Rapport annuel 1998

par Raymond Bérard

Inspection générale des bibliothèques

Paris : IGB, 1999. 125 p. ; 30 cm.

Le rapport annuel de l'Inspection générale des bibliothèques (IGB) fait partie de ces rendez-vous incontournables, avec celui du Conseil supérieur des bibliothèques, l'annuaire des bibliothèques universitaires et le recueil de données sur les bibliothèques municipales de la Direction du livre et de la lecture.

A la différence de ces deux derniers, dont les tableaux statistiques retracent les principales évolutions des bibliothèques françaises, le rapport de l'IGB offre une vision synthétique de l'année écoulée telle que peut la percevoir un corps d'inspection : thèmes d'intérêt général abordés lors des contrôles, sélection de grands dossiers portant sur le fonctionnement des établissements. Dans les programmes de travail reçus des ministères, apparaissent aussi quelques sujets qui ont fait l'actualité comme les avatars de l'ouverture de la Bibliothèque nationale de France ou le projet de musée de l'Homme, des Arts et des Civilisations dont la mission de préfiguration réfléchit à l'organisation de la documentation à partir des collections du musée de l'Homme.

Les grandes missions

Le rapport annuel, c'est d'abord le rappel des grandes missions de l'Inspection (contrôle, études, participation au recrutement et à la gestion des personnels ainsi qu'aux instances consultatives nationales), accompagné de tous les textes la concernant. Ce volet statutaire est complété par des renseignements pratiques (numéros de téléphone et télécopie, méls) et la répartition des zones d'inspection 1.

Sensiblement plus long que les années précédentes, le rapport 1998 reprend le même plan en trois parties : fonctionnement de l'IGB, activités et observations sur le fonctionnement des bibliothèques. C'est cette dernière partie ainsi que les annexes qui font l'objet de développements plus conséquents, avec le texte de l'intervention de Jean-Luc Gautier-Gentès au Conseil de l'Europe sur « Bibliothèques et démocratie » et le compte rendu du groupe de travail sur la bibliographie dans les services de l'Inventaire général.

Le fonctionnement de l'inspection n'a pas connu d'évolution notable en 1998. La réorganisation attendue depuis si longtemps n'est toujours pas intervenue et le projet de décret sur la clarification de son régime juridique est resté dans les tiroirs. Le lecteur partage l'impatience réitérée des inspecteurs. Maintenant que toutes les autorités semblent avoir donné leur accord, on peut raisonnablement espérer que le but est proche. Avec un effectif stabilisé à huit inspecteurs, les incertitudes ayant trop longtemps régné sur le devenir de l'inspection paraissent définitivement dissipées. On reste toutefois surpris de la modestie des moyens humains dont elle dispose pour l'assister dans sa tâche, puisque son secrétariat est maintenant réduit à un seul agent.

L'organisation des concours

Le nombre de contrôles, sensiblement équilibré entre les bibliothèques territoriales et universitaires, est en régression par rapport à l'année précédente (48 contre 56). La raison tient au nombre de concours organisés, puisque l'année 1998 a vu pour la première fois depuis bien longtemps l'ouverture de tous les concours de recrutement : chartistes, bibliothécaires, bibliothécaires adjoints spécialisés, bibliothécaires adjoints, inspecteurs de magasinage, magasiniers, magasiniers en chef.

La charge de travail représentée par l'organisation des concours auxquels se presse un nombre sans cesse croissant de candidats, apparaît particulièrement lourde même si l'année 1998 est exceptionnelle à ce titre, au risque de déséquilibrer les missions de l'Inspection. L'importance de cette tâche justifie que celle-ci lui ait consacré une vingtaine de pages où sont présentés l'évolution des flux des candidats, la constitution des jurys et le bilan des épreuves : à défaut de lire tous les rapports de concours, cette contribution constitue une excellente synthèse des procédures de recrutement.

Les inspecteurs, qui bénéficient d'un poste d'observation privilégié pour proposer les nécessaires évolutions, abordent en particulier la question de la répartition des postes entre concours externe et interne. Alors que 80 % des emplois de magasiniers en chef et inspecteurs de magasinage sont offerts au concours interne, conçu comme outil de promotion, les conditions restrictives mises pour s'y présenter font que le nombre de candidats internes est inférieur au nombre de postes offerts. Le nécessaire élargissement du vivier interne explique la libéralisation en cours des conditions d'ancienneté permettant de s'inscrire au concours de magasinier en chef.

