Bibliothèques et publics handicapés

Isabelle Masse

« Les États feront en sorte que les handicapés soient intégrés dans les activités culturelles et puissent y participer en toute égalité » 1. Qu’en est-il dans les bibliothèques? C’est à cette question que les participants à la journée de sensibilisation et d’information, organisée le 18 mai 2000 par l’Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP) au Centre Georges-Pompidou, ont tenté de répondre.

Multidimensionnelle, difficile à analyser et à estimer, la notion de handicap n’a pas de définition unique et réelle 2. La diversité des situations, l’incertitude des quantifications précises et des différents aspects, l’intrication des différents éléments, l’aggravation des handicaps avec l’âge… se reflètent dans les résultats parfois divergents des enquêtes menées par divers organismes (Institut national de la statistique et des études économiques-Insee, Institut national de la santé et de la recherche médicale-Inserm, Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations-CTNERHI…).

Accessibilité et communication

L’accessibilité – c’est-à-dire la possibilité d’entrer dans un bâtiment par l’endroit habituel, de circuler sans se heurter à des obstacles et d’utiliser tout le matériel (banques d’information, tables, ordinateurs, rayonnages…) – fut la notion principale abordée dans plusieurs interventions. Jean-Marc Bernard et Sébastien Bouillon, de l’Association des paralysés de France (APF), ont mené une enquête dans les cinquante-six bibliothèques de la ville de Paris : quarante sont officiellement répertoriées comme accessibles; en fait, seules cinq le sont de manière réglementaire 3.

Les personnes atteintes de handicaps auditifs et visuels éprouvent des difficultés de communication; le personnel également, parfois désemparé par la crainte de mal faire, de blesser, de ne pas savoir « comment s’y prendre ». C’est par la langue des signes et la lecture labiale que les personnes sourdes et malentendantes peuvent se faire comprendre. À ces moyens de communiquer se sont ajoutés la messagerie du Minitel et le courrier électronique. Pour les aveugles et grands déficients visuels, des livres imprimés en gros caractères, en braille, mais aussi des ordinateurs adaptés, dotés de synthèse vocale, de clavier et d’imprimante braille, de logiciels d’agrandissement de caractères pour les textes numérisés, de télé-agrandisseurs… permettent de concilier handicap et lecture. Le DVD (Digital Versatil Disc) va peu à peu remplacer les enregistrements de textes sur cassettes, difficiles à manipuler et souvent de mauvaise qualité. Internet est accessible grâce à des logiciels de navigation spécifiques. À ce sujet, Corinne Loyer et l’équipe de la Bibliothèque publique d’information (BPI) ont évoqué le problème de l’accessibilité des sites Web 4, actuellement en cours d’étude par le groupe de travail WAI (Web Accessibility Initiative) 5. Certains proposent des bibliothèques numériques 6, mais les nombreux problèmes de droit empêchent encore leur extension.

L’Institut national des jeunes aveugles (INJA) élabore, en partenariat avec la BPI, une base de données de l’édition adaptée, dont l’objectif est de collecter et de diffuser les données bibliographiques en vente ou en prêt sur le territoire national, de mettre à disposition l’information qui permet d’accéder à la documentation. On compte aujourd’hui environ 68000 notices pour 182 détenteurs – 24 bibliothèques publiques, 158 organismes spécialisés, publics ou privés – dans différents domaines documentaires. Il s’agit d’adaptations en braille abrégé, d’enregistrements sonores, d’éditions en gros caractères ou en relief. D’ici quelque temps, un site Web donnera l’accès au catalogue local, à des catalogues distants ou à des sites.

Échanges, partenariats et formation

Qu’en est-il concrètement parlant? Nicole Saint-Denis, responsable de l’espace Diderot qui accueille les personnes handicapées à la bibliothèque municipale de Bordeaux, souligna avec force que l’amélioration des services rendus aux publics handicapés ne dépend pas uniquement des moyens financiers que l’on peut y consacrer. Elle recommanda chaudement la pratique des échanges et du partenariat, mise en place à Bordeaux et qui donne de très bons résultats 7.

