L'implantation du ministère de la Culture en région

naissance et développement des DRAC

par Georges Perrin

Jean-Luc Bodiguel

Paris : La Documentation française ; Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2000. – 373 p. ; 24 cm. – (Travaux et documents ; 12). ISBN 2-11-004681-3 : 131,19 F – 20 euro

Créé en 1993, le Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication et des institutions culturelles s’est donné pour mission, entre autres, de « susciter des recherches, des études, des travaux bibliographiques et des guides de sources, les publier et assurer leur promotion auprès du public. »

C’est donc à cet objectif que répond l’ouvrage de Jean–Luc Bodiguel, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’administration et de la fonction publique. Procédant par entretiens (une quarantaine d’acteurs de l’histoire du ministère et des Directions régionales des affaires culturelles-DRAC) et par analyse des archives disponibles, l’auteur nous livre une histoire détaillée de la lente et difficile mise en œuvre de la déconcentration du ministère de la Culture.

Tout au long de l’ouvrage, sa réflexion s’efforce de recouper deux axes : celui de l’histoire proprement dite de ce ministère, de son évolution interne et de sa lente maturation, et celui de l’évolution administrative de la France qui, en moins de quatre décennies, est passée d’un jacobinisme rigoureux à une décentralisation avancée.

Un réseau territorial

Créé en 1959, le « ministère chargé des Affaires culturelles », selon la terminologie voulue par André Malraux, est issu de l’administration des Beaux-Arts, dont les cadres successifs ont beaucoup évolué sous la IIIe et la IVe République. Dès son origine, la politique de ce ministère s’appuie pour une bonne part sur un réseau territorial. En effet, deux de ses composantes essentielles, le patrimoine architectural et les archives, sont partiellement gérées au niveau des départements par le relais des architectes des bâtiments de France et des archivistes départementaux.

Mais, au fur et à mesure que de nouveaux secteurs d’activité se développent, les responsables du ministère ressentent la nécessité d’un élargissement de cette base territoriale de gestion. Dès 1962, le cabinet réfléchit à la mise en place d’une structure susceptible de relayer la politique du ministère à l’échelon territorial. Commence alors pour les directions centrales un processus interne de résistance à la déconcentration qui perdurera peu ou prou jusqu’à aujourd’hui, malgré l’irréversible mise en œuvre de la décentralisation.

Passant outre ces réticences, et pour assurer avec le maximum d’efficacité la coordination de la politique culturelle, le ministère met en place dès 1963 des Comités régionaux des affaires culturelles (CRAC) dont le travail est coordonné par un correspondant permanent (généralement un responsable culturel local), nommé directement par le ministre. Le rôle de ces comités régionaux, présidés par les préfets, se borne à élaborer en liaison directe avec les administrations centrales, une programmation des travaux et activités du ministère en région. Quant aux correspondants permanents, ils jouent le simple rôle de secrétaires de ces comités et n’ont aucune responsabilité budgétaire.

Ces timides prémices de déconcentration de la politique du ministère seront confortées par la volonté politique des responsables de la réforme de l’État, qui souhaitent ardemment impulser une forte déconcentration de la gestion des affaires publiques. Un décret du 14 mars 1964 consolide le rôle et le pouvoir des préfets en affirmant leur qualité de représentants de toutes les composantes de l’État dans les départements et leur mission de relais territorial de la politique de tous les ministères et non plus seulement de celle du ministère de l’Intérieur. De plus, ce décret détaille le statut des préfets de région désormais responsables pour chacune des régions administratives, de l’harmonisation de la politique économique et de la politique d’aménagement du territoire.

Des hommes convaincus

À l’intérieur de ce ministère, ce constant effort de déconcentration a été impulsé par des hommes convaincus, tels André Holleaux ou Antoine Bernard, directeurs de cabinet, Claude Charpentier, inspecteur général, mais aussi Jean Dumas, l’un des fameux correspondants permanents, qui deviendra l’un des premiers directeurs régionaux des affaires culturelles. Ces hommes ont très vite compris la nécessité de conforter la représentativité des correspondants permanents des CRAC, et d’asseoir leur autorité et leur pouvoir au niveau régional en leur conférant la qualité d’ordonnateurs secondaires. Ceci ne pouvant se réaliser qu’au détriment, si minime soit-il, des prérogatives des directions centrales du ministère, il fallut déployer des trésors d’énergie et d’arguments pour aboutir, le 23 mai 1969, à la nomination à titre expérimental, par André Malraux, de trois directeurs régionaux des affaires culturelles : en Alsace, Pays de Loire et Rhône-Alpes.

Comme le souhaitait le ministre, ces trois premiers DRAC sont de véritables « préfets culturels » : ils ont autorité, dans leur région, sur l’ensemble des secteurs culturels y compris le patrimoine architectural ; ils sont ordonnateurs secondaires, c’est-à-dire gestionnaires du budget déconcentré par le ministère pour leur région.

