Philobiblon, Bulletin of the Lucian Blaga Central University Library
Riche de plus de quatre millions de volumes, épaulée par vingt-deux filiales (entendre : bibliothèques de proximité) directement rattachées à la centrale, desservant quelque 50 000 étudiants et universitaires, la Bibliothèque universitaire centrale de Cluj (bcu) figure parmi les deux ou trois plus importantes bibliothèques de Roumanie. Rappelons sommairement l'organisation documentaire de l'enseignement supérieur roumain : d'un côté, des bibliothèques universitaires qui oeuvrent dans des villes d'importance moyenne ; de l'autre, dans les agglomérations où cohabitent plusieurs universités (Cluj, Iasi, Timisoara, etc.), des BCU, analogues à nos bibliothèques interuniversitaires, mais qui ont pour elles l'avantage de disposer de l'autonomie administrative et financière.
Dans ce cadre souple, ces établissements d'envergure ont été conduits à développer une politique de communication que vient couronner la publication d'une revue. Philobiblon, qui inaugure, après quelques temps d'interruption, la nouvelle série de la BCU de Cluj, affiche d'emblée ses ambitions : « Aucune bibliothèque ne saurait réduire son rôle à celui d'un service d'informations ; elle doit au contraire promouvoir, dans sa complexité, l'image d'une institution professionnelle, scientifique et culturelle ».
L'identité culturelle roumaine
Ce premier numéro articule les contributions autour de deux volets distincts. Sous une bannière trop large, « Culture, livres et société », le premier d'entre eux s'attache à percer les secrets de l'identité culturelle roumaine. Pour ce faire, il convient, bien entendu, d'évoquer la figure du grand poète et philosophe roumain Lucian Blaga (1895-1961), dont la bcu de Cluj porte le nom.
Les articles de Vasile Musca et Vasile Frateanu montrent que l'oeuvre de ce théoricien de l'identité roumaine, auteur d'une Trilogie de la connaissance et d'une Trilogie de la culture, demeure d'une brûlante actualité, en un moment où la culture roumaine semble en proie à une crise contradictoire : écartelée entre la tradition orientale et l'appel occidental, elle ne saurait survivre, nous dit Adrian Marino, que dans un processus lucide d'intégration européenne. Au détour d'une interview, Andrei Marga, président de l'université « Babes-Bolyai » de Cluj, souligne que ce défi de « l'européanisation » est aussi celui que doivent désormais relever les universités roumaines.
Les aspects bibliothéconomiques
Une seconde rubrique de la revue, moins étoffée, est dévolue aux aspects bibliothéconomiques, sous le titre « Un métier en évolution dans une société en transition ». Après un hommage rendu par Cornelia Galatescu à Ioachim Craciun, historien du livre et fondateur de l'école de bibliothéconomie de Cluj, une bibliothécaire écossaise, Sally Wood-Lamont fait le compte rendu de trois années passées à la bibliothèque de l'université de médecine et pharmacie.
Le constat pessimiste qu'elle dresse est préoccupant : faiblesse de la coopération, manque d'initiative et rigidité des structures caractérisent encore trop souvent l'organisation du travail qui prévaut dans les bibliothèques roumaines. Mais des changements sont en cours : soutenues par un mécénat dont Georges Soros est aujourd'hui la figure emblématique et encouragées par des programmes européens, certaines bibliothèques universitaires roumaines - et singulièrement les BCU - développent des initiatives originales dont un prochain numéro, je l'espère, rendra compte.
Au total, ce fascicule est prometteur. A deux réserves près toutefois. Il me semblerait souhaitable que les prochaines livraisons fassent la part plus belle à la section bibliothéconomique et consentent une place moins économe à la parole des bibliothécaires. En second lieu, comment ne pas s'étonner qu'en ce pays si authentiquement imprégné de culture française, on se soit d'abord préoccupé de traduire Philobiblon en langue anglaise ?