La formation à l'information scientifique et technique dans l'enseignement supérieur

Annie Le Saux

Depuis quelques années déjà, l’idée de compléter l’offre documentaire par de nouveaux services de formation des usagers fait son chemin dans l’esprit des bibliothécaires. L’apparition des cédéroms, complexes et variés dans leur utilisation, puis celle des réseaux ne firent qu’accroître cette nécessité. Afin de faire connaître les actions menées en matière de formation à l’information scientifique et technique dans l’enseignement supérieur tant en France qu’à l’étranger, s’est tenu, le 19 février, à l’université de Paris 8, un colloque organisé par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, la Conférence des présidents d’université et l’Association des directeurs de la documentation et des bibliothèques universitaires.

Usage de l’information et enseignement des disciplines

L’université, comme l’école, a un double rôle : celui de s’adapter aux mutations de la société et celui de lui transmettre des savoirs. Des savoirs que Gérard Losfeld, président de l’université de Lille III, définit comme le résultat du croisement de facteurs personnels – la connaissance – et de facteurs extérieurs – l’information. On est dans un univers complexe, où chaque discipline définit son code, variable selon l’histoire et selon la représentation qu’en ont les hommes. Un langage scientifique se constitue, qui emprunte souvent des expressions du langage naturel, et qui, combiné avec lui, forme le langage documentaire.

Pour répondre aux objectifs d’un diplôme universitaire, il convient d’acquérir une bonne connaissance de la discipline choisie, que l’étudiant doit compléter par des compétences plus générales, où entrent la maîtrise des sources d’information – primaires, secondaires, locales, à distance –, et l’acquisition d’une capacité à faire des recherches, dans les catalogues, sous forme papier ou informatisés… L’information scientifique et technique s’insère ainsi au cœur de la problématique des savoirs. Devant la surabondance de cette information, la diversification des canaux qui y donnent accès et une perpétuelle évolution des outils technologiques, une formation s’avère indispensable.

Mener à bien une telle formation implique une identification des besoins. C’est ce qu’a entrepris un groupe de travail 1, piloté par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, qui, de novembre 1997 à mai 1998, en a fait l’inventaire, avant de se pencher sur la façon dont ils étaient actuellement satisfaits et sur les moyens de mieux les satisfaire.

Les actions menées dans le domaine de la formation à l’IST (information scientifique et technique) sont passées, comme le constata Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, « d’actions isolées, peu légitimées, conduites par des missionnaires » à des actions plus collectives, émanant de débats à l’intérieur des universités et plus portées politiquement. Études et enquêtes en témoignent 2.

L’un de ces « missionnaires », Alain Coulon, professeur à l’université de Paris 8, a, dès 1986-1987, entrepris de mesurer l’impact de la formation documentaire sur la réussite aux examens 3. Les études qu’il a menées en ce sens lui permettent d’affirmer que « la formation des usagers est l’outil le plus efficace d’affiliation à l’enseignement supérieur ». Ce sont également ces corrélations entre pratique documentaire et taux de réussite, et une volonté de combattre l’échec en premier cycle, qui ont poussé l’université de Toulon et du Var à intégrer la formation à l’IST au cursus de l’étudiant 4.

Enseignement technique et méthodologique

Tout comme à l’université de Cergy-Pontoise, où la formation à l’information est prise en compte dans la politique de l’université. L’expérience présentée par le président de cette université, Bernard Raoult, s’est insérée dans « une démarche globale de l’université concernant l’utilisation des nouvelles technologies », avec, pour objectifs, « de faire prendre conscience aux étudiants, dès leur arrivée à l’université, du rôle de la documentation dans leur formation universitaire et de les outiller de façon à les préparer à mener à bien une recherche documentaire en bibliothèque ou à distance ». Dans cette formation, l’aspect technique et l’aspect méthodologique sont ainsi pris en compte.

Cependant, des observations récentes font ressortir que ce qui attire en premier lieu les étudiants dans la formation à l’IST, ce n’est pas la formation méthodologique, mais l’initiation aux nouvelles technologies, et plus particulièrement à Internet. A partir de l’enquête menée en 1997 par l’URFIST de Paris auprès d’étudiants moniteurs-doctorants dans des domaines scientifiques à Jussieu 5, Ghislaine Chartron a énoncé quelques constats intéressants sur les usages des ressources électroniques dans l’enseignement supérieur : l’accès à Internet se fait en priorité à partir des laboratoires (85 %), les étudiants interrogeant ce réseau à partir de la bibliothèque n’étant que 4 %. En revanche, l’accès aux cédéroms bibliographiques se fait surtout en bibliothèque (69 %).

