Constitution d'une collection de référence en Lettres

Méthode et outils

Valérie Travier

Après l’incendie de la Bibliothèque centrale des universités de Lyon, une réflexion a été menée sur les méthodes de constitution des nouvelles collections en Lettres et Sciences humaines de la bibliothèque d’étude et de recherche construite sur le site de Gerland et associée à la bibliothèque de l’École normale supérieure de Fontenay (Lettres). Que signifie le concept de « collection de référence » (core collection) ? Comment constituer progressivement ce fonds tout en répondant aux besoins documentaires des chercheurs et enseignants sinistrés par la perte de ressources essentielles ? L’étude a essayé d’apporter des réponses fondées sur la formalisation d’une politique d’acquisition proposant fourniture de documents et services, à partir d’une connaissance fine des publics et des axes de la recherche universitaire locale. Dans une perspective résolument pratique, plusieurs outils d’aide à la sélection ont été suggérés.

After the fire at the Lyon universities’ central library, consideration was made of the methods used to constitute new collections, in Language and Literature and the Humanities, for a research and study library constructed on the Gerland site and associated with the library of the École normale supérieure de Fontenay (Lettres). What does the concept “"core collection” signify? How does one progressively reconstitute holdings in response to the documentary needs of researchers and teachers stricken by the loss of essential resources? This essay has tried to bring forward some responses founded on the formalisation of an acquisition policy proposing to furnish documents and services, from detailed knowledge of the users and the axes of local university research. From a resolutely practical perspective, several tools to aid in selection are suggested.

Nach dem Brand der zentralen Universitätsbibliothek Lyons wurden Überlegungen zu den Schaffungsmethoden von neuen Literatur- und Geisteswissenschaftssammlungen der auf Gerland errichteten und mit der Bibliothek der Ecole normale supérieure von Fontenay (Literatur) verbundenen Studien- und Forschungsbibliothek angestellt. Was bedeutet der Begriff "bezugnehmende Sammlung"? Wie kann man diesen Fonds zunehmend schaffen und gleichzeitig den dokumentarischen Bedürfnissen der durch den Verlust unerläßlicher Quellen geschädigten Forscher und Unterrichtenden entgegenkommen? Diese Studie hat versucht, eine auf das Formalisieren einer Ankaufpolitik beruhende Antwort zu finden, wobei sie von einer guten Kenntnis des Publikums und der lokalen Universitätsforschungsachsen ausgehend Dokumente und Dienstleistungen anbietet. In einer entschlossen praktischen Perspektive wurden mehrere Hilfswerkzeuge für die Auswahl vorgeschlagen.

Después del incendio de la Biblioteca central de las universidades de Lyon, una reflexión se ha llevado a cabo sobre los métodos de constitución de las nuevas colecciones en Letras y Ciencias humanas de la biblioteca de estudio y de investigación construida en el local de Gerland y asociada a la biblioteca de la Escuela normal superior de Fontenay (Letras). ¿ Qué significa el concepto de “colección de referencia” (core collection) ? ¿ Cómo constituir progresivamente ese fondo respondiendo al mismo tiempo a las necesidades documentales de los investigadores y docentes siniestrados por la pérdida de recursos esenciales ? El estudio ha tratado de aportar respuestas fundadas en la formalización de una política de adquisición que propone suministro de documentos y servicios, a partir de un conocimiento fino de los públicos y de los ejes de la investigación universitaria local. En una perspectiva resueltamente práctica, se han sugerido varias herramientas de ayuda a la selección.

On se souvient que dans la nuit du 11 au 12 juin 1999 disparaissaient près de 300 000 volumes des collections de la Bibliothèque centrale des universités Lyon 2 et Lyon 3, au cœur des ressources documentaires depuis la création de l’Université à la fin du XIXe siècle. Les chercheurs en Lettres et en Sciences humaines, ainsi qu’en Droit et en Économie, se trouvèrent brutalement coupés d’une grande partie de leurs sources, les enseignants du réservoir des textes mis à la disposition des étudiants.

