Editorial

Bertrand Calenge

11 juin 1999. Libération publie un long entretien avec Joseph Jacobson, inventeur de l'encre électronique qui permettrait à chacun de disposer d'un livre unique, spécialement conçu, aux textes indéfiniment rechargeables.

12 juin 1999. La communauté des bibliothécaires et des chercheurs apprend avec consternation que la bibliothèque de l'université de Lyon a brûlé pendant la nuit, et que 300 000 livres et périodiques indispensables pour la recherche ont été anéantis. Entre ces deux annonces, un même lecteur qui, tout à la fois, espère mille avantages du e-book (livre électronique) et compte sur les imprimés pour ses recherches. Au cœur de tous les débats sur l'information et ses formes multiples, c’est bien l’utilisateur qui est central. Un récent article de Robert Darnton (« Le nouvel âge du livre », Le Débat, n° 105, mai-août 1999) règle la pseudo-querelle des anciens et des modernes dans ce domaine : les signes transcrits sur un support imprimé ou une mémoire informatique, les circuits de diffusion construits autour du livre et de l’information électronique, s’inscrivent d’abord et toujours dans un dialogue entre un auteur et des lecteurs.

L'information devient virtuelle ? Le lecteur est toujours bien réel. Et face à l'écran qui prodigue une multiplicité d'informations, il y a des individus qui construisent leur soif de savoir selon leur stratégie propre. Cette stratégie, ou plus simplement cette pratique, ne fonctionne pas selon les diktats des prophètes ou des déplorateurs. Les processus sont complexes, variés, souvent inattendus.

Le retour au lecteur amène aussi à s'interroger non sur la richesse des informations ou sur les prouesses techniques des réseaux, mais sur les conséquences sociales de cette forme d'accès à l'information, à la fois en termes de moyens techniques des personnes, et des démarches intellectuelles que leur utilisation requiert. Dans ce contexte, comment les bibliothèques vont-elles poursuivre leur mission première, encourager le plus grand nombre à partager un savoir commun ? C'est sur cette question de médiation, et donc de publics complexes, que se construiront les bibliothèques de demain, que les Anglo-saxons qualifient déjà de « bibliothèque hybrides », dotées de collections multiformes.