La formation à l’IST se répartit, en général, entre des cours magistraux et des travaux dirigés, suivis d’une évaluation à partir des dossiers de synthèse réalisés par les étudiants. Une autre méthode, plus pragmatique, s’est répandue aux États-Unis, qui consiste, notamment pour les étudiants en médecine, à résoudre des problèmes à partir de cas réels ou simulés. Cette façon de faire est mise en pratique en France, notamment à l’université de Paris 8, ou encore en Belgique.

Mais, quelle que soit la méthode choisie, tous les intervenants jugent nécessaire que cette formation se termine par une évaluation, qui tienne compte à la fois du contenu de la synthèse et de la richesse bibliographique.

Peut-on dire que les étudiants sont satisfaits des formations qui leur sont données ? Oui, à 71 %, selon le questionnaire que les étudiants de Cergy-Pontoise ont rempli en 1998. A l’université de Toulon et du Var, les réponses sont plus mitigées, surtout en ce qui concerne la formation méthodologique. Seule, comme on l’a déjà noté, la formation à Internet remporte tous les suffrages. Un constat positif et général, cependant : la fréquentation et l’assiduité de la bibliothèque se sont accrues, et la connaissance que les étudiants en ont s’est améliorée.

Les expériences à l’étranger

Si l’on compare les expériences menées en France avec celles réalisées en Grande-Bretagne, au Québec et en Belgique 6, un certain nombre de points communs sont à relever, comme la conviction que la formation à l’IST est non seulement un facteur important de succès aux examens, mais qu’elle est aussi, à plus long terme, un atout dans l’acquisition de compétences de base essentielles dans la pratique professionnelle, à une époque où la culture de l’information joue de plus en plus un rôle de premier plan.

Pour Ian Winkworth, de l’université du Northumbria, Richard Laverdière, de la bibliothèque de l’université Laval, au Québec, Bernard Pochet et Paul Thirion, pour la Belgique, la formation des usagers passe aussi par une formation des formateurs, donc des bibliothécaires.

EDUDOC 7, groupe de formation des utilisateurs belges, à commencer par la formation de formateurs, a pour projet de créer un centre de recherche et de formation à l’information scientifique et technique, le CeRFIST, qui, sur le modèle des URFIST (Unités régionales de formation à l’information scientifique et technique), associera enseignant chercheur et professionnel de bibliothèque.

Formation de formateurs et formation des usagers se rejoignent dans des dispositifs utilisant les nouvelles technologies, et plus particulièrement le Web, comme FORMIST 8, mis en œuvre par le ministère de l’Éducation nationale et désormais géré par l’ENSSIB (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques).

En Grande-Bretagne, où les bibliothèques sont depuis longtemps engagées dans l’enseignement des sciences de l’information, le projet EduLib, partie du programme eLib (Electronic Libraries), développe de nouvelles compétences chez les professionnels de l’information et de la documentation dans l’utilisation des ressources électroniques. Cette formation, souligna Ian Winkworth, a contribué à la reconnaissance du rôle des bibliothécaires dans l’enseignement.

En France, en revanche, le rôle pédagogique du bibliothécaire n’est pas encore pleinement reconnu et les synergies entre bibliothécaires et personnel enseignant, jugées pourtant indispensables à la réussite des programmes de formation, sont largement insuffisantes. Sauf exception, comme à Cergy-Pontoise, où la formation pédagogique pluridisciplinaire est animée par une équipe pédagogique mixte, constituée d’une vingtaine d’enseignants de différentes disciplines scientifiques, de deux bibliothécaires et de deux techniciens d’informatique. Il n’empêche que, dans certains cas, les relations qu’entretiennent enseignants et bibliothécaires sont complexes et amènent à se poser la question de la mission pédagogique qu’a ou n’a pas à remplir le bibliothécaire.

L’un des mérites, et pas des moindres, de cette journée, fut d’associer des représentants des différentes instances concernées, à savoir des enseignants du supérieur et des conservateurs de bibliothèque, ce qui peut laisser espérer un engagement plus positif de la part du personnel enseignant, considéré comme l’un des facteurs clés pour réussir la formation à l’IST.