Dans la perspective d’une installation dans des bâtiments neufs, alors en construction sur le site de Gerland, le directeur de la Bibliothèque centrale, Charles Micol, décida de mener de front les diverses entreprises de reconstitution des fonds (par dons, par numérisations), et l’acquisition dans l’urgence de collections de référence pour le nouvel établissement 1. En effet, en dehors de la salle de référence proprement dite, qui n’a pas brûlé, les documents sauvés du feu ou de l’eau appartiennent le plus souvent au fonds patrimonial ou à celui des périodiques : toutes les collections savantes ont été perdues et les quelques milliers de livres déjà en libre accès étaient souvent vétustes et promis à un prochain remplacement. La carte documentaire ayant été redéfinie, la Bibliothèque centrale, qui a reçu le statut de Service interétablissements de coopération documentaire, commun aux universités Lyon 2, Lyon 3 et à l’École normale supérieure Lettres, aura pour mission de couvrir les besoins de la recherche (à partir du 2e cycle) en Lettres et langue françaises, Langues d’Europe de l’Ouest et arabe, en Philosophie (y compris Religion), et en Histoire (y compris les sciences auxiliaires). Les Lettres françaises ont été choisies comme domaine de recherche exemplaire pour l’étude que j’ai menée de septembre à novembre 1999 2. Cette discipline est en effet celle de près de 40 % des lecteurs potentiels de la future bibliothèque.

Cet article se propose de présenter succinctement, non pas les résultats contextuellement inséparables de l’événement lyonnais, mais les méthodes de réflexion appliquées au problème précis de la constitution d’un cœur de collection viable, les investigations qui en ont découlé, ainsi que quelques outils utiles à sa mise en oeuvre 3.

Comment définir la collection de référence ?

Les Anglo-Saxons appellent communément core collection l’ensemble des ouvrages fondamentaux à la fois pour l’enseignement et la recherche. Dans le cas de la constitution d’une bibliothèque, la sélection et l’acquisition de ces ouvrages indispensables prennent du temps : faut-il rappeler que l’ouverture de la nouvelle Bibliothèque de France a été précédée par des études et des acquisitions faites par l’Établissement Public de la Bibliothèque de France pendant trois ans ?

Le problème posé à la Bibliothèque centrale de Lyon était de constituer cette collection de référence en un an et d’en faire une collection viable dès l’origine. En effet, le risque couru pendant cette phase, c’est de ne proposer au public que les ouvrages que l’on trouve dans toutes les bibliothèques, puisque, par définition, les ouvrages fondamentaux le sont absolument et donc indépendamment des spécificités du public. De plus, on n’envisage pas en France d’ouvrir une bibliothèque universitaire à moins de 50 000 ouvrages 4 sans se référer aux normes allemandes ou nord-américaines dont nous ne pouvons que rêver. Or, même les ratios les plus modestes ne peuvent être acquis, et encore moins traités en un an !

Ces contraintes obligent donc à réfléchir à ce que l’on entend par « collection de référence ». L’objectif visé est de constituer dès l’origine une collection spécifique à l’établissement et à son public, et répondant directement aux attentes du public : il faut certes que toutes les oeuvres essentielles de la littérature française soient acquises, mais s’il y a dans l’université un spécialiste de l’Ovide moralisé, il faut répondre aussi à ses besoins et considérer que cette oeuvre fera partie de la collection de référence de la bibliothèque. La phase d’acquisition des ouvrages fondamentaux ne peut donc pas être menée mécaniquement, à partir de listes établies une fois pour toutes et valables pour toute bibliothèque du même type. Cette façon de faire américaine ne convient ni à nos budgets ni à nos pratiques de traitement des ouvrages.

