Droit de l'information

Isabelle Molinier

Une journée d’étude intitulée « Droit de l’information » s’est tenue le 19 janvier 1998 à l’université des sciences sociales de Toulouse. Organisée par le Service interétablissements de coopération documentaire (SICD) de la même ville, au profit des professionnels des bibliothèques dans le cadre de la formation continue, la journée a finalement attiré un public beaucoup plus large, rassemblant des professionnels du secteur privé, d’organismes institutionnels, ainsi que des étudiants. C’est finalement près de 150 personnes qui ont assisté aux conférences et aux débats.

L’objectif était, outre de rappeler aux participants les règles juridiques en matière de droit d’auteur, d’évoquer les problèmes rencontrés plus particulièrement en la matière par les bibliothèques, depuis l’émergence des nouvelles technologies de l’information.

Droit d’auteur, droit moral et droit patrimonial

La journée d’étude, introduite par Bernard Saint-Girons, président de l’université des sciences sociales de Toulouse, commença par la présentation – par Françoise Cantegril et Catherine Grynfogel, toutes deux de cette même université – de l’état de l’art actuel du droit d’auteur, au niveau national, international et communautaire. Le droit d’auteur est accordé par la loi pour récompenser une création intellectuelle, et il s’y rattache un droit moral et un droit patrimonial. Les œuvres protégées sont les créations originales de forme et non les idées. Le bénéficiaire du droit d’auteur ne peut être que le créateur lui-même.

En cas d’auteurs multiples, comme pour une œuvre de collaboration, l’œuvre est la propriété commune des coauteurs, avec application du régime de l’indivision. Pour une œuvre collective (créée à l’initiative et sous la direction d’un entrepreneur), le droit d’auteur appartient à la personne morale ou physique sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée. Le droit moral attaché au droit d’auteur comprend le droit de divulgation, le droit de la paternité, le droit au respect de l’œuvre, le droit au retrait et au repentir (sauf pour l’auteur d’un logiciel), ce dernier droit étant reconnu en dépit de la cession du droit d’exploitation au profit d’un tiers.

Les droits patrimoniaux sont, eux, de trois types. Le droit de reproduction, tout d’abord, c’est-à-dire la « fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte » 1, a pour exceptions les reproductions à usage privé, les analyses et courtes citations. Le cas spécifique de la reproduction par reprographie fait l’objet de la loi du 3 janvier 1995, qui a pour but de lutter contre les abus des photocopies réalisées pour une utilisation collective, par l’instauration d’une présomption irréfragable de cession à des sociétés de gestion collective agréées par le ministère de la Culture. En outre, l’œuvre ne peut être représentée ou exécutée en public sans l’autorisation de l’auteur, excepté les représentations privées et gratuites effectuées dans un cercle de famille.

Enfin, pour les œuvres d’art, le droit de suite permet de percevoir un pourcentage (3 % en général) sur le produit de la vente de l’œuvre. Les droits d’exploitation des œuvres de l’esprit ont une durée de soixante-dix ans après la mort de l’auteur, ou pour les œuvres pseudonymes et collectives, à compter de leur publication. La plupart des auteurs passent des contrats d’exploitation avec des sociétés qui gèrent collectivement leurs droits (Société des auteurs et compositeurs éditeurs de musique-SACEM, Société des auteurs et compositeurs dramatiques-SACD, Société des gens de lettres, Société civile des auteurs multimédias-SCAM, Centre national des lettres).

Sur le plan international, on constate une importante disparité des législations en matière de droits d’auteurs, les pays producteurs d’œuvres étant le plus souvent beaucoup plus protecteurs des droits que les pays « consommateurs » des œuvres. La convention de Berne du 9 septembre 1886 pose le principe de l’assimilation de l’unioniste au national (mêmes droits accordés aux ressortissants des États signataires qu’aux nationaux). Si ce droit conventionnel ne s’applique pas, la France a recours au principe de réciprocité (elle accorde aux ressortissants étrangers les droits accordés par l’État du ressortissant aux Français).

