Meet me in Saint Louis

La conférence annuelle de l'Intamel I L'Intamel en quelques mots

Aline Girard-Billon

Au moment où Sydney vivait à l’heure des Jeux olympiques de l’an 2000, Saint Louis, Missouri, qui avait offert au XX e siècle ses premiers jeux olympiques en 1904, accueillait les délégués des villes membres de l’Intamel (INTernational Association of MEtropolitan City Libraries, cf. encadré « l'Intamel en quelques mots »), pour la trente et unième conférence annuelle 1 de l’association depuis sa création, en 1968.

Illustration
L'Intamel en quelques mots

Du 19 au 25 septembre, à l’invitation conjointe de la Saint Louis County Library 2 et de la Saint Louis Public Library, vingt-sept congressistes venus de treize pays d’Europe, d’Amérique du Nord, du Moyen-Orient et d’Asie ont suivi le programme de ce congrès professionnel très particulier, sans thème défini, mais traditionnellement fondé sur une présentation du système de bibliothèques de la ville-hôte, assortie de nombreuses visites, auxquelles s’ajoutent quelques exposés de délégués sur des expériences ou projets particuliers ou novateurs, et surtout beaucoup d’échanges informels entre les congressistes, qui ne sont autres que les directeurs des grands réseaux de lecture publique du monde.

Une structure complexe

Au cœur de la conférence de l’an 2000, la découverte des bibliothèques publiques de Saint Louis, dont la structure est fort complexe, puisqu’elle combine sur un même territoire deux systèmes de lecture publique autonomes. Celui de la Saint Louis Public Library (SLPL) qui dessert essentiellement les habitants du centre ville, avec cependant des annexes situées très en périphérie, voisinant avec les équipements de la Saint Louis County Library. Ce dernier réseau, SLCL, a lui pour mission d’offrir un service de bibliothèques aux habitants de plusieurs districts de l’État du Missouri situés aux alentours de Saint Louis, avec un réseau d’annexes, dont certaines sont enclavées dans la zone d’influence de la SLPL.

Quelques éléments chiffrés permettent d’apprécier l’offre locale. Le réseau de la Saint Louis Public Library comprend une bibliothèque centrale construite en 1893 et quinze annexes 3, pour une population relativement concentrée d’environ 400000 habitants 4. Les collections s’élèvent à près de 5 millions de documents, mais avec 1,5 million de livres seulement. En 1997, le réseau a prêté 2,5 millions de documents.

Le réseau de la Saint Louis County Library, constitué à partir de 1946, comprend une bibliothèque centrale de prêt et de dépôt, dix-neuf annexes et dix-huit bibliobus et emploie 700 personnes, pour une population très dispersée de 843 000 habitants. Son budget de fonctionnement est de 23 millions de dollars 5. Les collections s’élèvent à près de 3 millions de documents, dont 2,3 millions de livres. En 1999, le réseau a prêté 7,9 millions de documents. Très récemment, la SLCL a changé de logiciel de gestion ; à cette occasion a été mis en place un Centre d’information en ligne du personnel, par le biais duquel sont diffusées toutes les informations concernant le fonctionnement du réseau (vie des annexes, compte rendu de réunions, rapports de groupes de travail, etc.), ainsi que des informations en provenance de l’extérieur par le moyen de listes de diffusion ciblées, et par le biais duquel sont également dispensées de nombreuses formations, particulièrement celles concernant le système informatique.

Un tableau nuancé

Le tableau est nuancé : d’un côté, un réseau ancien dont l’activité est relativement faible et qui essaye, en rénovant ses annexes et en jouant la carte des nouvelles technologies, de reconquérir un public en voie de disparition ; de l’autre, un réseau beaucoup plus actif et innovant 6, qui doit adapter son service à un habitat de plus en plus étendu et de plus en plus exigeant (le projet est de remplacer petit à petit les bibliobus par des annexes). Dans les deux cas, les collections multimédias sont réduites : peu de disques compacts, de vidéos, de cédéroms en prêt. Les micro-ordinateurs sont présents en quantité, mais, pour la SLPL, c’est dans le cadre d’une opération exceptionnelle de mécénat menée par la Gates Library Foundation 7. Précisons que jusqu’à une date récente, les deux réseaux voisinaient et s’ignoraient. La coopération a fini par s’instaurer : une carte unique d’usager a vu le jour, donnant accès gratuitement (pour les résidents des deux zones d’influence) à l’ensemble des services des deux réseaux de bibliothèques.

