Le musée et la bibliothèque, vrais parents ou faux amis ?
Voilà longtemps qu'on attendait un ouvrage qui poserait les fondements d'une réflexion croisée sur les musées et les bibliothèques. Qu'on les envisage comme des institutions analysables en tant que telles, ou comme des champs de pratiques et de recherches très riches, le musée et la bibliothèque apparaissent très proches sous certains aspects, mais aussi autonomes et étanches.
Certaines publications avaient ouvert la voie : une précédente livraison du Bulletin des bibliothèques de France, avait présenté un regard croisé sur les bibliothèques, les musées, et les archives 1 ; et l'ouvrage collectif Science en bibliothèque 2, par le biais des problématiques chères à l'information scientifique et technique, avait proposé dans un champ très particulier des réflexions transversales aux deux institutions.
Proximité et altérité
On ne peut donc que saluer l'initiative de la Bibliothèque publique d'information, qui publie un recueil de communications prononcées lors d'un cycle de conférences organisé en 1994 et 1995 par le service Études et recherche et consacré à l'exploration des rapports de proximité et d'altérité entre les deux institutions.
Les neuf chapitres portent chacun sur un thème dont l'ensemble constitue une sorte de proposition de structuration de ces rapports (l'espace et l'imaginaire de la bibliothèque et du musée ; les politiques culturelles ; l'espace public ; les collections ; l'usager, le consommateur et le citoyen ; le secret ; la cohabitation au sein de la même structure avec l'exemple du Centre Georges-Pompidou). Chacun de ces thèmes est traité par deux intervenants, l'un spécialiste des bibliothèques et l'autre des musées, historiens, chercheurs ou praticiens, développant des points de vue techniques ou politiques.
Cette construction de l'ouvrage révèle le paradoxe de ces rapports d'altérité et de proximité. En effet, le traitement mixte de chacun des thèmes fait apparaître bien plus les différences que les similarités dans les approches.
Au-delà du style et des interrogations propres à chaque contributaire, on reconnaît par exemple, côté musées, une tension permanente entre une référence voulue commune et universelle qui est la définition officielle de l'ICOM (International Council of Museums) d'une part, et l'extrême foisonnement des structures muséales et des initiatives locales liées à des territoires, des collections, des idéaux, des personnalités, qui ont chacune valeur d'exemplarité pour la communauté muséale.
Côté bibliothèques, la référence « officielle » semble pratiquement plus historique qu'institutionnelle, et d'emblée plus politique que fonctionnelle. Le rapport entre tradition et modernité, entre passé et avenir, semble par voie de conséquence y être posé de manière différente. Ce phénomène est particulièrement sensible dans le cas des collections.
Les tendances communes
C'est au fil des interventions qu'apparaissent les tendances communes. Dans les deux cas, est détaillée la nécessité de penser la mission des institutions et les pratiques professionnelles en développant la réflexion sur les contenus d'une part, sur les publics d'autre part, tout en sachant que ces deux pôles peuvent être vécus comme contradictoires voire antinomiques.
De tels sujets traités de manière parfois inattendue selon qu'il s'agisse d'approches historiques, de réflexions issues de la pratique ou de questionnements politiques, permettent également d'éviter de dissoudre cette question des contenus et des publics dans les débats actuels sur la culture tels que le recours aux technologies de l'information et de la communication, ou les rapports entre le marché et la culture.
En effet, pour importants et sensibles que soient de tels débats, ils se nourrissent trop exclusivement des enjeux « modernistes », tout entiers prédéterminés par la projection de conflits de pouvoirs actuels et le sentiment d'urgence qu'ils imposent, et font l'impasse sur des approches différentes. La notion d'espace public, par exemple, n'y est pas l'outil rhétorique permettant de traiter de la manière la plus transversale possible de l'ensemble du champ culturel dans une logique de globalité et d'urgence. Elle apparaît au contraire comme s'incarnant dans une diversité de questions spécifiques, dans le champ des représentations et des actions propres aux institutions culturelles et à leurs publics.
De ce point de vue, l'article d'Anne Kupiec, sur le thème de « l'usager, le consommateur, et le citoyen » est particulièrement intéressant, puisque l'usager, célébré fort consensuellement comme la variante libérale et positive du sujet actif, y est vu comme une entité dangereusement neutre.