En droit communautaire, on constate que l’activité économique l’emporte sur la protection du droit intellectuel. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), qui souhaite un compromis entre droit d’auteur et principe de libre circulation des marchandises, a érigé une construction juridique fondée sur la distinction entre l’existence du droit et son exercice. L’existence du droit d’auteur relève du droit national, mais son exercice peut être contrôlé par les instances communautaires. En effet, le monopole et la territorialité du droit d’auteur apparaissent en contradiction avec le marché unique au sein duquel les marchandises peuvent circuler librement. Il a été de surcroît arrêté que l’œuvre fixée sur un support matériel est assimilée à une marchandise faisant l’objet de transactions.

En revanche, pour les autres œuvres, non fixées sur un support, les droits de l’auteur ne s’épuisent pas avec la première représentation. Concernant l’application du droit d’auteur et le principe de libre concurrence, la CJCE a vu appliquer les articles 85 (prohibition des ententes entre entreprises) et 86 (abus de position dominante) à des sociétés nationales de gestion de droits d’auteurs.

Les atteintes au droit des personnes

Le droit des personnes fut ensuite présenté par Corinne Mascala et Dominique Roussillon, toutes deux de l’université des sciences sociales de Toulouse. Il fut notamment question des atteintes que l’outil informatique risque de lui porter. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL), créée par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, est chargée d’assurer la légalité du traitement automatique de données. Les atteintes aux droits des personnes relèvent de plusieurs genres : enregistrements d’informations sans respecter les formalités préalables prévues par la loi (déclaration ou demande d’autorisation auprès de la CNIL) ; conservation illicite d’informations nominatives ou au-delà de la durée autorisée par la CNIL ; divulgation d’informations sans assurer la sécurité des informations nominatives enregistrées, sans l’autorisation des personnes concernées, ou faites à des personnes non qualifiées pour la recevoir (non visées dans la déclaration remise à la CNIL).

La matinée s’est terminée par la présentation, par Lucien Rapp, de l’université des sciences sociales de Toulouse, de l’état actuel du droit des télécommunications et réseaux, domaine récent né du rapprochement de l’informatique, de la télécommunication et de la communication audiovisuelle. Les réseaux répondent à une réglementation différente selon leur typologie. Les réseaux dits privés bénéficient d’un régime de liberté, les réseaux privatifs sont soumis à un régime de déclaration préalable, et les réseaux publics suivent, quant à eux, un régime d’autorisation. Le régime juridique des réseaux comprend le droit à l’accès, le secret des correspondances et le principe de la responsabilité des opérateurs. Mais, le secret des correspondances échangées par courrier électronique reste un point de faiblesse des réseaux, d’autant plus qu’actuellement, le cryptage des informations est en principe interdit ou est soumis à des règles très strictes.

Droit d’auteur et nouvelles technologies

La première table ronde de l’après-midi a permis à Serge Regourd, Jean Deveze, Jacques Larrieu et Patrick Amouzou, tous de l’université des sciences sociales de Toulouse, de confronter le dispositif juridique concernant le droit d’auteur à l’ensemble des mutations générées par l’émergence des nouvelles technologies, en partant du constat que, si le droit d’auteur est applicable au monde numérique, le droit moral attaché au droit d’auteur se trouve, de fait, affaibli par la technique de la numérisation.

Concernant le cas particulier des bases de données, une attention particulière a été portée à la directive européenne du 11 mars 1996, qui prévoit la protection des bases par l’application du droit d’auteur et d’un droit nouveau sui generis. D’après le projet de loi français, très attendu, la copie privée de la base sera interdite (contrairement à la règle habituelle applicable en droit d’auteur classique), mais il existera une autorisation, pour l’usager légitime, d’utiliser la base. Le droit sui generis porte sur le contenu informationnel de la base, et a pour objectif d’assurer un retour sur investissement au producteur. Chaque niveau de la base, le contenant, les éléments formant le contenu et l’information en tant que telle sont juridiquement protégés.

