Editorial

Bertrand Calenge

En 1990, Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur, rappelait l'incantation récurrente des élus locaux plaidant pour une intercommunalité librement consentie, et constatait qu'après des décennies de « libre consentement » l'intercommunalité restait toujours à inventer. Dix ans plus tard, à l'orée du XXIe siècle, l'élan intercommunal semble avoir pris son véritable essor. Que s'est-il donc passé ? Pourtant, nulle loi absolument contraignante n'est venue recomposer le paysage communal, comme ce fut autrefois le cas en Belgique ou au Royaume-Uni. Bien sûr, des textes incitatifs et des soutiens financiers ont récemment encouragé ce mouvement, mais c'est sans doute la décentralisation aboutie qui, rendant véritablement autonomes les collectivités locales, a paradoxalement permis aux communes de prendre la véritable mesure de leurs responsabilités, et ainsi d'encourager leur association. Il faut être libre pour accepter de négocier ses liens…

Ce mouvement récent coïncide avec les multiples contacts qui se nouent à différents niveaux, entre départements, entre collectivités transfrontalières, entre collectivités locales et universités, ou entre universités elles-mêmes. D'une géographie segmentée et quadrillée, on passe à une dynamique des territoires en mouvement.

Les bibliothèques ne sont pas les dernières à suivre cet élan. D'abord parce que, comme institutions, elles accompagnent les stratégies de leurs tutelles. Aussi parce que, outils de connaissance, elles se sont toujours tournées vers l'universel, vision d'une universalité des savoirs comme d'une universalité de leurs publics. Entre ancrage local et exigence d'ouverture vers le monde, les bibliothèques trouvent naturellement leur place active dans la constitution de ces nouveaux réseaux. Mais cette évolution n'est pas acquise d'emblée. Encore leur faut-il inventer les modes d'organisation et d'action qui répondront aux défis de ces territoires modifiés, trouver les formes d'une identité nouvelle peut-être plus composite et mouvante, sûrement plus riche de projets à construire.