Les bibliothèques du dépôt légal imprimeur. La conservation de la presse quotidienne régionale

Brigitte Bessot

Dominique Frasson

C’est sous une pluie battante et sous la menace d’une inondation annoncée dans l’arrière-pays que Rennes accueillait le 18 décembre 2000 les quelque soixante participants conviés par la ville et la Bibliothèque nationale de France (BnF) à débattre de la conservation de la presse quotidienne régionale – PQR pour faire court.

La ville de Rennes et sa bibliothèque, puissances invitantes, ouvrirent le propos en dévoilant le projet de nouvelle bibliothèque, qui devrait sortir de terre dans deux ans. Implantée près de la gare SNCF, sur l’emplacement de la gare routière, cette importante réalisation regroupe en fait la bibliothèque municipale (BM), le musée de Bretagne, un centre de congrès, un centre scientifique… Le projet lauréat, dû à l’atelier de Christian de Portzamparc, nous fut présenté : au sein d’un ensemble complexe, la bibliothèque occupe un vaste espace, très lumineux, en forme de pyramide inversée.

Traitement et conservation

De nombreuses interventions décrivirent l’impressionnant suivi des exemplaires reçus au dépôt légal imprimeur (DLI) à la BM de Rennes, le principe de base étant d’optimiser leur utilisation. Ce fut ensuite le tour de l’historique du traitement de la presse à la Bibliothèque nationale et à la BnF. Enfin, compte rendu fut fait de deux enquêtes, séparées mais concomitantes, lancées par la BnF et par une élève de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques sur le thème de la presse quotidienne régionale et de sa conservation. L’une et l’autre font crûment apparaître les vicissitudes de cette vaste entreprise. En effet, là aussi, la carte et le territoire ne se recoupent qu’imparfaitement, et nombreux sont les titres imprimés loin de leur zone de diffusion, quand cette impression n’est pas partagée sur diverses régions… En conséquence, les collections issues du DLI sont souvent lacunaires, et bien rares sont les quotidiens comme Ouest-France, fier de ses quarante-deux éditions locales et de ses 800 000 exemplaires quotidiens – le plus fort tirage en France – qui se sont donné les moyens d’assurer la conservation papier et la duplication sur microfilm ou cédéroms de leur propre production.

Tout cela est bien sûr fort coûteux, ce qui explique, si ça ne l’excuse pas, l’attitude constante des quotidiens qui ne conservent pas la totalité de leurs éditions, ou qui s’en remettent aux bibliothèques. Ainsi la BM de Lyon conserve, selon les termes de conventions en bonne et due forme, les collections du Progrès (17 éditions régionales) et du Dauphiné libéré (22 éditions). Yvette Weber, qui présenta l’expérience lyonnaise, évoqua également les pratiques de coopération mises en place dans la région Rhône-Alpes, et surtout, la remarquable exploitation des collections sous forme de dossiers de presse, exploitation assurée depuis plus de vingt-cinq ans à la bibliothèque de la Part-Dieu, d’abord sous forme papier et désormais en gestion électronique de documents (GED).

L’ensemble documentaire qui en résulte suscite une consultation soutenue, et au premier chef, par un juste retour des choses, par les journalistes lyonnais eux-mêmes ! Un gros effort est aussi consenti en Rhône-Alpes pour la sauvegarde de la presse des XIXe et XXe siècles dont chacun sait la fragilité et le caractère souvent unique des collections présentes dans les bibliothèques.

Propositions de la BnF

Après un repas sympathique et détendu, la réunion reprit avec l’exposé lyonnais déjà évoqué, suivi du compte rendu par Hubert Dupuy, de la BnF, d’un séminaire de l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) sur la conservation des périodiques, d’où il ressortit que tout conserver est impossible, que la sélection est donc inévitable. Enfin, ce furent les propositions d’évolution envisagées par la BnF, soit une bonne vingtaine de dispositions allant de l’exclusion pure et simple du dépôt de certaines catégories d’ouvrages, la conservation limitée à un échantillonnage choisi – le premier numéro d’un nouveau périodique, ou la conservation de quelques années de parution seulement –, à la conservation à durée limitée, le traitement par lots sans catalogage détaillé, ou l’arrêt de l’envoi du second exemplaire DLI à la BnF, etc. Malheureusement, ces propositions, qui toutes auraient mérité d’être soumises au plus vaste débat dans la mesure où elles impliquent fortement les bibliothèques concernées, ont été écourtées pour laisser place aux discours conclusifs de la journée avec les prises de parole respectives de Dominique Arot, représentant le Conseil supérieur des bibliothèques, de Jean-Pierre Angremy, président de la BnF, et d’Edmond Hervé, ancien ministre et député-maire de Rennes.

Simultanément fut annoncée la prochaine mise en service du Catalogue collectif de France (CCFr) 1, où devront désormais figurer les collections issues du DLI, alors qu’un courrier de la BnF adressé aux villes concernées proposait un avenant dans ce sens de la convention qui lie leurs bibliothèques au titre de pôle associé DLI.

Voilà comment se met en place un vaste transfert de compétences entre la BnF et son réseau. De nombreuses et graves questions restent cependant en suspens : qu’en est-il de l’accès aux collections issues du DLI (le prêt entre bibliothèques est-il compatible avec ce qui est en passe de devenir à terme une série de collections de conservation, uniques et donc d’intérêt national ?) ? Qu’en est-il des documents de substitution (photocopies ? numérisation ? microfilm ?) et à quel coût ? Et pourquoi pas : les bibliothèques devront-elles contribuer à un droit de prêt pour le DLI ?

Il est clair que tout cela suppose l’ouverture d’un débat et l’attribution de moyens humains, financiers et en locaux qu’impliquent ces nouvelles compétences. D’où le vœu exprimé ici que cette réunion, trop courte en temps pour l’importance de son objet, mais qui aura eu le mérite d’ouvrir un vaste chantier, soit rapidement suivie d’une concertation impliquant tous les partenaires.

  1. (retour)↑  Cf. le compte rendu de la journée d’étude du 23 novembre, organisée par la Bibliothèque nationale de France, « Le Catalogue collectif de France : contenus et évolutions », paru dans Livres Hebdo, décembre 2000, n° 406, et dans le BBF, 2001, n° 2, p. 112-114.