La bibliothèque municipale d’Amiens mène une expérience originale : l’accueil, pour des séances de « lecture », de très jeunes enfants sourds profonds, en partenariat avec un Centre de rééducation. Pour Françoise Lapère, l’objectif est de susciter l’intérêt de l’enfant sourd pour le livre, pour le plaisir du livre, de l’histoire. Les séances se déroulent en présence des familles et du personnel du Centre; une éducatrice malentendante transcrit les mots ou les histoires en langue des signes.

La bibliothèque de l’université de Paris X-Nanterre offre un service de prêt aux étudiants « empêchés », service auquel tout le monde peut faire appel et qui a pour mission de servir de médiateur entre le document et l’étudiant ou le chercheur qui ne peut pas se déplacer. Pour Christine Pluvinage, sa responsable, l’existence et le maintien de ce type de service dépendent de la volonté politique de la direction de l’établissement, en lien avec l’université, le Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS), les transports en commun, la résidence universitaire…

Quant à la formation des personnels de bibliothèque en direction des handicapés, elle n’est que très récente 8. Un certain nombre d’organismes, signalés par Annick Ghersin, de la Bibliothèque nationale de France (BnF), proposent des formations courtes à la connaissance du braille ou de la langue des signes, des formations techniques ou matérielles, des stages de sensibilisation, destinés à donner des conseils aux personnels en contact avec le public (accueil, sécurité, vestiaire…).

L’accueil des handicapés, préoccupation partagée par l’ensemble des professionnels, fait maintenant pleinement partie des notions de service public et d’égalité d’accès pour tous. Il est à replacer dans le contexte plus général de l’accueil de l’ensemble des publics. Dominique Arot, du Conseil supérieur des bibliothèques (CSB), rappela les cinq recommandations 9 publiées par le CSB en 1995 : favoriser le partenariat et les actions collectives; adapter le droit (édition/bibliothèque); rattraper le retard de bibliothèques – en trop lents progrès – et le manque d’expertise sur les programmes de construction; évoquer l’emploi des personnes handicapées dans les bibliothèques; réaffirmer la bibliothèque comme service public, lieu de communauté et de mixité sociale.

  1. (retour)↑  Organisation des Nations-Unies. Résolution 48/96 du 20 décembre 1993.
  2. (retour)↑  Pascale Roussel, du CTNERHI, distingue cependant trois types de handicaps : de type administratif (défini par exemple par la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel); de type gestionnaire (attribution d’allocations, de pensions…); de type fonctionnel qui concerne les personnes gênées dans leur fonctionnement quotidien.
  3. (retour)↑  Loi n° 75-534 du 30 juin 1975, complétée par la loi n° 91-663 du 13 juillet 1991 (cf. Bibliothèques et publics handicapés, Paris, Direction du livre et de la lecture; Fédération française de coopération entre bibliothèques, 1998, 3e éd. rev. et mise à jour, p. 19).
  4. (retour)↑  Circulaire du 7 octobre 1999 (Journal Officiel du 12 octobre 1999) sur l’accessibilité des sites Internet des services et des établissements publics de l’État : http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref
  5. (retour)↑  Le WAI appartient à une organisation internationale, le consortium W3 : www.w3.org/WAI
  6. (retour)↑  Par exemple, www.braillenet.jussieu.fr
  7. (retour)↑  Échanges avec les autres services de la bibliothèque, les bibliothèques de quartier et bibliobus, ou avec des organismes extérieurs, tels que l’agence de Coopération des bibliothèques en Aquitaine-CBA; partenariats avec les organismes de type associatif (Groupement pour l’insertion des handicapés physiques, Groupement des intellectuels aveugles et amblyopes), mais également avec les institutions régionales ou nationales (instituts pour jeunes sourds et jeunes aveugles d’Aquitaine, ville de Bordeaux, Direction du livre et de la lecture), ou certains organismes privés (Société bordelaise de lunetterie, professionnels de la vision).
  8. (retour)↑  Marie-Cécile Robin, « Accueil des non- et malvoyants dans les bibliothèques », BBF, 1990, n° 6, p. 366-372.
  9. (retour)↑  Le Rapport du président [du CSB] pour l’année 1995 est accessible à l’adresse suivante : http://www.enssib.fr/autres-sites/csb/