographiques sont, de même, examinés en commun afin d’être adaptés. L’AIBM (cf. encadré) est en effet partenaire du programme « Contrôle bibliographique universel et MARC international » (UBCIM) de l’IFLA, destiné à instruire les questions relatives aux contenus et documents musicaux. Des évolutions nécessaires à apporter au format UNIMARC ont ainsi été discutées, en particulier pour l’accès aux informations sur les distributions instrumentales et vocales d’exécution. Les solutions mises en œuvre par différents centres de documentation musicaux en France (Centre de documentation de la musique contemporaine-CDMC, Médiathèque pédagogique, Institut de recherche et coordination acoustique-musique-IRCAM…) ont fait l’objet d’une présentation.

Pour assurer – et souvent, hélas ! restreindre – les usages de ces documents musicaux (la consultation sur place d’originaux ou à distance de copies, le prêt, la reproduction par photocopie, la diffusion publique, etc.), les prescriptions législatives et réglementaires de la propriété intellectuelle et artistique doivent être connues dans leur diversité (le monde anglo-saxon du copyright s’opposant au monde européen du droit d’auteur) si, ensemble, on veut travailler à les faire évoluer. Une table ronde a réuni divers acteurs de la chaîne documentaire et musicale, des compositeurs aux bibliothécaires-usagers, en passant par les producteurs phonographiques et les éditeurs de musique.

La formation professionnelle des responsables de collections musicales est également un sujet permanent de préoccupation, les besoins et les critères professionnels n’étant que très partiellement pris en compte dans les filières courantes. Aux nécessaires connaissances musicales et bibliothéconomiques s’ajoute encore la maîtrise, technique et bibliographique, des ressources d’Internet.

Dématérialisation et délocalisation

En 2001, tous ces points de débat et de collaboration ont été abordés dans le contexte de plus en plus prégnant de la « dématérialisation » et de la « délocalisation » des données d’information, avec ses ouvertures décisives (l’interconnexion des catalogues, la consultation à distance), mais aussi ses contraintes accusées (techniques, financières, juridiques). La collecte des documents et leur conservation (le dépôt légal et l’archivage patrimonial des ressources en ligne sont partout d’actualité, à l’état de réflexion, d’élaboration ou, pour certains déjà, d’une première réalisation), comme les services offerts (des catalogues multimédias et enrichis de liens avec les documents eux-mêmes, contenus et objets) sont désormais engagés dans la numérisation des données et l’automatisation des outils. Les perspectives ouvertes par les nouvelles technologies sont particulièrement examinées au sein du comité, récemment constitué, des technologies de l’information. En cette année 2001, la Commission des documents audiovisuels envisageait, quant à elle, les liens de la musique avec les techniques dans leur dimension déjà historique et leur aspect esthétique, en abordant les rapports de la musique et du cinéma, illustrés notamment par l’œuvre de Stanley Kubrick.

Quelque 350 bibliothécaires, venus de plus de 40 pays ont pu rencontrer certains de leurs partenaires de travail courants : fournisseurs de logiciels et matériels informatiques, éditeurs de musique, libraires spécialisés, institutions musicales (conservatoires, centres de recherche…), venus, eux aussi, de plusieurs pays : Allemagne, Royaume-Uni et Italie notamment. Paradoxalement, c’est en France que ces professionnels furent le plus difficile à mobiliser, et, parmi les onze éditeurs de musique présentant leur catalogue, à Périgueux, un seul était français.

Pourtant, et c’est encore une règle de ces rencontres annuelles, un éclairage tout particulier est mis sur les activités du pays hôte en matière de documentation musicale. Plusieurs séances de travail furent ainsi consacrées à divers aspects de l’activité bibliographique appliquée, en France ces dernières années, à des fonds musicaux : la banque de son du musée de la Musique, les fonds Nadia Boulanger répartis entre la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, le Conservatoire américain de Fontainebleau et le musée de la Musique, les riches collections consacrées à l’opéra à la BnF, des centres d’iconographie musicale développés dans les institutions françaises (Institut de recherche sur le patrimoine musical en France, Institut national d’histoire de l’art, Centre d’études supérieures de la Renaissance), la musique dans les archives diocésaines, etc. Un numéro de la revue publiée régulièrement par l’AIBM, Fontes Artis Musicae, avait été réalisé 6 à l’occasion du congrès de Périgueux, numéro qui lui aussi présente plusieurs des grandes collections musicales publiques en France : à la Cité de la musique, au Centre Georges-Pompidou, dans les conservatoires de musique de Lyon et Paris, dans les bibliothèques municipales à Paris et en province, ainsi qu’à la BnF. Et fut intronisé Le Répertoire des bibliothèques et institutions françaises conservant des fonds musicaux que venait tout juste de publier le groupe français de l’AIBM.

Plus spécifique encore, un effort de mise en valeur fut porté sur certaines des richesses musicales de la France méridionale, dont Périgueux et l’Aquitaine témoignaient tout particulièrement. Une séance plénière permit ainsi une présentation croisée de sources et collections musicales conservées de part et d’autre de la Méditerranée : Tunisie, Maroc, Andalousie, Provence… Puis un concert vint l’illustrer, consacré par l’ensemble aquitain Tre Fontane (chant, luth, vielle à roue, percussion), associé à deux musiciens, l’un marocain et l’autre espagnol, au répertoire poétique et aux traditions musicales développées au même moment (XIIe-XIIIe siècles) en Pays d’oc, en Espagne et au Maghreb.

