À l'Ouest, rien de nouveau ?
Annie Dourlent
Les bibliothèques de Bretagne ont considérablement évolué depuis la décentralisation, qui a vu les départements élargir les moyens des services, mais aussi mettre en place des systèmes d'aide aux communes, qui, complétés par les conseils et l'assistance technique des bibliothèques départementales de prêt, ont permis aux bibliothèques locales de faire un véritable saut qualitatif. Cependant, malgré un travail important de coopération mené sur le terrain par les professionnels, entre bdp mais aussi au sein de l'Agence de coopération, on peut regretter qu'il n'y ait pas encore eu, au sein des collectivités, une véritable réflexion sur l'organisation des réseaux de lecture publique, à l'intérieur des départements et à l'échelle de la région.
The libraries of Brittany have evolved a lot since decentralization when departments increased means of services, set up help-system for boroughs complemented by advice and technical assistance from the County Libraries which have allowed the local libraries to take a true qualitative jump. However, in despite of a strong cooperation developed by professionals between County Libraries, within the Cooperation Agency one can regret that there is not real reflection yet about the organisation of public reading networks either at the County communities level or regional one.
Die Bibliotheken der Bretagne haben sich seit der Dezentralisierung beträchtlich entwickelt. Diese hat dazu beigetragen, daß die Departements ihre Dienstleistungen erweitern konnten und den Gemeinden Hilfen angeboten wurden, die von den Ratsgremien und der technischen Betreuung der Departementsleihbibliotheken ergänzt, es den örtlichen Bibliotheken erlaubt haben, einen merklichen, qualitativen Sprung nach vorne zu machen. Doch trotz bedeutender Kooperationsbemühungen auf dem Gebiet durch Fachleute, in den Departementsleihbibliotheken, aber auch bei des Kooperationsagentur, kann man bedauern, daß es bei den zuständigen Behörden noch keine wirklichen Überlegungen zur Organisation einer flächendeckenden Literaturversorgung in den Departements und auf der Ebene der Region gegeben hat.
Au jour J de la décentralisation, en 1986, il y avait, en Bretagne, deux bibliothèques centrales de prêt (BCP) déjà anciennes – en Ille-et-Vilaine et dans le Morbihan –, créées respectivement en 1964 et 1967, fortement marquées par la desserte scolaire. Celle du Finistère, datant de 1975, a bâti sa desserte sur des objectifs de lecture publique, mais ne touche qu’environ 120 communes sur les 272 à desservir. La « petite dernière », celle des Côtes-d’Armor, a été créée en 1982, et possède un réseau de desserte tout public, mais encore limité.
Rien de bien extraordinaire à l’horizon… Certes, le conseil général des Côtes-d’Armor a bien accompagné la création de cette BCP longtemps attendue, en créant notamment des emplois, juste avant la décentralisation, à l’époque où ils étaient subventionnés à 50 % par l’État.
En Ille-et-Vilaine, on a été un peu frileux… Le conseil général, inquiet des montants financiers qui seront réellement transférés, a joué la prudence et n’a pas créé d’emplois. Dans le Morbihan, où le département a toujours soutenu la BCP à travers une association des Amis, on n’a peut-être pas tout à fait compris, sur le moment, le changement de dimension, quand la bibliothèque est devenue un service à part entière du conseil général. A mon arrivée en 1992, les bibliobus arboraient toujours le label du ministère de la Culture… Il m’a fallu convaincre de la nécessité d’un crédit pour peindre le bibliobus flambant neuf aux couleurs du conseil général et de la bibliothèque départementale de prêt… – le renouvellement progressif des véhicules va finir par avoir raison du ministère de la Culture !
Mais ne noircissons pas le tableau… tous les conseils généraux bretons ont donné des moyens de fonctionnement à leur bibliothèque centrale de prêt, et ont pris la relève – parfois largement – de l’État… Depuis dix ans, les bibliothèques ont bien changé et se sont considérablement développées. Comme dans la plupart des départements français, les bibliothèques départementales de prêt ont beaucoup évolué, diversifiant les médias proposés, restructurant la desserte (l’arrêt total de la desserte scolaire, dans le Morbihan a eu lieu en 1991-92), mettant en place des plans de formation, multipliant les outils d’animation.
