Les bibliothèques russes

De l'URSS à la Russie

Vladimir Nikolaevitch Zaïtsev

Dans cet article, l'auteur dépeint la situation complexe, dans laquelle se trouvent les bibliothèques, les maisons d'édition et les distributeurs de livres en Russie. Pour l'instant, les conditions juridiques et économiques ne sont pas encore stabilisées, mais un travail constant en ce sens permet d'espérer que ces problèmes ne tarderont pas à se résoudre.

In this article, the author depicts the complex situation in which libraries, publishers and book distributors in Russia have found themselves. For now the legal and economic conditions are still unstable but constant work in this direction allows the hope that their problems will be resolved before too long.

In diesem Beitrag versucht der Autor die komplexe Situation zu beschreiben, in der sich die Bibliotheken, die Verlage und der vertreibende Buchhandel in Rußland befinden. Im Augenblick haben sich die rechtlichen und wirtschaftlichen Bedingungen noch nicht stabilisiert, aber eine konstante Arbeit in dieser Richtung gibt berechtigte Hoffnung, daß diese Probleme sich schließlich lösen lassen.

Le passage de l’URSS à la Russie est apparu aux Russes comme un processus révolutionnaire, qui s’est déroulé d’une manière pacifique, tout en s’accompagnant de secousses significatives, qui se sont répercutées dans tous les domaines de la société. Tout a commencé en 1985, date à laquelle la perestroïka s’est étendue aux mondes tant politique qu’économique, et à la société dans son ensemble. Mais les principaux changements se sont produits après décembre 1991, lorsque l’Union soviétique s’est dissoute et que la Russie est devenue un État indépendant.

Les phénomènes sociaux qui ont transformé les sphères gouvernementales, politiques et sociales du pays, revêtent un aspect contradictoire. Leur influence sur le développement des bibliothèques en Russie s’est manifestée de différentes façons.

Les conséquences des réformes

Quand l’Union soviétique cessa de former un seul et unique pays, naquit sur son territoire toute une série d’États indépendants, séparés par des frontières, ayant des gouvernements autonomes, leurs propres règles, leurs monnaies, leur politique culturelle, scientifique et d’information.

L’unicité de l’espace informationnel de l’URSS prit fin. Les systèmes unifiés, qui existaient jusque-là dans le domaine des bibliothèques, de l’édition et de l’approvisionnement en livres, se sont délités. L’établissement de frontières, l’apparition de taxes douanières, la brusque hausse des prix dans le monde de l’édition, celle des envois postaux et la crise économique ne permirent pas aux bibliothèques de conserver des contacts professionnels solides. Cela causa un sérieux préjudice à la constitution des fonds de livres et de périodiques et nuit au développement de la science, de la formation et de la culture de tous les pays qui constituaient l’ancienne URSS. Ces pertes concernèrent non seulement les bibliothèques des anciennes républiques soviétiques, mais également les bibliothèques russes, dont les fonds pâtirent de l’absence d’échanges avec les autres républiques.

Dans chacun de ces pays, émergèrent des systèmes d’information indépendants, et un penchant pour des intérêts foncièrement nationaux se manifesta. Des bibliothèques nationales se constituèrent sur la base des bibliothèques des Républiques. De nouvelles maisons d’édition se mirent à publier des ouvrages dans les langues nationales, alors qu’auparavant, en URSS, la plupart des livres étaient édités en langue russe.

D’importants changements se produisirent également dans la structure même des bibliothèques russes. Suite à l’intérêt accru pour la culture nationale des peuples composant la Russie, dans presque toutes les Républiques membres de la Fédération, les bibliothèques régionales devinrent des bibliothèques nationales. Actuellement, 14 ont ce statut.

La hiérarchie des plus importantes des bibliothèques russes subit des modifications. Pendant la période soviétique, un certain nombre de bibliothèques remplissait les fonctions de bibliothèques centrales de toute l’URSS (la Bibliothèque d’État Lénine, la bibliothèque de l’Académie des sciences de l’URSS, la bibliothèque publique scientifique et technique de l’URSS, etc.). Avec la chute de l’URSS, toutes passèrent sous la juridiction de la Russie.

