La politique culturelle

par Jean-François Hersent

Jean-Michel Djian

Paris : Le Monde Éd. ; Marabout, 1996. 282 p. ; 18 cm. (Le Monde poche : Synthèse). isbn 2-501-02451-6. 38 F

Ouvrage d'une lecture aisée, et qui tombe à point nommé en ces temps de débats sur la « refondation » de la politique culturelle 1, cet ouvrage propose une réflexion solide et synthétique sur les grandes évolutions de la vie culturelle et de sa mondialisation, ainsi qu'une analyse rigoureuse des politiques culturelles publiques conduites en France, dans le dessein de mettre en évidence les décalages croissants entre les deux.

L'auteur souligne notamment, s'appuyant sur les sources émanant du ministère de la Culture 2, les limites des politiques publiques au regard des pratiques « culturelles » de la population. Enfin, les grandes lignes des politiques culturelles mises en oeuvre dans d'autres pays, ainsi que le contexte culturel européen, font l'objet d'une description attentive bien qu'un peu trop brève.

Après un premier chapitre qui dresse un tableau très général de l'économie de la culture, de l'évolution des pratiques culturelles et des principales caractéristiques de la « population artistique », l'auteur retrace à grands traits la chronologie de la relation propre à la France entre l'État et la culture.

Puis, le bilan pour le moins contrasté, on y reviendra de la politique culturelle de la France sous la Ve République est abordé : rôle accru des collectivités locales, encouragement du mécénat, soutien aux industries culturelles, éducation et enseignements artistiques, sans oublier la politique extérieure de la France en matière culturelle (conduite par le ministère des Affaires étrangères). Ce bilan permet de dresser un état des lieux, secteur par secteur, selon le découpage administratif sectoriel actuel du ministère. Le chapitre consacré à « L'Europe et la culture » voit se succéder cinq remarquables contributions émanant de personnalités bien au fait des questions culturelles : Raymond Weber, directeur de l'enseignement de la culture et du sport au Conseil de l'Europe, Alfred Grosser (sur l'Allemagne), Theodore Zeldin (sur le Royaume-Uni), Umberto Eco (sur l'Italie) et Lluis Pascal (sur l'Espagne).

En dernier lieu, dans une perspective qui n'est pas sans rappeler celle proposée hier par Jacques Rigaud dans L'Exception culturelle 3 et reprise en partie dans le rapport sur la refondation de la politique culturelle, l'auteur insiste dans sa conclusion sur les enjeux à venir et le besoin pressant de retrouver les chemins de l'innovation.

A cet égard, on recommandera tout particulièrement au lecteur le chapitre consacré à l'évaluation de la politique culturelle sous la Ve République et l'on s'interrogera avec l'auteur sur le bilan de cette politique, sachant qu'« en 1990, les grandes villes (plus de cent cinquante mille habitants) consacrent en moyenne 14 % de leur budget à la culture », que les départements y affectent des sommes qui ont quadruplé entre 1979 et 1990, période durant laquelle l'État a doublé son budget culturel et les collectivités triplé le leur.

La démocratisation culturelle

On sait que ce sont des objectifs clairement affichés de démocratisation culturelle qui présidèrent à la création du ministère des Affaires culturelles en 1959.

Or, c'est sur le bilan de la démocratisation culturelle que se focalise, de manière récurrente, un certain nombre de critiques. Souvent ces dernières ont cru pouvoir s'appuyer sur les propres enquêtes du ministère, en particulier sur celles portant sur les pratiques culturelles des Français réalisées par le Département des études et de la prospective (DEP). Après avoir été longtemps mobilisées au service de la politique de démocratisation culturelle, les enquêtes de public sont souvent interprétées aujourd'hui comme autant de preuves de son échec 4. C'est oublier que ces enquêtes (par sondage) ne visent pas tant à produire une évaluation de la politique du ministère qu'à fournir une photographie aussi exacte que possible des comportements de la population étudiée.

C'est également parce qu'on entretient une confusion permanente entre diffusion et démocratisation 5, entre ce qui relève d'une problématique de l'égalité égalité de tous face à la culture par le développement et la diffusion considérables de l'offre visant à un accroissement du public - et une problématique de l'« équité » - qui vise à créer des « discriminations positives » en faveur des publics les plus éloignés de la culture, grâce à une politique de démocratisation culturelle « ciblée » en direction desdits publics, en vue de réduire les inégalités culturelles entre groupes sociaux.

Une curiosité accrue

A cet égard, il paraît difficile de contester que les Français manifestent en général une curiosité plus grande à l'égard de la vie culturelle, ou qu'il y a plus de monde dans les bibliothèques qu'il y a 20 ans (13 % en 1973, 16 % en 1988 d'après les résultats de Pratiques culturelles des Français). Les efforts de la politique culturelle en faveur de l'offre (par exemple, le doublement du parc des BM en quinze ans), conjugués aux effets de l'élévation du niveau scolaire et du développement des industries culturelles, ont contribué à réduire la distance qui séparait la majorité des Français de la culture.