Aux États-Unis, les situations des bibliothèques publiques sont donc, contrairement à ce que l’on peut croire hâtivement, très disparates, et dans le cas particulier du Missouri, les choses sont loin d’être faciles. On y regarde avec une certaine envie les collègues de l’État voisin de l’Illinois, dont les bibliothèques ont toujours reçu un très fort soutien du gouvernement local. L’organisation générale des bibliothèques de l’Illinois a d’ailleurs été présentée aux congressistes lors d’une brève incursion dans les territoires (ceux jadis des Indiens Cahokia) au-delà du Mississipi. Le fonctionnement du « Lewis and Clark Library System », hôte des délégués de l’Intamel dans l’Illinois, a fait l’objet d’un exposé détaillé. Il s’agit en fait de la combinaison de deux structures existant en France : une bibliothèque départementale de prêt (bibliothèque de comté en l’occurrence) et un centre régional de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation.

Le système fournit des documents aux bibliothèques adhérentes (150 en 2000) par livraison quotidienne, bihebdomadaire ou hebdomadaire selon la distance, un logiciel de gestion de bibliothèque en réseau avec les autres bibliothèques adhérentes et sa maintenance 8, un accès au catalogue collectif de l’Illinois (Virtual Illinois Catalog-Vic), des informations et services en ligne, des cours de formation initiale et continue (soit sur site, soit par voie électronique), des séminaires et journées d’étude, un service de consultants (gestion des collections, services aux usagers, coopération entre bibliothèques, etc.). L’ensemble des systèmes de bibliothèques de comtés, qui servent à ce jour 2338 bibliothèques de tous types 9, coopèrent à l’échelon de l’État. Plusieurs programmes sont menés en commun : constitution du Vic, développement des LLSAP, lutte contre l’illettrisme, diffusion d’informations sur les bibliothèques sur une chaîne câblée, attributions de bourses d’étude ou de projet, etc.

Les bibliothèques de Singapour

Le programme de la conférence a été complété par quelques exposés de délégués : les projets de la bibliothèque de Rotterdam, par son directeur Frans Meijer 10 ; bibliothèques publiques et choix politiques, par Clyde S. Scoles, directeur de la Toledo-Lucas County Public Library (Ohio) ; le programme national de développement des bibliothèques de Singapour, par Fatimah Binte Hassan et Geok Lan, membres du Conseil national des bibliothèques de Singapour.

Ce dernier exposé, illustré par une vidéo, a particulièrement intéressé les participants. Le programme de huit ans (1996-2003) de développement des bibliothèques de la ville-État (3890200 habitants, 647 km 2 ) est remarquable par sa cohérence et son ambition. La mission des bibliothèques y est clairement définie : « Étendre la capacité d’apprendre de la nation dans le but d’accroître la compétitivité nationale et de promouvoir une société harmonieuse », dans une formulation mêlant d’une manière étrange pour les Occidentaux l’agressivité économique d’un des trois dragons asiatiques, la recherche de l’harmonie extrême-orientale et un autoritarisme presque brutal. Les objectifs sont précis : construire 120 bibliothèques en huit ans 11, dans les environnements les plus accessibles pour la population ; investir massivement dans les nouvelles technologies. Après seulement cinq années d’application du plan de développement, les résultats sont spectaculaires : de 1995 à 1999, les prêts sont passés de 14,3 à 24,7 millions, les visiteurs de 7,3 à 19,7 millions, les collections de 3,7 à 6,1 millions. Des chiffres impressionnants dans l’absolu (6,4 prêts par habitant en 1999) et dans leur évolution (+ 73 % de prêts en cinq ans). Qu’en sera-t-il au terme du programme ? Une intéressante leçon pour les politiciens frileux de nos vieux pays ! À l’issue de l’exposé, Singapour a posé sa candidature pour accueillir la conférence de l’Intamel en 2003, une candidature acceptée à l’unanimité, lors de l’assemblée générale de l’association, par des délégués impatients de juger sur pièces.