Il est utile de fonder la collection de référence sur une connaissance fine du public. Ainsi, on peut préciser la notion d’ouvrage fondamental : si les oeuvres de Victor Hugo font partie des ouvrages fondamentaux aussi bien pour une bibliothèque destinée aux étudiants de 1er cycle que pour une collection destinée à des chercheurs, en revanche on peut intégrer ou non Armand Salacrou ou Emmanuel Hocquard en fonction des travaux des chercheurs propres à l’Université.

À côté de l’inventaire précis des centres de recherche et de leurs axes d’étude, une cartographie aussi détaillée que possible des ressources documentaires locales a permis de déterminer les limites de la collection. La bibliothèque n’a pas pour mission de répondre à tous les besoins documentaires, car elle s’inscrit dans une histoire et dans un paysage déjà constitué. On admet aisément que les chercheurs qui étudient des textes aient recours à des éditions anciennes qu’ils trouvent aussi bien dans des fonds universitaires que dans des bibliothèques municipales ou des bibliothèques spécialisées. On peut dessiner les limites de la collection à partir du repérage des fonds déjà existants, qu’on ne se propose pas de redoubler. La cartographie des ressources lyonnaises que j’avais menée avait ainsi conduit à limiter très sérieusement le fonds de littérature francophone à constituer par la Bibliothèque centrale, en respectant le fonds déjà riche et régulièrement alimenté de la bibliothèque de la faculté des Lettres de Lyon 3, sous réserve que les conditions d’accès soient les mêmes pour tous.

Enfin, l’étude de la constitution des publics peut également, sous son aspect quantitatif, être utilisée pour fixer les rythmes d’acquisition en Lettres par rapport aux autres disciplines. Quelques équations simples, dans lesquelles entreront les besoins différenciés des étudiants et des chercheurs, permettent d’assurer une constitution progressive de la collection, la volumétrie respective de chaque discipline étant fonction du nombre de ses utilisateurs potentiels. Cela pour éviter qu’un sélectionneur plus zélé ou plus efficace que les autres ou qu’un groupe de chercheurs constitués en lobby ne déséquilibre la construction de la collection de référence : il faut certes prendre en compte l’existence d’une recherche locale en latin médiéval par exemple, mais pas au point que cette partie particulière de la collection n’atrophie par son ampleur d’autres secteurs des Lettres. La tension qui s’exerce sur le coordonnateur des acquisitions (ce poste paraît quasi nécessaire dans une telle situation) consiste à construire progressivement dans le temps une collection de référence dont la valeur doit être absolue (par la qualité intrinsèque des ouvrages et par le suivi éditorial de la production), et à adapter cette collection simultanément aux particularités et aux axes locaux. La contradiction se résout en un constant va-et-vient entre ces deux exigences.

Une offre attractive : la gestion de la transversalité

Parmi les thèmes qui peuvent permettre d’adapter la collection aux besoins immédiats, sans mettre en péril la construction de base, la prise en compte de la transversalité disciplinaire des recherches conduit à offrir un service supplémentaire. L’étude de la recherche lyonnaise a mis en lumière une forte tendance à l’interdisciplinarité, souvent reconnue ailleurs : les chercheurs en Lettres s’intéressent aux historiens bourguignons du XVe siècle, aux écrits des socialistes utopiques du XIXe, à la chanson populaire, aux théologiens médiévaux, à la réception des oeuvres romanesques au cinéma ou au théâtre.