Mais il n'en demeure pas moins vrai que si la fréquentation des équipements culturels a augmenté, c'est d'abord parce que la population française a augmenté et que les plus investis dans la vie culturelle ont accru leur rythme de fréquentation. Certes, le « niveau monte », mais l'amélioration des conditions de vie et les transformations des conditions d'accès au savoir et aux oeuvres n'ont pas permis la réalisation de projet de démocratisation qui avait justifié, à la fin des années 50, la création d'un ministère des Affaires culturelles : prenons donc garde à ne pas confondre diffusion et démocratisation.

En dépit du recours aux témoignages particulièrement éclairants de René Rizzardo, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles et de Bernard Latarjet, auteur d'un rapport novateur sur l'aménagement culturel du territoire (1992), qui s'attachent tous deux à mettre en évidence la complexité du problème, Jean-Michel Djian semble parfois s'enferrer dans cette confusion entre diffusion et démocratisation. Ce qui, dès lors, le conduit nécessairement à dresser un bilan décevant des politiques publiques, nationales et locales.

Dérives

On ne le contredira pas cependant sur un point, lorsqu'il met en garde avec raison contre la « tendance, inaugurée sous Jack Lang et perpétuée par ses successeurs, à vouloir " instrumentaliser " la culture comme vecteur de régulation sociale ». Cette dérive illustre en effet « les limites d'un système où les impératifs politiques (avec obligation de résultat) ne peuvent coïncider avec un processus culturel dont l'activité ne génère que des comportements (sans obligation de résultat) ».

Il y a, comme nous y invite Jean-Michel Djian, nécessité de faire preuve d'audace en secouant cette « sorte de torpeur (qui) a envahi l'ensemble de l'administration publique de la Culture » et répondre ainsi à l'urgence de « repenser le fonctionnement de l'appareil d'action culturelle, en faisant en sorte d'inviter ses acteurs (artistes, professionnels de la culture) à se rapprocher des lieux de vie, des espaces où la population (et non les publics) agit sur elle-même dans son travail comme dans ses loisirs ».

Ce point acquis, une politique audacieuse et volontariste doit pouvoir s'appuyer, ainsi que le préconise l'auteur, aussi bien sur la « population artistique » que sur l'administration, car « il se trouve suffisamment de hauts fonctionnaires au ministère de la Culture pour défendre des choix artistiques et risqués ». On est donc loin des suggestions émises ici ou là qui prônaient il n'y a pas si longtemps la suppression du ministère de la Culture et le retour de ses attributions dans le giron de l'Éducation nationale 6.

Au bout du compte, tant par la chronologie (du ministère de la Culture, de sa fondation à aujourd'hui), que par les informations pratiques qui jalonnent l'ouvrage (en particulier l'usage judicieux de tableaux et d'encadrés), le recours à des témoignages d'experts (voire à des articles anciens de l'auteur), une bibliographie qui présente l'essentiel des travaux sur le sujet 7 et un index utile, sans oublier la publication en format de poche, La politique culturelle constitue non seulement un guide avisé des politiques culturelles, mais un manuel indispensable, à recommander à un public intéressé ou confronté aux problèmes culturels, ainsi qu'à tous ceux qui, étudiants ou non, préparent des concours d'entrée au ministère de la Culture.

  1. (retour)↑  Cf. le « Rapport au ministre de la Culture », Pour une refondation de la politique culturelle, Jacques Rigaud, président de la Commission d'étude de la politique culturelle de l'État, préface de Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, Paris, La Documentation française, 1996.
  2. (retour)↑  Du Département des études et de la prospective (dep) qui réalise, entre autres, les grandes enquêtes sur les pratiques culturelles des Français et qui a publié récemment, sous la responsabilité d'Olivier Donnat, Les Amateurs : enquête sur les activités artistiques des Français, Paris, La Documentation française, 1996.
  3. (retour)↑  Jacques Rigaud, L'Exception culturelle. Culture et pouvoirs sous la Ve République, Paris, Grasset, 1995.
  4. (retour)↑  Sous cet angle, la critique la plus incisive est sans conteste celle de Michel Schneider dans La Comédie de la culture, Paris, Éd. du Seuil, 1993.
  5. (retour)↑  C'est là la réflexion la plus novatrice du récent ouvrage d'Olivier Donnat (responsable de la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français), Les Français face à la Culture, Paris, La Découverte, 1994.
  6. (retour)↑  Cette préconisation se retrouve aussi bien dans le pamphlet de Marc Fumaroli contre L'État culturel (Paris, Éd. de Fallois, 1991) que dans celui de Michel Schneider, op. cit.
  7. (retour)↑  A l'exception notoire de l'ouvrage de Michel Schneider...