Les bibliothèques contre l'« illectronisme »
Jérémie Desjardins
Le développement des ressources documentaires de type électronique dans les bibliothèques pose un problème crucial : celui de la formation et de la médiation des usagers à ces nouvelles pratiques de recherche. Ce secteur devient alors un enjeu majeur pour les professionnels des bibliothèques qui doivent évaluer exactement leur rôle, mais aussi les moyens nécessaires à la réalisation de leur mission de formation à l’information.
C’est de ces thèmes que, le mardi 21 mars 2000, Odile Validire, pour la Bibliothèque publique d’information (BPI), Catherine Bonhomme, pour la Bibliothèque nationale de France (BnF), Élisabeth Noël, pour l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), et Odile Riondet, de l’université de Mulhouse et modérateur de ce débat, ont débattu lors d’une table ronde – « Les bibliothèques contre l’« illectronisme » – organisée par la cellule Formist de l’Enssib, dans le cadre du Village e-book au Salon du livre de Paris.
L‘« illectronisme »
La définition du néologisme « illectronisme », qui transpose le concept d’illettrisme dans le domaine de l’information électronique, fut donnée par Élisabeth Noël : il s’agit d’un manque de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation des ressources électroniques. On peut recenser deux types de difficultés éprouvées par le lecteur dans l’accès à ces ressources : celles qui sont liées à la pratique et à la manipulation de ces nouveaux outils et celles qui sont liées au contenu et à la vérification des informations véhiculées. Il faut alors distinguer deux sortes de bibliothèques : celles qui proposent l’approche bureautique de la formation à l’information dite « électronique » (comme à Issy-les-Moulineaux ou à la BPI dans une certaine mesure), et celles qui privilégient une approche bibliographique de ces supports, à l’exemple de la BnF.
L’appropriation de nouveaux moyens de recherche de l’information, tel qu’un catalogue informatisé par exemple, par les usagers, n’est pas une évidence : il peut exister des handicaps d’ordre pratique – la manipulation des outils informatiques –, mais aussi des obstacles venant du contenu, et notamment de la structuration de l’information spécifique à ces supports. À la BnF, 200 postes permettent à la fois d’accéder à Internet, de consulter le catalogue de la bibliothèque et les cédéroms. Les lecteurs ont alors parfois du mal à identifier les supports et manquent de repères dans les différentes interfaces offertes : il est donc indispensable de les informer sur la masse d’informations accessibles et de bien différencier les niveaux. À la BPI également, Internet pose aux non-initiés de réels problèmes d’utilisation : dans la structure de l’information véhiculée sur la « toile », mais aussi en ce qui concerne l’identification et la validité scientifique de cette information.
Le rôle des bibliothèques dans l’accès au document de type électronique est donc essentiel, notamment pour l’évaluation et la sélection des sites et l’offre éventuelle de signets 1.
La formation des usagers
Outre un accès réfléchi aux ressources, de nombreuses bibliothèques aident les usagers à maîtriser et à chercher l’information par des formations spécifiques.
C’est le cas des bibliothèques universitaires, décrit par Élisabeth Noël. Depuis la réforme Bayrou des enseignements de 1er cycle, les étudiants de 1re année de DEUG (diplôme d’études universitaires générales) doivent suivre une « unité d’enseignement de méthodologie du travail universitaire », à laquelle la bibliothèque participe, selon les textes officiels. Cela peut aller d’une simple visite à une véritable initiation à l’utilisation du catalogue ou d’Internet. Au cours des 2e et 3e cycles, sont ponctuellement proposées des formations à la recherche bibliographique, à l’exemple du CADIST (centre d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) des sciences de la terre de l’université de Jussieu, qui forme à l’utilisation des bases de données en sciences de la mer ou en géologie.
Élisabeth Noël a ensuite présenté le site Web Formist (hébergé par l’Enssib) 2, dédié à la formation à l’information scientifique et technique, mis en place par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation du ministère de l’Éducation nationale à destination des usagers et des professionnels effectuant des formations des usagers. Ce site propose des supports de cours autour de l’information – recherche, évaluation, traitement – accessibles par thèmes (recherche sur le cédérom Pascal) ou disciplines (l’Internet pour les juristes : panorama des ressources) –, ainsi que des espaces d’échanges et de recherche. Il a pour vocation de fédérer et de mutualiser les efforts des bibliothèques en matière de formation des usagers. Son accès est libre et gratuit.