De nombreuses bibliothèques changèrent alors d’appellation. La Bibliothèque d’État de l’URSS ou Bibliothèque Lénine devint la Bibliothèque d’État de Russie (RGB), la Bibliothèque publique d’État Saltykov-Chtchédrine devint la Bibliothèque nationale de Russie (RNB) et la Bibliothèque de l’Académie des Sciences de l’URSS s’appelle désormais Bibliothèque de l’Académie des Sciences de Russie (BRAN), etc.

Ces réorganisations entraînèrent aussi le changement du statut de la plus importante bibliothèque du pays, la Bibliothèque d’État de Russie à Moscou, qui devint la Bibliothèque nationale de toute la Russie. La Bibliothèque nationale de Russie, à Saint-Pétersbourg, ayant, quant à elle, reçu ce statut dès sa création en 1795, il y a donc actuellement, en Russie, deux bibliothèques nationales : la RNB et la RGB. Cette situation est à présent entérinée par la loi fédérale sur « les bibliothèques », signée par le Président de la Russie en 1994. S’efforçant de développer une étroite coopération et d’éviter un travail doublonné, la Bibliothèque d’État de Russie et la Bibliothèque nationale de Russie ont signé en 1996 un « Accord sur la collaboration et la coordination des activités des bibliothèques de Russie ».

L’influence des changements politiques

Le changement de la situation politique a abouti aux mutations du rôle et des fonctions des bibliothèques dans la nouvelle société.

Pendant le régime soviétique, les bibliothèques étaient l’un des instruments de la politique du parti communiste. Avec leur aide, le parti réalisait ses programmes, qui visaient à éradiquer l’analphabétisme, à instruire les masses populaires, à les former à la science et à la culture.

Et, dans le même temps, le parti utilisait les bibliothèques pour faire la propagande du marxisme-léninisme, ainsi que de sa propre politique. Les bibliothèques subissaient un contrôle idéologique permanent. Afin de développer au maximum son influence sur la population, le gouvernement soviétique prit en charge le développement des bibliothèques du pays. De ce fait, la Russie avait un des systèmes de bibliothèques les plus ramifiés du monde, système qui comptait environ 150 000 bibliothèques, de différents niveaux, depuis les plus riches dépôts mondiaux jusqu’aux petites bibliothèques de village.

Le changement de système politique s’est traduit par la suppression du monopole du parti et la proclamation de son principe de neutralité, ainsi que par la démocratisation de la vie publique et la suppression de l’idéologie dans l’activité des bibliothèques. Il ne fut plus question, lors de la constitution des fonds, d’interdiction pour des motifs politiques, religieux (y compris lors de l’acquisition de littérature russe publiée à l’étranger, de Rossiki, Soviétiki, etc.) ; le lecteur put accéder plus facilement à l’information (la censure fut abolie, les réserves dans lesquelles était conservée auparavant la littérature interdite furent ouvertes, la limitation du prêt des documents fut levée, etc.).

Mais, en même temps, et du fait qu’elle ne servait plus les exigences du pouvoir, la culture a cessé d’être nécessaire au gouvernement pour mener à bien sa politique. Et la situation économique des bibliothèques en subit les conséquences. Maintenant, en règle générale, les budgets établis pour les bibliothèques ne sont pas exécutés. Même les bibliothèques nationales, dont le budget est fixé par une loi fédérale, ne perçoivent pas les moyens nécessaires pour s’abonner aux périodiques, acquérir des livres, sauvegarder et entretenir leurs bâtiments. Le budget 1997 de la Bibliothèque nationale de Russie, par exemple, n’a été réalisé qu’à moitié. La crise économique générale qui sévit en Russie en est sans doute la cause, et on ne peut qu’espérer une amélioration de la situation économique.