Cette constatation s’accompagne de difficultés d’acquisition dans les bibliothèques de faculté, car il est difficile d’intégrer à une collection de lettres françaises des ouvrages généraux ou spécialisés d’histoire. Ici, la bibliothèque encyclopédique offre de nouvelles possibilités pour les chercheurs : le coordonnateur des acquisitions peut veiller à la complétude des disciplines en repérant les zones interdisciplinaires et en soulignant les frontières à surveiller entre les disciplines déjà constituées. Faire la liste des écrivains de la latinité tardive, toutes disciplines confondues (littérature, histoire, théologie, ouvrages scientifiques), conduit à veiller à ne pas laisser de zone non couverte entre le fonds de latin classique et celui de littérature en langue vernaculaire, et à réfléchir à une classification cohérente entre ces différents secteurs. Ainsi, on peut imaginer une concertation entre le sélectionneur d’histoire et celui de lettres classiques pour décider dans quelle partie de la collection on classera et on signalera Eginhard ou Gerbert d’Aurillac, en fonction du public visé : c’est ici moins la place physique qui, si elle obéit à une cohérence claire, ne pose pas de problème, que la richesse de l’indexation et la capacité d’orienter le public (ce qui recouvre la signalétique comme les compétences du service de renseignement de la bibliothèque) qui sont en jeu, c’est pourquoi j’ai parlé de service supplémentaire. La gestion de la transversalité n’est pas qu’une question d’acquisitions.

La constitution de corpus

Bruno Béguet a exposé dans un récent numéro du Bulletin des Bibliothèques de France  5 la méthode de classement des oeuvres associées à leurs critiques qui a été mise en place à la Bibliothèque nationale de France. Le travail scientifique supposé par la constitution des corpus eux-mêmes peut être un préalable aux acquisitions. On peut rappeler que l’Établissement Public de la Bibliothèque de France (EPBF) s’est entouré d’un comité d’experts et a commandé des études à des chercheurs afin de définir priorités et couverture pertinente de certains sujets. On pourra consulter à ce sujet l’article que Christian Puech et Valérie Tesnière ont consacré à l’étude concernant la linguistique 6. Ces études ont permis de repérer les limites précises des domaines de recherche et ont contraint à modifier la classification Dewey pour l’adapter aux disciplines considérées.

Si on ne peut pas compter sur une telle collaboration d’experts au niveau de chaque bibliothèque universitaire, le bibliothécaire peut très bien lui-même constituer les différents corpus (les travaux préalables entrepris par l’EPBF sont à ce titre très utiles… si on peut se les faire communiquer) et les soumettre aux chercheurs par la suite afin de les faire valider. C’est une étude de ce type que j’ai menée pour la littérature du Moyen Âge à partir des corpus de la BnF, des axes de recherche lyonnais (entretiens avec des chercheurs et analyse des programmes des centres de recherche) et avec l’aide d’un ouvrage de référence, en l’occurrence le Dictionnaire des Lettres françaises : le Moyen Âge de Robert Bossuat.

Le corpus auquel je suis parvenue couvre les textes littéraires considérés comme fondamentaux du IXe au XVe siècles, indépendamment de leur disponibilité. Ce corpus peut également être utilisé pour sélectionner les modes d’acquisition : tel ouvrage fondamental, mais qui n’est plus édité, sera repéré dans des fonds numérisés (Gallica par exemple), tel autre sera acheté sur le marché de l’antiquariat ou inscrit sur une liste des ouvrages à numériser localement. Constituer une bibliothèque aujourd’hui ne se conçoit pas uniquement sur le mode de l’accès matériel au texte, mais sur celui, plus large, de la mise à disposition du document, sous une forme ou sous une autre. Le service que l’on rend au lecteur s’accompagne suivant les cas du traitement traditionnel du document ou de la mise en oeuvre d’une orientation du lecteur vers le document, où qu’il se trouve. Le corpus reste le fondement auquel se réfère le bibliothécaire pour assurer la cohérence de la collection dont il a la charge.

De la connaissance de la discipline à son organisation bibliothéconomique

Bruno Béguet souligne dans son article l’inadéquation de la méthode des scorpus pour les disciplines qu’on appréhende plus justement par les thématiques. En Lettres même, l’utilisation des corpus n’est pas exclusive d’autres méthodes qui ont l’avantage de permettre de quadriller les champs disciplinaires. Ainsi, la classification Dewey peut devenir un outil d’analyse de domaines pour lesquels les acquisitions demandent à être modulées. À Lyon, la carte documentaire prévoyait que la linguistique soit exclue du champ de la Bibliothèque centrale Lettres et Sciences humaines, car il existe, dans chacune des universités, une bibliothèque spécialisée en ce domaine.