Coopérer en Bretagne
Dans cette évolution, il paraît important de souligner le rôle dynamisant qu’ont joué les rencontres régulières entre les directeurs, les projets menés en commun 1, les stages organisés en commun dans les « pays » correspondant à des entités géographiques tiraillées entre trois départements (Centre-Ouest-Bretagne). La petite brochure de conseils techniques aux communes, Vive la bibliothèque, conçue et publiée en collaboration avec l’Agence de coopération des bibliothèques de Bretagne (COBB) et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) à l’occasion du Temps des livres de 1995, est devenue un outil de travail indispensable et une lecture imposée pour les élus se lançant dans un projet de bibliothèque.
A l’invitation de nos voisins, une réflexion sur la formation des correspondants a été l’occasion d’élargir les réunions à l’interrégion Bretagne-Pays de Loire. Une mise en commun d’informations, de ressources, et, au fil des réunions, des échanges d’idées sur les méthodes de travail, les modes de collaboration avec les communes, puis des discussions sur les « pratiques » d’acquisition ont débouché, à l’automne 1996 dans le Morbihan, sur une première rencontre interrégionale des directeurs et de bibliothécaires venant des neuf BDP. Un stage est programmé en collaboration avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) des deux régions pour le début de 1998. Un autre travail en commun a porté sur les « relations avec les correspondants », lors d’un stage organisé par le CNFPT pour les BDP d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan.
Il faut insister sur l’importance de ces rencontres, qui, loin d’être anecdotiques, amènent à confronter des points de vue, et à accroître le champ d’action. Ces échanges posent aussi la question d’un élargissement de notre travail et de notre rôle à l’échelon régional, peut-être pas indispensable, mais sûrement enrichissant.
Les aides au développement des bibliothèques
Trois conseils généraux ont progressivement mis en place des aides au développement des bibliothèques, concernant l’aide à la construction des bâtiments, l’équipement matériel et mobilier, l’acquisition d’ouvrages, et plus récemment l’informatisation.
Les critères d’attribution de ces aides sont très larges. Seul le Finistère prévoit une condition de surface, mais très réduite (2 m2 pour 100 habitants). En Ille-et-Vilaine, pas de conditions de surface, et, dans le Morbihan, aucune exigence particulière n’est définie dans le programme. Il s’ensuit un développement important, une amélioration très nette, mais avec des équipements souvent petits, et qui s’avéreront vite insuffisants. Cependant, grâce aux aides tant pour la construction que pour le mobilier et les achats de livres, « il n’y a plus de bibliothèque-placard en Ille-et-Vilaine ».
Il est intéressant de s’interroger sur la réticence des départements à imaginer des critères proches de ceux exigés par l’État. Si leur position a l’avantage de la souplesse et autorise l’attribution d’aides à un large éventail de communes, elle souligne aussi l’absence d’un schéma départemental de développement. Aucun des départements bretons n’a fait aboutir une réflexion globale sur l’organisation en réseau de la bibliothèque départementale, et toutes les communes sont traitées de la même manière, quels que soient leur taille ou leur rôle. La réponse à la question fondamentale : peut-on réellement croire qu’il sera possible de doter chaque commune d’un équipement de lecture pleinement satisfaisant, n’est toujours pas donnée.
Une politique d’aménagement culturel du territoire départemental ?
Des évolutions récentes peuvent être soulignées : le conseil général des Côtes-d’Armor a décidé, lors de sa dernière session, une politique d’aide aux bibliothèques intercommunales, en accompagnant le programme des « relais-livres en campagne » du ministère de la Culture, après une première expérience dans le canton de Caulnes.
Une évolution dans le même sens se dessinera sans doute dans le Finistère. Lors d’un colloque organisé à Vannes par la COBB, Michel Canevet, vice-président du conseil général du Finistère, a longuement évoqué la mise en place de médiathèques intercommunales comme offrant la possibilité d’un développement cohérent du réseau des bibliothèques. En revanche, la nécessité de l’intercommunalité en matière de bibliothèque n’est pas du tout reconnue dans le Morbihan, ni même en Ille-et-Vilaine, où le conseil général a pourtant mené un plan de développement d’écoles de musique intercommunales…
La question reste entière de savoir si le conseil général accompagne là une volonté se dessinant au niveau local, ou si, de façon plus volontariste, il examine la question des bibliothèques et du développement de la lecture sous l’angle de l’aménagement culturel du territoire. Certes, on objectera que toutes les bibliothèques départementales de prêt de France et de Navarre font peu ou prou de l’aménagement du territoire, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Mais il semble vraiment souhaitable que les politiques incitatives des différents conseils généraux de Bretagne soient accompagnées d’une réflexion sur un véritable maillage du territoire. Une rationalisation de la desserte doit essayer de concilier les objectifs d’accès à la lecture pour un maximum de personnes avec la qualité des services proposés, qualité qu’il est sans doute difficile d’atteindre en deçà d’un certain seuil. Dans ce domaine, on suivra avec attention le plan de développement élaboré par le département de la Mayenne – que la Bretagne n’a pas prévu d’annexer ! – qui ne concerne pas seulement les moyens de la BDP, ni un programme d’aides, mais qui propose une véritable organisation géographique de la desserte.