À la BnF, le public est en majorité composé d’étudiants. Depuis 1997, des ateliers d’initiation à Internet ont été mis en place pour des groupes de dix personnes. Puis, après enquête auprès des lecteurs, des ateliers d’approfondissement et de méthodologie ont été lancés pour la recherche sur le réseau sur des thèmes tels que formulation des questions et logique booléenne, ou identification et analyse de sites Web. Cependant, il n’existe pas d’ateliers disciplinaires, la formation reste de nature encyclopédique, la difficulté tenant essentiellement à la variété du public et à l’hétérogénéité de ses besoins 3. La BnF dispense également des formations à l’utilisation du catalogue de la bibliothèque, ainsi que sur les recherches en magasin pour la consultation de collections de type patrimonial ou de périodiques anciens. Enfin, un guide de recherche en bibliothèque a été mis en ligne, sur le modèle de ce qui se fait aux États-Unis 4 : ce vade-mecum décrit les étapes basiques d’une recherche en bibliothèque. Catherine Bonhomme a également tenu à souligner que, malgré la sélection de signets effectuée par la BnF, l’identification et la validation des sites demandaient un travail énorme et devaient nécessairement s’effectuer avec la collaboration de tous, notamment des chercheurs. L’évolution rapide de ces nouveaux outils oblige les bibliothécaires à une adaptation permanente.
La BPI, qui vient juste de rouvrir ses portes, a deux projets de formation à Internet, décrits par Odile Validire : des séances d’initiation à la recherche documentaire à partir d’outils tels que les moteurs de recherche ou les répertoires; et des formations plus spécialisées sur les entreprises ou la recherche d’emploi. Un travail de sélection de sites – classés selon la classification décimale universelle – est en cours de réalisation.
Pour conclure, Odile Riondet s’est interrogée sur les évaluations faites à l’issue de ces séances de formation, de nature très diverse. À la BnF, le taux de satisfaction à la fin des ateliers d’initiation est de 80 %, mais certains éprouvent le besoin de revenir. Satisfaction également constatée à la BPI, mais aucune réelle évaluation n’y a été menée. L’évaluation dans le domaine de la formation est difficile, a ajouté Élisabeth Noël; selon une étude réalisée par Alain Coulon à l’université de Paris 8, les étudiants de DEUG y ayant suivi le module de méthodologie et de recherche documentaire auraient plus de réussite dans la suite de leur cursus universitaire 5. Odile Riondet a rappelé les performances toujours renouvelées du tutorat en matière de suivi méthodologique auprès des étudiants.
La médiation en bibliothèque
Les mutations de l’information imposent une nouvelle relation avec les usagers et placent le professionnel des bibliothèques aux frontières de la recherche, dans la mesure où il est chargé, par un travail d’identification et de sélection, d’ajouter une valeur propre à l’information mise à la disposition du lecteur. C’est là son rôle de médiateur. Un rôle qui, pour Catherine Bonhomme, n’est pas nouveau dans les bibliothèques, un rôle qui se matérialise depuis toujours dans le choix des collections, un rôle confirmé par la nécessaire adaptation des professionnels aux nouvelles technologies : le travail de formation demeure toutefois énorme et les moyens ne suivent pas toujours. Odile Validire, qui partageait ce point de vue, a souhaité qu’Internet continue à être offert aux lecteurs : la bibliothèque, a fortiori si elle est de lecture publique, doit assumer son rôle de médiation, au même titre que l’Éducation nationale par exemple.
Pour Élisabeth Noël, les bibliothécaires ont des compétences spécifiques dans le domaine de la recherche d’informations, compétences qui s’appliquent parfaitement à des supports électroniques tels qu’Internet. L’information véhiculée, contrairement aux apparences, n’est pas toujours directement utilisable par le lecteur : elle doit être sélectionnée, validée, structurée, en somme médiatisée.