La protection de l’œuvre multimédia est, en raison de sa création, de sa forme et de sa diffusion, fort complexe, et passe essentiellement par des systèmes de gestion collective de droits d’auteurs de type « Sesame », société civile de perception et de répartition de droits d’auteurs. Elle intervient lorsque des œuvres préexistantes sont appelées à être intégrées dans des créations multimédias. Elle autorise – ou interdit –, fixe les conditions et perçoit les redevances. Pour la protection des œuvres numériques, sont apparus des systèmes d’identification procédant d’une démarche collective, tel le système Interdeposit. Un numéro, identifiant numérique – IDDN – est attribué à chaque œuvre. Il permet d’identifier le titulaire de l’œuvre et les conditions dans lesquelles celui-ci autorise l’exploitation de sa création. L’APP (Agence pour la protection des programmes) est un des nombreux fondateurs d’Interdeposit. Des démarches individuelles de protection existent également comme, par exemple, le système des filigranes, indécelables par le sens humain, ou des « applets » (programmes) qui interdisent la réalisation de copies ou qui provoquent une dégradation des copies effectuées.

Droit, sites Web et bibliothèque

La deuxième table ronde, animée par François Dupuigrenet Desroussilles, directeur de l’ENSSIB, et à laquelle participaient Alain Marter, avocat spécialiste du droit de l’audiovisuel et des nouvelles technologies et Thierry Samain, du SCD Lyon III, a permis d’évoquer les problèmes juridiques posés par la création, l’alimentation et la mise à disposition d’un site Web dans les bibliothèques. Après avoir rappelé les démarches réglementaires à accomplir (déclaration obligatoire du site auprès du Tribunal de grande instance, demande d’un nom de domaine unique dans la hiérarchie « .fr », déclaration auprès de la CNIL en cas de traitement automatisé de données nominatives), de nombreuses questions ont été posées, notamment celle du titulaire de la responsabilité des pages créées. La CNIL recommande vivement d’informer l’usager qui consulte des pages Web 2.

Mais plus que la création, c’est l’alimentation du site qui pose le plus d’interrogations. Concernant le catalogue de la bibliothèque, si le problème du droit d’auteur ne se pose pas encore aujourd’hui, que se passera-t-il, en revanche, avec l’apparition du multibase, avec l’enrichissement du catalogue par des éléments numérisés, avec l’accès au texte intégral de documents par pointage sur un site distant ou par stockage sur son propre serveur ? Quelles démarches doivent précéder la récupération d’images ? A ces questions pratiques que le bibliothécaire rencontre quotidiennement, le droit renvoie toujours au contrat, s’il y en a un (par exemple, au contrat passé avec le concepteur du logo repris sur les pages Web). Il est rappelé qu’il n’existe pas de présomption de disponibilité en matière de droit d’auteur pour les images, et que les droits de reproduction (scannerisation) et de représentation (diffusion) doivent être donnés, expressément et par écrit, par l’auteur. En outre, la théorie du « parasitisme économique » veille à ce qu’on ne puisse accaparer le travail d’autrui, même en reprenant des données tombées dans le domaine public. Enfin, les bibliothèques sont responsables des conséquences de l’utilisation des matériels qu’elles mettent à la disposition du public et qui permettent la mémorisation (copie) sur disque dur ou sur disquette (jurisprudence ca Paris du 25 juin 1997 : le copiste est celui qui met à disposition le matériel). Il est donc le contrefacteur.

Pour conclure, la journée d’étude a prouvé, si besoin en était, que le monde numérique n’est en aucun cas un espace de non-droit. Les textes juridiques existent, reste à les adapter aux nouveaux supports nés des nouvelles technologies. Une partie des communications de cette journée d’étude sera prochainement disponible sur le site Web du SICD de Toulouse 3.