La nouvelle politique culturelle gouvernementale

Sous l’influence des changements qui se sont produits dans le pays, une nouvelle base juridique et normative s’est instaurée, concernant les activités culturelles et leur gestion. En 1992, fut adoptée la loi intitulée « Fondements de la législation de la Fédération de Russie concernant la culture », qui définissait la place de la culture dans l’État et prévoyait les garanties de son développement, dans le but d’établir des normes de financement.

La loi adoptée stipulait que la gestion de la culture serait décentralisée, et transférait au niveau local la majorité des pouvoirs, parmi lesquels le financement et la responsabilité des institutions de l’administration locale et régionale dans le développement des bibliothèques. Celles-ci se virent accorder une grande indépendance de gestion et de production. Ce mode de gestion spécifiait de nouvelles règles en matière de constitution et d’utilisation des ressources économiques. Selon cette loi, les régions doivent réserver 6 % de leur budget annuel à la culture ; les bibliothèques ont désormais la possibilité d’avoir une activité économique, qui leur rapporte de l’argent, de répartir les ressources perçues dans la bibliothèque comme elles le veulent, en accord avec la direction de la bibliothèque.

La nouvelle Constitution de la Fédération de Russie (1994) a conféré au pouvoir local le droit de décider des questions relatives au développement culturel de sa région, et reconnu l’indépendance des institutions de l’administration locale.

Cette régionalisation de la politique culturelle a des conséquences positives ou négatives selon les régions. Dans celles où la situation économique est stable, et où les dirigeants locaux ont une vision positive du rôle de la culture, les bibliothèques prospèrent. Dans d’autres, les bibliothèques sont dans une situation critique, au point d’être, pour certaines, obligées de fermer. Prenons un exemple de cette diversité des approches : en 1996, les dépenses en acquisitions des bibliothèques municipales ont diminué de 100 fois pour l’un des États de la Fédération à 1 000 fois pour la Russie tout entière.

C’est depuis 1994 que les bibliothèques, en Russie, ont leurs propres lois fédérales sur « les bibliothèques » et sur « le dépôt légal », qui, conformément à la législation, définissent les principes concernant les activités des bibliothèques et les droits du lecteur, garantissant le « libre accès à l’information, aux valeurs culturelles nationales et internationales, ainsi que le droit à toute activité culturelle, scientifique et instructive ». L’adoption de lois locales sur les bibliothèques et sur un dépôt légal local est actuellement à l’étude dans les régions.

Le changement du rôle des bibliothèques dans la société

Pendant la période soviétique, chaque année voyait une augmentation du nombre des bibliothèques et des lecteurs, ainsi qu’un accroissement du volume des ouvrages édités. Pour la première fois, cette tendance s’est inversée vers la fin des années 80 et le début des années 90 – la fréquentation des bibliothèques et le volume de la production éditoriale se mirent à diminuer. Cette période a coïncidé avec celle de graves bouleversements sociaux dans le pays. L’année 1992 fut particulièrement difficile pour les bibliothèques, lorsque la réforme économique entraîna une hausse des prix incontrôlée. Quelques bibliothèques durent fermer du fait de difficultés financières. Vers 1996, leur nombre avait diminué de 14 %.

On s’est alors interrogé sur la façon de maintenir un réseau principal de bibliothèques : ces dernières sont en effet les centres de la vie publique et offrent un lieu d’échanges à la population, elles sont devenues socialement indispensables à la société. En 1993, un programme de « conservation et développement de la culture et de l’art dans la Fédération de Russie » a été adopté, qui consacre un chapitre au soutien matériel aux programmes de développement des bibliothèques.

