Archives, bibliothèques, musées

Les nouvelles perspectives de coopération en Europe

Annie Le Saux

Bertrand Calenge

Développer la coopération entre leurs établissements est l’un des objectifs que s’efforcent de poursuivre un certain nombre de bibliothèques, d’archives et de musées à l’échelon local, régional et national, souvent aidés en cela par les agences de coopération. Qu’en est-il au niveau européen ? C’est la question à laquelle s’efforcèrent de répondre les intervenants des deux journées d’étude organisées par la Fédération française de coopération entre bibliothèques et la Bibliothèque publique d’information les 10 et 11 décembre 1998 derniers.

Des réalisations nationales

La coopération n’est pas chose simple et chacun connaît les difficultés qu’il y a à faire collaborer des établissements travaillant dans une même sphère, et a fortiori ceux qui œuvrent dans des domaines différents. Alors, que dire des difficultés qui découlent de cultures, langues et façons de penser différentes ?

Pourtant, il existe des exemples de coopération qui se traduisent concrètement. La présentation, par Laurence Bobis, de deux répertoires nationaux vint confirmer cette volonté de créer des instruments fédérateurs. Pour constituer cet outil de travail transversal qu’est le Répertoire national des manuscrits littéraires français contemporains 1, toutes les institutions publiques et privées, accessibles au public, ont été mises à contribution. C’est grâce à la collaboration de la Direction du livre et de la lecture, de la Direction de la musique et de la Direction des Archives que verra le jour un second outil de travail transversal, Le Répertoire des arts du spectacle. Cette base de données, tout comme le RNMLFC, sera accueillie sur le système informatique de la Bibliothèque nationale de France.

La Finlande, puis l’Espagne, ont également témoigné de leurs projets de réseaux culturels structurés. Muisti (Mémoire en finnois) a pour objectif de numériser les collections libres de droit conservées dans les bibliothèques, archives et musées 2, et de rendre accessible sur le réseau la base de données ainsi constituée. Exemple de projet, où les technologies fédèrent différentes initiatives, Babel 3 a profité de techniques déjà existantes pour créer, à l’aide de passerelles, un réseau de bibliothèques et de musées en Espagne, accessible via Internet.

Une conjonction de plusieurs facteurs

« Pour coopérer, il faut que l’utilité de la coopération soit ressentie par tous les partenaires », souligna François Marin, directeur de la bibliothèque municipale de Saint-Étienne. La volonté de coopérer des différents acteurs, institutions et tutelles doit en outre s’accompagner d’un contexte favorable et d’un objectif précis. C’est la conjonction de tous ces facteurs qui a abouti, à Saint-Étienne, au réseau informatisé des bibliothèques de la ville : Brise.

Une conjonction pas toujours évidente à réaliser. Olivier Caudron, directeur de la bibliothèque municipale classée de Pau, a d’emblée soulevé la problématique de la coopération, depuis les divergences des tutelles jusqu’à des langages techniques différents, en passant par des partenaires potentiels qui n’ont pas les mêmes préoccupations, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes motivations, et qui, de surcroît, craignent la concurrence. Olivier Caudron a cependant fait montre de plus d’optimisme dans sa description de l’action de l’association Coopération des bibliothèques en Aquitaine, dont il est le vice-président, en faveur du traitement et de la valorisation des fonds de bibliothèques et d’archives en Aquitaine. Cette coopération a rapproché des établissements qui, expliqua-t-il, menaient auparavant des vies parallèles.

La coopération offre aussi d’autres avantages, dont les premiers s’adressent à l’utilisateur, pour qui la visibilité des ressources documentaires de l’ensemble du réseau simplifie et accélère la recherche. Pour les professionnels, la coopération apporte une amélioration du fonctionnement, leur permet de bénéficier de systèmes informatiques puissants, qu’ils n’auraient pu s’offrir seuls, et leur fournit une connaissance immédiate des fonds d’une ville, d’une région…

Si les avancées technologiques favorisent pour une bonne part le développement des réseaux, les contacts humains n’en sont pas pour autant à négliger. Ces derniers, qualifiés de réseaux « chauds », procurent une valeur ajoutée aux informations fournies par les réseaux « froids » – ouvrages, Internet, supports électroniques… Les effets de ces réseaux humains sont, en fait, peu visibles, constata Hilde Teuchies, secrétaire générale de l’Association des villes européennes de la culture de l’an 2000, et leurs résultats ne sont tangibles qu’à long terme. Cette absence de résultats est d’ailleurs l’un des obstacles pour se faire aider par les organismes officiels tant nationaux qu’européens.

Les programmes européens

La journée du 11 décembre s’est intéressée aux programmes institutionnels européens. La dimension culturelle relève d’abord de la Direction générale 10 (DG10), et Blandine Crespin-Billet, du département des Affaires internationales – DAI –, ministère de la Culture et de la Communication, insista sur le double principe des partenariats culturels et des échanges de savoir-faire entre les différents pays.

Si les 147 millions d’écus (disons euros en 1999) dégagés pour 5 ans ne sont pas tous consacrés aux institutions patrimoniales, les bibliothèques, archives et musées y ont leur place ; un Relais Culture Europe 4 vient d’être cofinancé, sous forme associative, par la DAI et la DG10 afin d’aider à monter les dossiers des projets recevables.

Mais la dimension culturelle des programmes européens ne se limite pas à la DG10 : Judith Neisse, consultante, lista les aspects culturels de nombreux programmes, tant dans le domaine du Fonds social européen (DG5) pour l’aide aux jeunes artistes par exemple, que dans celui de la politique régionale (DG16), ou dans le cadre mieux connu de la jeunesse, de l’éducation et de la formation (DG22), avec les programmes Leonardo (formation professionnelle) et Socrates (Éducation) 5. Ces différents programmes pluriannuels arrivent à échéance, et doivent être redéfinis en 1999. C’est le cas également pour la DG13, dont le 5e programme de « recherche et développement » doit couvrir les années 1999 à 2002 avec un budget de près de 15 milliards d’euros 6 : Jérôme Gastaldi, de la DG13, insista sur la volonté européenne d’unifier les actions soutenues, et sur l’intérêt porté aux contenus des projets et non à leur seule dimension technologique.

Afin que le tour d’horizon soit complet, Ruth Goodwin présenta quelques projets de soutien du Conseil de l’Europe à une dimension européenne de la culture : numérisation des archives du Komintern, inventaire des sources concernant l’histoire de la Pologne jusqu’en 1945, enfin le « train des écrivains de l’Europe » qui devrait sillonner le continent de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, à la fin du printemps 2000.