La fracture scolaire

par Francis Marcoin

Pascal Junghans

Paris : Syros, 1997. - 249 p. ; 22 cm. - (École et société). ISBN 2-84146-423-7. 98 F

L'auteur s'attache à une question qu'il juge reléguée trop souvent au second plan, celle des élèves en difficulté : la « fracture scolaire » voit l'écart se creuser entre « un peloton immense » et « un groupe de traînards ». Pour construire son réquisitoire, il s'appuie sur les nombreuses statistiques publiées par le ministère lui-même, et nous livre des « réflexions pédagogiques » qui sont en fait la synthèse de diverses études rappelant qu'échec scolaire et déficience mentale ne sont pas synonymes.

Un bilan sans concession

Au gré des chapitres, nous retrouvons donc les problématiques et les polémiques habituelles, avec des passages plus originaux sur la détérioration du technique, autrefois filière noble, saccagée à la fois par son intégration dans les structures de l'enseignement secondaire et par la politique du patronat. Ce bilan sans concession d'une école qui serait devenue une machine à exclure est quelquefois tonique. Des actions exemplaires, d'ailleurs bien connues, sont évoquées à juste titre, comme celle de G. et E. Chauveau dans quelques villes de la région parisienne.

Mais le propos reste sommaire, et si la critique n'a guère de peine à se montrer brillante, les remèdes nous laissent sur notre attente. Dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les stagiaires découvriraient « les mystères de la pédagogie », tandis que la réussite inattendue d'une élève viendrait d'une « mystérieuse alchimie ». La formation pédagogique semble d'ailleurs vue comme une nouveauté, liée aux IUFM, alors que ceux-ci, pour le primaire, n'ont fait qu'intégrer les anciennes écoles normales, et pour le secondaire les anciens centres pédagogiques régionaux (CPR), la nouveauté essentielle étant la confection d'un mémoire professionnel.

Les rencontres entre cours moyens et collèges sont présentées comme une grande curiosité : tout positifs qu'ils soient, ils ne sauraient changer la situation en profondeur. Rien de neuf sur l'illettrisme et sur l'apprentissage de la lecture, le propos se réduisant à des attaques contre un chercheur dont les options sont caricaturées d'une manière presque injurieuse.

Un caractère partisan

Le caractère partisan de l'ouvrage peut gêner. On hésite sans cesse entre l'observation sociale et l'attaque contre la majorité des enseignants, adhérents d'un certain syndicat, face aux innovateurs et aux membres de l'encadrement. Si bien que telle critique sensée du passage automatique dans la même filière pour tous semble devenir scandaleuse lorsqu'elle est dite par un responsable du Syndicat national des enseignants du secondaire (SNES).

Les dégâts de la politique du ministre de l'Éducation que fut Jean-Pierre Chevènement, critiqués à juste titre, sont très exagérés et l'on s'étonne de lire que la dérive managériale de l'Éducation nationale est une conséquence de cette politique. La critique de ce libéralisme récent en perd de sa force, même si la dénaturation des projets d'établissement et l'inquiétante redéfinition du chef d'établissement sont bien analysées. La volonté de convaincre fait aller toutes les statistiques dans le même sens, sans que soient évitées les contradictions. Ainsi l'auteur pourfend-il en fin de parcours la « culture de l'évaluation » alors qu'il s'en montre adepte le reste du temps. A propos du cours préparatoire, il cite des chiffres selon lesquels l'élève redoublant cette classe n'a plus que quatre chances sur dix d'atteindre la 6e sans redoublement : c'est faire du redoublement la cause de l'échec ! D'ailleurs, plus loin, il nous est montré que les « gestionnaires du flux » veulent réduire ce redoublement parce qu'il coûte.

Dès lors, les procédés d'écriture deviennent vite irritants. Pour animer un peu cette « littérature grise », et pour donner une impression de vrai et de vécu, nous saurons que tel jour, « Brigitte [une institutrice] est vêtue d'une légère veste bleue ». Plus sérieux est le propos sur les ZEP (zones d'éducation prioritaire), dont l'historique ne manque pas d'intérêt, même si le propos, une fois de plus, leur accorde d'emblée une efficacité sans doute exagérée. Tout dépend-il de la substitution du principe d'équité à celui d'égalité ?

Opposer, dans la lignée d'Alain Minc, « une classe moyenne imposante » et « une frange grandissante d'exclus », pose des questions d'importance. Selon les chiffres, on peut déduire que le nombre d'exclus est de plus en plus important ou que ce nombre diminue, mais que les exclus sont de plus en plus exclus. Le livre ne semble pas dénouer cette contradiction, et l'on pourra se reporter à une brochure récente du ministère, L'État de l'école, 30 indicateurs sur le système éducatif (octobre 1997).

En conclusion, trois mesures sont proposées : plus de pouvoir aux élèves y compris pour des décisions budgétaires, un organisme d'évaluation des expériences pédagogiques, ne comprenant ni enseignant ni responsable de l'Éducation nationale, la possibilité de reprendre des études vers 30, 40 ou 50 ans. Mesures intéressantes et sans doute nécessaires, fallait-il un livre pour les proposer ?