Ces dernières années, les bibliothèques déterminent de plus en plus la politique culturelle des régions, car, dans beaucoup de localités, ce sont les seuls établissements permettant un usage gratuit de l’information, et donc une initiation aux valeurs culturelles. Ces dernières années également, on a pu remarquer un afflux de lecteurs dans les bibliothèques, surtout dans les villes. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : de nouveaux besoins, comme la nécessité d’acquérir de nouveaux savoirs, d’élever son degré de qualification, quelquefois jusqu’à la surqualification, de se familiariser avec de nouveaux programmes d’étude, et surtout, et ce n’est pas la moindre raison, l’absence de moyens pour acquérir des livres pour son usage personnel…

Ces temps nouveaux ont également modifié la composition des usagers des bibliothèques. Le nombre de chercheurs et d’employés d’entreprises industrielles a diminué, mais celui des jeunes lecteurs a sensiblement augmenté. De nouvelles catégories de lecteurs sont apparues : des patrons et des catégories sociales à faibles revenus, comme les étudiants, les invalides, les retraités, les chômeurs. De ce fait, les bibliothèques ont eu comme nouvelle fonction d’apporter un certain équilibre et d’essayer de diminuer la tension sociale dans le pays.

La démocratisation de la vie publique des bibliothèques

Les changements démocratiques ont énormément facilité l’adhésion du personnel des bibliothèques à des associations professionnelles. Il y a, actuellement, en Russie, plusieurs organisations de ce genre, dont la plus importante est l’Association des bibliothèques russes (RBA).

Née en 1994, cette association reçut, un an après, un statut juridique et fit partie de l’IFLA, en tant qu’association nationale représentant la Russie. Elle réunit désormais plus de 100 membres collectifs : des associations et unions régionales, des bibliothèques de différents niveaux ou offrant différents services et des organismes proches des bibliothèques par leur activité. Son but est de réunir ces organisations, afin qu’elles participent au développement des bibliothèques en Russie et défendent les droits du personnel.

Depuis sa création, l’Association des bibliothèques russes s’est attachée à créer une législation sur les bibliothèques, à élaborer des programmes interdépartementaux et à développer la coopération internationale. Elle a pris part à l’élaboration des deux lois fédérales, celle sur les bibliothèques et celle sur le dépôt légal, dont il a été question ci-dessus. A son initiative, une nouvelle fête a été créée en Russie : la journée des bibliothèques russes, que l’on célèbre le 27 mai, jour qui coïncide avec celui de la création de la première bibliothèque publique nationale de Russie, la RNB, à Saint-Pétersbourg.

Actuellement, l’Association apporte une aide consultative lors de l’adoption de lois régionales concernant les bibliothèques. De telles lois ont déjà été adoptées par 17 des 89 régions que compte le pays. Le travail sur la formation continue du personnel et sur les normes se poursuit, avec, par exemple, l’examen par les organisations de bibliothécaires du Code de l’activité professionnelle et des Standards concernant l’activité des bibliothèques publiques.

L’Association des bibliothèques russes se charge de résoudre les problèmes bibliothéconomiques interdépartementaux. Afin de développer l’informatisation des bibliothèques russes, elle a entrepris de créer un format national de communication des données, qui puisse devenir un standard. Elle a réussi, dans ce but, à coordonner les efforts des 15 principales bibliothèques du pays. Et elle a lancé des travaux encore plus importants sur un Programme national de conservation des fonds.

L’Association des bibliothèques russes s’efforce également de développer la coopération internationale. Après la ruine du système socialiste, les bibliothèques de Russie, des pays de la CEI et de la Baltique ont pu sortir de l’espace clos formé par le bloc socialiste et s’intégrer à l’espace international des bibliothèques et de l’information. Les possibilités technologiques de coopérer avec les bibliothèques étrangères se sont développées. L’Association des bibliothèques russes entretient des contacts avec ses homologues aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, elle collabore à la Table ronde de l’IFLA sur le management des associations de bibliothèques (RTMLA). La participation des bibliothécaires russes aux conférences générales de l’IFLA s’est étoffée. Ainsi, à Copenhague, en 1997, la délégation russe comptait-elle 152 membres.