Vers un réseau départemental
Dans le Morbihan, où les aides départementales ont considérablement augmenté ces dernières années en raison de demandes de plus en plus nombreuses et de la volonté des élus d’accompagner le développement des bibliothèques, rien ne constitue en revanche une incitation au travail en intercommunalité. Cependant, la bibliothèque départementale, en même temps qu’elle développait son rôle d’assistance technique et d’aides aux projets, a peu à peu mis en place des modalités de fonctionnement qui vont dans ce sens.
Chaque année, la bibliothèque départementale organise et anime dix réunions de secteurs décentralisées ; c’est l’occasion de visiter la bibliothèque d’accueil, d’aborder un thème de travail (l’accueil du public en 1996, le désherbage en 1997), de présenter un fonds de livres particulier. Mais il s’agit aussi – et c’est très important – d’un échange direct non seulement avec la BDP, mais entre les bibliothèques présentes. Menées depuis quatre ans, ces réunions ont, avec la mise en place d’un programme de formation bien intensifié, permis de développer des réseaux de proximité parmi les correspondants.
Un autre service, les navettes, est conçu de façon à développer un fonctionnement par zone géographique. Ce système s’appuie sur une vingtaine de bibliothèques « relais-navettes », où la bibliothèque départementale dépose, pour quatre à sept communes environ, tous les quinze jours, les ouvrages réservés et récupère ceux qui sont demandés. Il correspond à une volonté de mettre en place un embryon de fonctionnement autour de points forts et de développer des habitudes de travail en commun autour de la bibliothèque relais-navette.
Ces expériences restent modestes, mais ont contribué à ce que les correspondants des bibliothèques locales prennent conscience de leur appartenance à un ensemble plus vaste. Mais sera-t-il facile de passer à un stade plus organisé, plus institutionnel ?
Dix ans après, un bilan en demi-teinte
Malgré toutes les évolutions intervenues depuis dix ans dans les bibliothèques départementales de prêt de Bretagne, malgré l’évolution des bibliothèques locales, force est bien de constater qu’il reste un long chemin à parcourir… Aucun département breton n’est doté d’un plan ni d’un schéma de développement de la lecture. Plus globalement, la Bretagne accuse toujours un certain retard en matière de bibliothèques publiques.
Avec la décentralisation, chaque département a eu l’occasion d’inventer une politique de lecture publique… mais aucun texte ne lui donne de véritable obligation. L’inexistence d’une loi sur les bibliothèques en France ajoute à ces incertitudes ; il n’y a pas d’organisation définie d’un réseau (ou de réseaux) de lecture publique sur le territoire, en relation avec les différents échelons territoriaux du pouvoir politique. Il est d’autant plus difficile de l’imaginer que la décentralisation a également posé le principe de la non-hiérarchisation entre les collectivités. Si l’on imagine mal un retour en arrière – en Bretagne tout particulièrement, où on regarde souvent les initiatives de l’État avec circonspection – peut-on ignorer la question de développements très inégaux ? Peut-on l’admettre si l’on considère que l’accès à la lecture, et plus généralement à la culture, est un droit de chaque citoyen ?
La question de l’aménagement culturel du territoire est toujours en suspens, et n’a pas été véritablement intégrée dans un débat plus large sur l’organisation de l’espace et la répartition des compétences entre État, région et département. On peut se réjouir, qu’en Bretagne, la réflexion initiée par l’Agence de coopération des bibliothèques de Bretagne et la Direction régionale des affaires culturelles, en collaboration avec la ville de Rennes sur le statut de la bibliothèque municipale à vocation régionale, relance ce débat sur le terrain des bibliothèques.
Juillet 1997