L’échec de la première tentative de décentralisation entraînant le départ du général de Gaulle en avril 1969, et par voie de conséquence celui d’André Malraux, enrayera pour longtemps ce processus de déconcentration. Il faudra, en effet, attendre un décret du 8 février 1977, signé par Françoise Giroud, pour que soit officialisée la création des DRAC.

Durant ces années « intermédiaires », les ministres successifs n’ont jamais relâché leurs efforts pour maintenir au sein de leur administration cet esprit de déconcentration. À cet égard, deux noms sont à citer : celui de Jacques Duhamel, qui amplifiera les décisions d’André Malraux et poursuivra la mise en place de directeurs régionaux ; et celui de Michel Guy, qui confortera indirectement le rôle de ces directeurs en initiant la politique des chartes culturelles, instituant d’une part la nécessité d’une coordination transversale des politiques sectorielles du ministère, développant d’autre part le partenariat avec les collectivités territoriales.

La poursuite de cette politique de déconcentration aboutit, avec la création en 1980 de la DRAC du Limousin, à la couverture totale du territoire. Mais c’est la décentralisation, initiée par les lois de 1982, et effective en 1986 pour la politique culturelle, qui va fixer définitivement la structure et le rôle des DRAC. En effet, la décentralisation fait obligation au ministère de la Culture de se réorganiser afin d’accélérer et d’amplifier sa déconcentration politique et budgétaire. De plus, le fantastique bond en avant du budget de la Culture, qui voit son montant doubler de 1981 à 1982 et augmenter encore de 25 % en 1983, retentit immédiatement sur la structuration et les missions des DRAC. Les années 1980 seront à plus d’un titre celles du développement et de l’enrichissement des DRAC : accroissement des équipes et nomination de nombreux conseillers sectoriels, grâce à d’abondantes créations de postes, augmentation des crédits à gérer due à une déconcentration accélérée.

Un bilan de 25 années d’existence

Dans la seconde partie de l’ouvrage, Jean-Luc Bodiguel dresse le bilan de près de 25 années d’existence officielle des DRAC et énumère les nombreuses difficultés qui restent à résoudre. Selon lui, l’intégration horizontale des différents secteurs d’activité n’est pas encore achevée au sein des DRAC. Elles sont en cela tributaires des défauts récurrents de coordination des directions centrales du ministère entre elles.

D’autre part, comme services extérieurs, elles ont beaucoup de difficultés à nouer des relations utiles avec les autres services extérieurs du ministère que sont les grands établissements publics. Les autres difficultés concernent les moyens en personnel, et sont dues à la lenteur qui préside au rééquilibrage des effectifs entre l’administration centrale et ses services déconcentrés.

Il faut souligner également la difficulté qu’éprouve le ministère à recruter des directeurs régionaux. Ceci tient d’abord à l’attractivité très relative de ces postes dont les statuts restent flous et le niveau de rétribution assez limité. Il faut ajouter à ces inconvénients le fait que le vivier de recrutement au sein du ministère est très étroit. Ceci l’oblige à faire appel à de nombreuses administrations extérieures : Éducation nationale (professeurs certifiés ou agrégés), Finances et Budget (inspecteurs du Trésor) Affaires étrangères (responsables de centres culturels à l’étranger), entre autres.

L’oiseau rare

Ces recrutements sont d’autant plus délicats que le directeur régional idéal est un « oiseau rare ». Il s’agit d’un homme ou d’une femme de grande culture, qui doit faire preuve des qualités innées d'un bon négociateur, doit se révéler comme un administrateur avisé et un gestionnaire rigoureux, tout en introduisant un minimum de cohésion dans une équipe par nature hétérogène. L’ensemble de ces contraintes explique sans doute la très grande mobilité des directeurs régionaux, conscients du peu d’utilité de ces postes pour faire avancer leur propre carrière.

Toutefois, sous de nombreux autres aspects, le bilan des DRAC est très largement positif. Les services ont parfaitement su s’adapter aux exigences de la décentralisation, et se situer au meilleur niveau de contact avec les partenaires locaux. Elles ont su créer avec les collectivités territoriales le climat de confiance nécessaire à l’accompagnement du développement de leurs politiques culturelles. Pour les DRAC, ces collectivités ont cessé d’être des sujets pour devenir de véritables partenaires. Elles paraissent mieux armées que l’administration centrale du ministère pour résoudre le problème déjà évoqué de la transversalité de la politique culturelle.

Il leur reste toutefois à résoudre par elles-mêmes et pour elles-mêmes cette difficile mais nécessaire connexion entre la verticalité administrative indispensable à la bonne gestion et l’horizontalité d’une politique culturelle cohérente et coordonnée qui est au cœur de leur mission territoriale.

Elles bénéficient pour cela de l’héritage du « jeune » ministère dont elles sont issues : la position stratégique qui est la leur, au carrefour de l’enthousiasme et de la modernité.