L’assemblée générale a retenu d’autres candidatures pour les prochaines conférences annuelles : Amman (Jordanie) en 2001 12, Stockholm (Suède) en 2002. Les villes de Bucarest et Brasov, en Roumanie, sont candidates pour 2004 : la proposition est à l’étude. Paris et Lyon, les deux villes françaises présentes à la conférence de Saint Louis, pourraient co-organiser la conférence de 2005. L’assemblée générale a voté de nouveaux statuts ; la cotisation annuelle des membres a augmenté sensiblement (de 75 à 125 USD), de façon à pouvoir attribuer des bourses régulières (deux à trois par an) à des villes en difficulté.

L’Intamel, table ronde de l’Ifla, n’a jamais été très active lors des congrès annuels de l’Ifla, ceci probablement à cause de l’existence d’une conférence annuelle séparée. L’association a néanmoins décidé de tenir sa place à Boston en 2001 13 et d’élaborer un programme spécifique. Le thème retenu est : les partenariats entre les bibliothèques publiques et les musées.

Le programme professionnel de la conférence de Saint Louis a été ponctué de quelques événements culturels et sociaux : match de base-ball entre les Saint Louis Cardinals et les Houston Astros au Busch Stadium, dîner typique American family chez des bibliothécaires- hôtes, visite du site préhistorique des monts Cahokia, concert du Saint Louis Symphony Orchestra. L’accueil de la ville de Saint Louis a été fort chaleureux et l’organisation de la conférence était parfaite. La plupart des congressistes ont terminé leur semaine américaine par un court séjour à La Nouvelle-Orléans, où un programme complémentaire était proposé.

  1. (retour)↑  Trois conférences de l’Intamel ont eu lieu en France : Paris en 1976 et 1987, Toulouse en 1991.
  2. (retour)↑  Le directeur de la Saint Louis County Library, Daniel Wilson, est le président en titre de l’Intamel.
  3. (retour)↑  Dont plusieurs fondées grâce à Andrew Carnegie, grand mécène des bibliothèques américaines au début du siècle.
  4. (retour)↑  La ville de Saint Louis, située au confluent du Mississipi et du Missouri, a été, depuis le milieu du XIX e siècle et jusqu’aux années cinquante, une des villes industrielles et commerciales les plus actives des États-Unis, et l’un des grands centres urbains du Midwest. Depuis le début des années soixante, la crise économique a durement touché Saint Louis, dont la population est passée de 850000 en 1950 à 400000 en 1990. La moitié de la population est noire.
  5. (retour)↑  Le financement de la SLCL est fondé sur la taxe d’habitation et la taxe foncière versées par les résidents du district.
  6. (retour)↑  La SLCL a le nombre de prêts le plus élevé de tout l’État du Missouri.
  7. (retour)↑  La Gates Library Fondation a fait don sur cinq années de plus de 400 millions de dollars en espèces et en logiciels aux bibliothèques publiques américaines. C’est la plus importante contribution privée pour le développement des bibliothèques publiques depuis Andrew Carnegie. L’objectif de la fondation étant de donner à chaque enfant une chance égale d’accès à l’information, la donation sert en priorité à équiper les zones les plus défavorisées.
  8. (retour)↑  Local Library System Automation Program (LLSAP).
  9. (retour)↑  - 186 bibliothèques universitaires, 643 bibliothèques publiques, 941 bibliothèques scolaires, 568 bibliothèques spécialisées.
  10. (retour)↑  Voir l’article de Frans Meijer, « La bibliothèque de Rotterdam au cœur de la cité », BBF, 2000, n° 5, p. 81-85.
  11. (retour)↑  Cinq bibliothèques régionales, dont une bibliothèque nationale, 18 bibliothèques publiques, 100 bibliothèques pour enfants. Chaque bibliothèque régionale doit servir une population de 800000 personnes. Le nombre de bibliothèques à Singapour en 1995 était de 104 ; le programme a donc pour ambition de doubler le nombre de sites. Le Conseil national des bibliothèques a la charge de constituer le catalogue collectif national.
  12. (retour)↑  En remplacement de Paris qui, peu de temps avant la conférence de Saint Louis, a renoncé à sa candidature pour 2001.
  13. (retour)↑  Du 18 au 24 août 2001.