C’était là une décision difficile à soutenir d’un point de vue bibliothéconomique, car on ne peut guère concevoir une bibliothèque de recherche en Lettres ne couvrant pas du tout la linguistique. Il fallait donc, pour tenir compte des ressources documentaires existantes, réussir à cadrer parfaitement le champ restreint de la linguistique pour la Bibliothèque centrale, le principe retenu étant de couvrir la linguistique dans ses généralités, mais pas au niveau de la recherche. L’étude à laquelle j’ai procédé dans ce sens, sans préjugé du devenir de cette décision initiale un peu hardie, illustre un cas plus général : comment moduler finement les acquisitions au niveau non d’une discipline tout entière mais de ses composantes ? Il est possible d’utiliser la segmentation de la discipline selon les indices Dewey, afin de repérer les sous-champs qui sortent du domaine d’acquisition, ou bien ceux qui seront couverts de manière non exhaustive ou moins intensivement, en attribuant à chaque sous-champ une indication selon l’échelle du Conspectus. L’exemple du tableau ci-dessous présente un échantillon de ce que ce type de segmentation peut donner. L’objectif est, encore une fois, d’expliciter les pratiques et de les harmoniser : à partir d’une telle étude, il est envisageable de mettre au point des collaborations entre responsables des différentes bibliothèques couvrant la discipline et de gérer les principes retenus par la carte documentaire, nécessairement schématiques (cf Tableau 1).

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Tableau 1 - Segmentation selon les indices Dewey et niveau d'acquissitions Cospectus

Élaborer des protocoles de sélection

L’étape d’aboutissement de la politique d’acquisition, avant les acquisitions elles-mêmes cela s’entend, réside dans l’élaboration de protocoles de sélection. Il s’agit d’une modélisation des principes d’acquisition qui peut se décliner en sous-disciplines à l’intérieur de la discipline considérée. Ainsi, on créera un protocole de sélection pour la littérature médiévale qui prendra en compte les particularités de cette partie de la collection de Lettres françaises. Un modèle unique ne ferait en effet que recenser les caractéristiques les plus générales des différents secteurs de la collection de référence.

Le protocole de sélection rappelle les objectifs de constitution de la collection en décrivant le contexte de la recherche et de l’enseignement, présente le corpus d’auteurs, indique les auteurs appartenant à d’autres disciplines et dont il faut veiller à la couverture, ainsi que les procédures de collaboration nécessaire, détaille le budget alloué, et décrit schématiquement les principes d’acquisition (quel niveau, dans l’échelle du Conspectus, on vise pour tel ou tel domaine, quels domaines sont couverts par le réseau documentaire, quel pourcentage d’ouvrages en langue étrangère on acquiert, quels types de documents et quels supports sont achetés). Ces principes y sont commentés, des exemples précis sont donnés.

Enfin, on peut y présenter les aides à la sélection disponibles (ouvrages bibliographiques, périodiques spécialisés, sites Internet), la fréquence des acquisitions, voire les procédures informatiques à maîtriser. On voit que c’est un document approfondi qui est d’un grand recours pour le suivi des acquisitions et le passage de relais lors de changement de personnel.

Une grille d’aide à la sélection (cf. Tableau 2)

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Tableau 2 - Grille d'aide à lasélection. Exemple

Pour répondre à la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les sélectionneurs afin que chacun garde à l’esprit les principes de la politique d’acquisition, on peut imaginer un outil d’aide à la sélection, modulable et simple à utiliser : une grille d’aide à la sélection (cf grille) explicitant les priorités d’acquisition, sur fichier Excel à défaut d’être intégrée au module d’acquisition du Système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB). Les critères de sélection retenus sont au nombre de quatre. Il s’agit des priorités (définies d’après la politique d’acquisition générale et d’après les urgences temporaires), des axes de la recherche, de la couverture linguistique et de l’actualité (prise en compte des commémorations, des programmes de concours).