Des nouvelles technologies indispensables

Dans le domaine de l’informatisation, les bibliothèques russes accusent un important retard par rapport à de nombreux pays. C’est en 1995 qu’une loi fédérale fut adoptée sur « l’information, l’informatisation et la défense de l’information », selon laquelle les fonds et les ressources documentaires des bibliothèques doivent être accessibles à tous.

De ce fait, le gouvernement élargit les fonctions des bibliothèques, changeant de manière qualitative leur rôle dans la société, et les intégrant dans la nouvelle infrastructure de l’information en Russie. Ces derniers temps, ce problème a été examiné sous un angle politique, car on estime que le retard des bibliothèques russes dans le domaine des technologies de l’information risque de freiner le développement scientifique, et pourrait être, de ce fait, une menace pour la sécurité de la Russie et l’isoler du monde international de l’information.

Les bibliothèques russes, surtout les plus importantes, c’est-à-dire les bibliothèques nationales, fédérales, encyclopédiques et spécialisées, en tant que gardiennes ou détentrices de documents et de sources originales, éprouvent de réelles difficultés à échanger des informations aussi bien entre elles, qu’avec les bibliothèques étrangères, du fait de la modification de l’information elle-même et des méthodes de traitement des données, ainsi que de l’apparition du réseau Internet. S’inspirant des tendances internationales, la Russie a accordé plus d’attention non seulement aux fonctions civiques des bibliothèques, mais aussi à leur rôle dans le domaine de l’information.

Les bibliothèques russes ont donc entrepris de travailler à la création d’un réseau russe informatisé. C’est dans ce but qu’est né le programme LIBNET, qui participe au programme fédéral de « conservation et développement de la culture et de l’art (1997-1999) », ratifié par le gouvernement et doté d’un statut de programme présidentiel.

Le programme LIBNET englobe plusieurs projets : l’organisation d’un réseau informatisé de bibliothèques en Russie, l’élaboration d’un format national d’enregistrements bibliographiques sous une forme directement utilisable par la machine, la création d’un Centre de catalogage partagé et la participation des bibliothèques russes à Internet.

On peut espérer que, grâce à ce programme, la Russie disposera, entre 1998 et 2001, d’un réseau informatisé comprenant 150 des bibliothèques les plus importantes.

Les changements dans le monde de l’édition

Le travail en bibliothèque dépend pour beaucoup de la sphère éditoriale et de celle des fournisseurs, qui, comme les bibliothèques, ont subi, ces temps passés, de grands changements, que nous allons brièvement examiner.

La réorganisation sociale commencée à la fin des années 80 a conduit à des changements radicaux dans le monde de l’édition et dans celui de la distribution.

Jusqu’au moment de sa chute, l’URSS était l’une des plus importantes puissances éditoriales. La part de la Fédération de Russie dans le volume global de la production éditoriale de l’Union était d’environ 60 %. Vers la fin des années 80, une nette diminution de l’activité éditoriale s’est fait sentir. Cette tendance générale concernait aussi bien l’URSS tout entière que la Russie et touchait toutes les formes d’édition, mais surtout la production de livres. Au début des années 90, les offres des catalogues d’ouvrages et des tirages ont continué à baisser, avant de se stabiliser. Actuellement, en Russie, on ne publie guère plus de 30 000 titres par an.

C’est dans ces circonstances que fut engagée une importante réforme de tout le système éditorial russe, à laquelle prirent part quelques milliers de nouvelles maisons d’édition (en URSS, il y avait 200 maisons d’édition, on en dénombre actuellement environ 7 000). Il s’agit, en général, de nouvelles entreprises commerciales, la part des éditions d’État, en production globale d’ouvrages, ne constituait, en 1996, que 26 % du nombre des publications, 27,8 % du tirage, et 27,9 % du nombre de pages imprimées.

Leur activité a sensiblement diminué par rapport à 1995, elles ont édité près de 8 000 publications (3 000 de moins), et le total de leur tirage a été divisé par 2. Néanmoins, le secteur d’État continue à préserver sa position dans l’édition d’ouvrages ayant une portée sociale significative, comme la littérature scientifique et d’étude, qui s’adresse à tous les degrés de la formation, dont l’enseignement professionnel et technique (71,4 % du total et 90,8 % du tirage).