Un programme musical riche

Le programme musical normalement élaboré en complément et agrément de chacun de ces congrès avait fait l’objet d’un effort tout particulier qui se voulait à l’image de la richesse des ressources musicales de la France et de l’Aquitaine et digne de marquer le cinquantenaire de l’Association. Quatre manifestations de musique vivante furent proposées aux congressistes, ayant en commun l’ancrage régional des interprètes et l’éclectisme chronologique (du Moyen Âge à la création contemporaine), géographique (du Maroc à la Finlande) et musical (traditions collectées et adaptées, classique contemporain, musette) du répertoire.

Pour célébrer une association dévouée à la musique, on avait bien sûr choisi un cadeau musical et commandé une œuvre à François Rossé, compositeur français installé lui aussi dans la région. Son Cri de cerise fut créé ce soir-là au cours d’un concert de l’ensemble Proxima Centauri, soutenu par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), et qui rassemblait des œuvres de la seconde moitié du XXe siècle et d’origines géographiques diverses (Finlande, Italie, Allemagne, Espagne) à l’image de la dimension réellement internationale de l’association dès sa fondation. L’édition de la partition, commanditée par le Groupe français, fut offerte à chacun des participants  7.

L’assistance réunie ce soir-là (350 à 400 personnes environ) rendait compte de la longévité et du renouvellement de cette association cinquantenaire. Avec émotion, la mémoire soutenue par l’exposition de cinquante photographies prises lors des différents congrès, on pouvait aussi évoquer les personnalités qui l’ont animée et illustrée, et dont certaines sont très récemment disparues (Simone Wallon et François Lesure). En 1954, peu de temps après avoir participé à sa création, Vladimir Fedorov, l’un des fondateurs de l’AIBM, donnait des responsables de la documentation musicale une première définition et leur assignait une ambition : « Bibliothécaires musicaux, discothécaires, gardiens de fonds musicaux de toute nature, nous nous trouvons aux sources de l’art musical. À nous de les rendre plus accessibles, plus riches, plus vivantes. »

En 2000, en annonçant ce congrès-anniversaire dont il avait accepté d’assurer la présidence d’honneur, Pierre Boulez, lui-même compositeur, interprète et théoricien de la musique, rendait bien compte des évolutions considérables déjà opérées et encore espérées : « La bibliothèque, c’est tout le savoir – réel et virtuel. Encore faut-il que ce savoir puisse être sans cesse transmis, consulté, communiqué. Notre époque possède d’immenses réservoirs de connaissances couvrant nombre de siècles. En musique, cela est particulièrement précieux, car beaucoup d’œuvres ne sont aucunement disponibles, disparues de tout catalogue, des plus proches aux plus lointaines.

Maintenant, la communication des documents n’est plus limitée à un espace donné, clos : elle est transmissible sans obstacle de territoire. Le mode de consultation a totalement changé avec l’apparition des techniques les plus récentes. Il faudrait désormais la Bibliothèque Imaginaire, où toute limite est abolie. »

Illustration
L’AIBM

  1. (retour)↑  Adresse du groupe français : 2 rue de Louvois 75002 Paris.
    http://www.aibm-France.org
    Le groupe français est l’un des 22 groupes nationaux émanant de l’AIBM et également l’un des plus anciens. Il réunit plus d’une centaine de membres, tant institutionnels qu’individuels, reflétant la pluralité des activités de l’Association : bibliothèques de recherche, d’orchestres, de conservatoires, bibliothèques universitaires et centres de documentation musicaux, libraires... Outre sa participation aux activités de l’Association internationale où il compte plusieurs élus, le groupe français a établi, depuis quelques années, un programme de soutien à la profession sous la forme de journées de travail thématiques et de publications. Sur son site web, il rend disponible un répertoire des sites francophones sur la musique
  2. (retour)↑  Archives et centres de documentation musicaux, bibliothèques de radio et d’orchestre, bibliothèques universitaires et bibliothèques de conservatoire, bibliothèques publiques, bibliothèques de recherche.
  3. (retour)↑  Documents audiovisuels, bibliographie, catalogage, formation professionnelle, périodiques musicaux, répertoire des archives musicales, copyright, technologies de l’information, etc.
  4. (retour)↑  John Roberts, de l’université de Berkeley, est devenu président et, parmi les 4 vice-présidents, figure Dominique Hausfater, qui préside le groupe français de l’AIBM.
  5. (retour)↑  RISM, RILM, RidIM, RIPIM (cf. encadré).
  6. (retour)↑  Et devrait être prochainement mis à disposition en ligne sur le site de l’AIBM.
  7. (retour)↑  À ces symboles musicaux s’ajoutèrent quelques signes plus matériels, les bibliothécaires-musiciens étant assez généralement amateurs de bonne chère : une cuvée spéciale d’un cru de Pécharman et un buffet, offert par la ville de Périgueux et par Harrassowitz, mettant en valeur les produits solides et liquides du terroir périgourdin.