À chacun de ces critères, on attribue une valeur numérique sur une échelle déterminée. La somme de ces valeurs constitue une « note ». Les ouvrages ayant atteint au moins la même valeur numérique déterminent un sous-ensemble à partir duquel on peut fixer des seuils d’acquisition (on achètera tous les ouvrages ayant atteint au moins telle valeur et correspondant à telle somme disponible au budget). Les ouvrages que l’on rejette temporairement restent sélectionnés pour une phase d’acquisition ultérieure, cela évite d’oublier d’acquérir les ouvrages dont on a les références, mais qu’on n’a pas pu acheter tout de suite, et surtout cela permet d’avoir des critères similaires entre sélectionneurs de disciplines différentes.

Dans la même grille, on fait apparaître les paramètres appelant des procédures particulières : le support (références à transmettre aux acquéreurs du support en question), disponibilité (références à transmettre au responsable des acquisitions sur le marché de l’antiquariat ou au responsable de la politique de numérisation), prix (soumission au-delà d’un certain seuil à un comité d’acquéreurs ou aux commissions consultatives spécialisées). L’avantage est encore une fois d’harmoniser les pratiques dans une bibliothèque pluridisciplinaire et de présenter sous une seule grille des informations qu’il est ensuite aisé de traiter différemment (envoi de fichiers attachés aux différents responsables, conservation pour une autre phase d’acquisition, statistique quand les modules de statistiques des SIGB sont peu maniables, etc.).

Le principal souci de cette étude avait été, on le voit, de mettre au point des outils polyvalents et visant à une rationalisation des procédures. L’effort de formalisation ne doit pas tourner au formalisme inutile : cette grille est adaptable selon les disciplines, elle doit être constituée par l’équipe de sélectionneurs si on veut qu’elle soit adoptée et elle doit évoluer selon l’état de la constitution de la collection.

La constitution des collections de la nouvelle bibliothèque des universités de Lyon 2 et Lyon 3, associée à la bibliothèque de l’École normale supérieure Lettres, aura permis de réfléchir aux enjeux documentaires suscités par une telle entreprise. La bibliothèque d’étude et de recherche est un concept élargi qui ouvre ces sortes de laboratoires que sont les bibliothèques de 3e cycle à un public comprenant des étudiants dès la maîtrise : on reconnaît là des similitudes avec le haut-de-jardin de la BnF. Cette orientation nécessite une formalisation de la gestion documentaire, car il faut à la fois acheter des ouvrages pour l’enseignement et pour la recherche spécialisée, répondre à des besoins précisément identifiés, et couvrir la production courante visant les étudiants qui s’initient à la recherche. On sait que cette bibliothèque sera hybride, les supports traditionnels étant complétés et enrichis constamment par des documents électroniques, la logique de l’accès cédant le pas devant celle de la fourniture matérielle.

Cependant, la violence de l’événement qui a précipité cette évolution pour Lyon et la constante tension existant entre les universités, autonomes mais pauvres, et l’État, parcimonieux et soucieux de l’efficacité de ses investissements, ont rendu extrêmement difficile la réalisation du pari projeté : les hésitations des directives données (bien des points de la carte documentaire restent flous), la lenteur de la mise en route de collaborations efficaces entre les différents acteurs, et surtout le manque de moyens, chronique et quotidien, ont fait que ces réflexions, ces esquisses de solution ont reçu peu d’échos.

Les principes de la politique d’acquisition de la Bibliothèque centrale des universités de Lyon ont été publiés sur la page Web de Lyon 2 7 : c’est là une pratique encore rare pour une bibliothèque universitaire française, et cela permet de rappeler que l’essentiel d’une bibliothèque ne réside pas dans ses murs, mais dans ses collections.