Il convient de noter qu’avec l’introduction de l’économie de marché, les orientations de l’édition ont changé. Les changements de régime politique et la suppression du contrôle idéologique et administratif ont provoqué une nette restructuration de la production éditoriale, aussi bien dans sa forme que dans les genres et les thèmes traités, notamment dans le contenu des œuvres. Le nombre des titres d’ouvrages de sociopolitique a été divisé par 8 ou 9, celui des nouveautés en littérature et en art a augmenté de 10 %, celui des rééditions a diminué, etc.

En littérature, annuellement, sont publiés plus de 1 000 titres, dont le tirage va jusqu’à 100 000 exemplaires, et plus de 1 400 000 titres ayant un tirage supérieur à 100 000 exemplaires. Cette littérature correspond en général à des demandes de lecteurs ou de bibliothécaires, qui ont certaines exigences culturelles et esthétiques. L’importante supériorité numérique de la littérature traduite sur la littérature russe est parfois considérée comme un handicap, quoique tout relatif. Cela vient de ce que, à l’époque soviétique, le lecteur ne pouvait pas avoir accès à certaines œuvres étrangères du fait d’interdits idéologiques. De tels interdits n’existent plus.

En outre, les catalogues des œuvres publiées aujourd’hui soulèvent d’incessantes discussions. De nombreux professionnels, habitués aux listes traditionnelles d’ouvrages reçus par les bibliothèques, parlent de « crispation » du flux des livres, de sa déformation et de son inadéquation aux besoins de la population. Les spécialistes des acquisitions de la Bibliothèque nationale de Russie soulignent le caractère ambigu des changements en cours.

D’un côté, on peut considérer la restructuration du flot éditorial comme un fait positif, car elle a servi les intérêts du public. Le nombre des acquisitions en littérature idéologique, peu consultée dans les bibliothèques publiques, se réduit petit à petit à zéro, ce qui fait qu’on peut dire que la structure du flux éditorial est devenue normale.

D’un autre côté, l’abondance de littérature facile, peu significative (romans d’amour, policiers, etc., en général des traductions) suscite l’indignation d’une certaine tranche de la population, dont les bibliothécaires. Mais la vision de la société est en train de se libéraliser si profondément qu’il faut en prendre son parti et attendre que la demande s’équilibre.

Ce qui est plus inquiétant, c’est que les catalogues d’éditeurs offrent un choix insuffisant, surtout dans le domaine de la littérature scientifique à faible tirage, qui, jusqu’à un certain point, est essentielle au développement scientifique et culturel.

Les problèmes d’approvisionnement

Déjà en 1991, les sociologues russes avaient souligné la tendance à la baisse des achats de livres. Et ce en liaison avec la réduction de la solvabilité des lecteurs. Aujourd’hui, 40 % de la population n’ont pratiquement pas la possibilité d’acheter des livres.

Cependant, parmi les loisirs de la population, la lecture vient, comme avant, en deuxième position (après la télévision). 42,4 % des personnes interrogées consacrent leur temps libre à la lecture, 27,8 % à la lecture de journaux, 20,4 % à celle de revues.

C’est pourquoi le rôle social des bibliothèques dans la formation de la population reste élevé, et la qualité des acquisitions et des systèmes d’approvisionnement est fondamentale.

A l’époque soviétique, les bibliothèques recevaient leurs ouvrages par différents canaux : par le biais du dépôt légal, en les commandant à des fournisseurs ou en les achetant dans des librairies, par souscription à des abonnements de périodiques. Chacun de ces systèmes était sous un contrôle administratif sévère et remplissait assez bien, en règle générale, ses fonctions. A l’époque actuelle, tous ces systèmes ont subi de sérieuses modifications.