Plus généralement, les inspecteurs expriment leurs inquiétudes devant la stagnation du nombre des candidats aux concours internes qui risque d'avoir des effets néfastes sur le niveau des recrutements. Leur autre préoccupation porte sur la nature des épreuves dont la professionnalisation semble profiter aux candidats (internes et faux externes) ayant travaillé en bibliothèque.

Des observations sur le fonctionnement des bibliothèques (titre bien modeste pour des études parfaitement documentées), celle sur le prix des documents par secteurs disciplinaires retiendra l'attention des bibliothécaires d'université qui disposent encore de trop peu d'éléments sur l'évolution des coûts de la documentation. Des graphiques éloquents retraçant l'historique des prix sur vingt ans, réalisés à partir d'un mini-observatoire des prix créé par un petit groupe d'établissements, confirment l'explosion du coût des périodiques scientifiques étrangers, qui ont doublé depuis 1995 avec un point culminant en 1999 (+ 35 à 41 % !). La documentation française n'est pas en reste avec une augmentation double de celle du coût de la vie.

Questions patrimoniales

Les rapports annuels réservent une place importante aux questions patrimoniales. C'est le cas avec le dossier sur la valeur des documents, qui concerne plutôt les bibliothèques publiques, et aborde un sujet auquel peu de professionnels sont heureusement confrontés : le mode d'évaluation de la valeur des documents détruits, réalisé par un expert à l'occasion d'un litige entre une ville et une compagnie d'assurances à propos d'indemnités de sinistre.

C'est encore le cas avec le point réalisé sur l'exercice du contrôle de l'État sur les collections patrimoniales, qui attire l'attention sur la publication du volume Protection et mise en valeur du patrimoine des bibliothèques de France 2 par la Direction du livre et de la lecture.

Des annexes, on retiendra, outre le compte rendu du groupe de travail sur la bibliographie dans les services de l'Inventaire général qui intéressera les spécialistes, l'intervention de Jean-Luc Gautier-Gentès citée plus haut. Dans le prolongement des inspections des bibliothèques gérées par le Front national, l'auteur s'interroge sur la notion de pluralisme et se félicite que ce débat ait précipité une réflexion de la profession sur les missions des bibliothèques, tout en déplorant que leur modernisation ait davantage mobilisé les bibliothécaires sur la technique (en particulier l'informatique) que sur le contenu des collections, qui constituent bien le cur du métier. Au-delà du consensus sur la logique première d'une bibliothèque culturelle et non politique, les avis divergent sur le point de savoir si celles-ci doivent ou non accueillir les thèses présentées directement par les partis politiques et surtout celles des partis extrémistes 3.

A travers ce débat, on retrouve deux conceptions de la bibliothèque : celle du « grand magasin culturel » où l'accent est mis sur l'autonomie du lecteur, à l'opposé de l'autre vision qui la perçoit comme un complément de l'école, où les bibliothécaires se donnent pour mission de corriger pour le bien commun l'anarchie du marché.

Au total, le rapport de l'IGB, outre qu'il rend compte de l'activité impressionnante et tous azimuts de cette institution, constitue un outil unique d'information pour l'ensemble de la profession. Il ne manque pas, avec la réserve et le sens de la mesure qui conviennent, de mettre le doigt sur quelques-unes de nos faiblesses : nous percevons notre mission davantage sous l'angle de la technicité qu'en terme de projet culturel. Ou encore : il est temps que nous replacions la constitution des collections au centre de nos préoccupations.

Mais il ne faudra pas y chercher d'allusion (sinon, très brièvement, en annexe) à l'arlésienne : le projet de loi sur les bibliothèques, dont tout le monde a entendu parler, mais que personne n'a jamais vu. Ce sont les limites imposées de l'exercice.

  1. (retour)↑  Toutes ces informations sont également disponibles sur le Web http://www.education.gouv.fr/sup/bib
  2. (retour)↑  Protection et mise en valeur du patrimoine des bibliothèques de France : recommandations techniques, Paris, Direction du livre et de la lecture, 1998.
  3. (retour)↑  Voir, dans ce numéro, l'article de Jean-Luc Gautier-Gentès, « Réflexions exploratoires sur le métier de directeur de bibliothèque : le cas des bibliothèques municipales », p. 14-26.