Editorial

Martine Poulain

Pourquoi s'interroger sur la légitimité de la bibliothéconomie aujourd'hui ? Ce terme fut inventé, rappelons-le, pour désigner un ensemble de techniques et de savoir-faire destinés à normaliser et perfectionner la constitution, le traitement, la conservation et la communication des collections des bibliothèques.

Insistons d'abord sur la nécessité et l'importance de ces savoir-faire. Ils sont au fondement de la spécificité professionnelle, préparent le document à une forme d'éternité du texte, but de toute bibliothèque. Les dénier, comme différentes versions d'un prétendu modernisme le proposent, reviendrait à dénier l'essence même de la bibliothèque. Il faut donc toujours enrichir ces savoir-faire, les actualiser, les débarrasser des scories inutiles, des perfectionnismes pervers, les penser toujours dans le cadre d'un contexte et de missions particuliers. C'est une prise en compte plus grande du contexte et des missions des différentes bibliothèques que nous demande la période récente. La place des bibliothèques s'est, au cours des vingt dernières années, à la fois renforcée et fragilisée. Renforcée par l'importance et la reconnaissance qu'elles ont acquises. Fragilisée parce que l'univers culturel auquel elles appartiennent est aujourd'hui dominé par d'autres valeurs et que, tout en éprouvant leur nécessité, on leur demande, plus qu'auparavant, de justifier leur place et leur rôle dans l'espace social.

Il ne s'agit pas ici d'inviter à refonder la bibliothéconomie comme supposée discipline autonome. Il s'agit bien au contraire d'envisager la manière dont toute politique de développement des bibliothèques et services de documentation doit se nourrir de l'apport d'une multitude de disciplines. Le lecteur de cette livraison du Bulletin des bibliothèques de France en trouvera discuté ici un certain nombre : des sciences politiques à l'histoire ou à la sociologie, des sciences de l'information à celles de la gestion. Transformer ces connaissances acquises en choix professionnels est ensuite l'exercice quotidien du bibliothécaire. Une technique sans politique tourne à vide.

Enfin, l'on voudrait plaider ici pour un lien fort entre le bibliothécaire et la collection. Même si les conditions actuelles de l'exercice professionnel conduisent bien des bibliothécaires à une forme d'éloignement des collections qu'ils offrent, il reste nécessaire qu'ils entretiennent avec les contenus intellectuels des textes, et donc des disciplines scientifiques, dont ceux-ci relèvent, une forme de compétence. Ne pas y veiller, pire, ne pas revendiquer une telle proximité, constitue une dénégation du métier même de bibliothécaire.