Auparavant, l’arrivée de l’exemplaire du dépôt légal était contrôlée non seulement par la Chambre du livre de l’Union (devenue Chambre du livre russe, RKP), mais par l’organisme de censure (GLAVLIT), qui prenaient des mesures sévères en cas de non-respect des lois. Dorénavant, c’est la Chambre du livre russe qui effectue ce contrôle. Cependant, malgré la loi sur le dépôt légal, elle n’a pas de moyens d’action efficaces contre les contrevenants et le contrôle de la livraison des exemplaires du dépôt légal s’est émoussé. De ce fait, seulement 70 % environ des exemplaires du dépôt légal parviennent à la Chambre du livre russe et dans les bibliothèques nationales.

Les centres de distribution constituaient un autre canal. Dans les années 90, les bibliothèques soviétiques s’approvisionnaient auprès d’une longue chaîne d’intermédiaires : 10 gros centres d’expédition bien pourvus en documents, plus de 300 grossistes régionaux, et 150 centres de distribution de livres dans les républiques et les régions. Dans les villes importantes, il y avait et il y a toujours des centres de distribution. La commande et la réception de la plus grande partie des ouvrages de base passaient par un approvisionnement centralisé (induit par une situation de monopole). Cela permettait de n’avoir recours qu’à un seul intermédiaire, ce qui simplifiait l’approvisionnement. Mais c’était un système rigide, qui contrôlait la liste et le volume des ouvrages reçus, et qui ne répondait pas toujours aux intérêts des bibliothèques.

Maintenant, dans la plupart des régions de la Fédération de Russie, ces centres de distributions de livres ont acquis une indépendance juridique et ne sont donc plus directement soumis aux organisations d’État. Le travail de la majorité d’entre eux soulève de sérieux griefs et ne satisfait pas, en règle générale, les besoins des bibliothèques, qui recherchent d’autres façons de se procurer des livres. De nouvelles firmes commerciales apparaissent. Certains grossistes s’efforcent de prendre en main les bibliothèques centrales des régions, qui créent des centres commerciaux sur leur propre terrain (les bibliothèques des Républiques Sakha (Iakoutie) et de Bachkortostan, d’Arkhangelsk, Mourmansk, Briansk et de Kemerovo, de la région de Tioumen et de celle de l’Altaï). L’usage montrera quelles seront les plus efficaces d’entre elles.

S’informer le mieux et de la façon la plus exhaustive possible sur la production éditoriale est l’une des conditions indispensables pour garantir des acquisitions de bon niveau. C’est dans cette optique que la Russie s’est intéressée au système de références « Books in print ». Son but est d’établir un lien efficace entre les producteurs de documents, les fournisseurs, les vendeurs et les consommateurs (bibliothèques ou acheteurs individuels), en utilisant différents supports, principalement axés sur l’information électronique.

Des informations sur l’état du marché du livre, à partir des maisons d’éditions et des centres de distribution (cela englobe environ 1 000 maisons d’édition), sont recueillies en permanence. Sur la base de cette information, on a commencé, depuis 1994, à publier régulièrement les catalogues « Books in print » sous forme papier et sous forme électronique. Jusqu’à présent, quatre catalogues papier et huit sous forme électronique sont sortis. 75 % des titres de ces catalogues sont fournis par des maisons d’édition et 25 % par des grossistes. Selon des critères géographiques, 70 % proviennent d’organismes moscovites et 30 % de régionaux, qui procurent surtout des ouvrages d’étude, édités par les universités et les instituts.

Cependant, les fascicules édités des « Books in print » ne satisfont pas encore entièrement les besoins, car ils ne sont pas suffisamment complets. Ils fournissent de 5 à 20 000 titres, ce qui représente environ 50 % des livres sur le marché. C’est pourquoi ce système est en cours de perfectionnement.

Actuellement, l’offre sur le marché des livres excède de beaucoup la demande des bibliothèques, cependant, la probabilité de tomber sur un fonds de grande valeur est faible. La raison principale en est l’absence du financement nécessaire des bibliothèques en général et de leurs acquisitions en particulier.

Février 1998