Published in Paris

l'édition américaine et anglaise à Paris, 1920-1939

par Martine Poulain

Hugh Ford

Paris : IMEC Éditions, 1996. - 410 p. ; 24 cm. - (L'Édition contemporaine). isbn 2-908295-31-8 230 F

Voici plus de vingt ans était parue aux États-Unis la passionnante enquête de Hugh Ford sur les tentatives éditoriales de quelques Anglo-américains passionnés par la littérature et par Paris. L'IMEC vient de publier une traduction de ce travail, due à Anne-Dominique Balmès, avec une préface de John Calder, qui, sur le mode impressionniste, donne de précieuses informations sur les successeurs de ces modernes « aventuriers des lettres » pendant l'après-guerre.

Sylvia Beach et Ulysses

L'histoire est maintenant connue. Amie d'Adrienne Monnier, Sylvia Beach avait ouvert sa librairie en novembre 1919. C'est en 1920 qu'elle propose à Joyce de publier Ulysses. Elle s'entoure du précieux savoir-faire de Maurice Darantière, imprimeur à Dijon, qui soutiendra les tentatives de ces éditeurs amateurs tout au long de ces années. On connaît la difficulté immense qu'il y eut à éditer une telle oeuvre, redoublée par les incessantes modifications apportées par Joyce à son texte. Les mille premiers exemplaires sortirent en juin 1921. Même si Joyce encouragea ultérieurement d'autres éditeurs, Sylvia Beach contrôla quelque peu toutes les nouvelles éditions. Épreuve victorieuse mais aussi douloureuse pour Sylvia Beach, « Ulysses fut son épreuve, sa fortune, et finalement son triomphe », souligne Hugh Ford

Robert McAlmon, Bill Bird, Edward Titus

En 1922, Robert McAlmon crée la revue Contact et publie dans le même temps plusieurs ouvrages, écrits par lui-même ou plus tard par Gertrude Stein (The Making of Americans). William Bird est un autre de ces éditeurs-imprimeurs amateurs ne travaillant que pour l'amour de l'art. Avec l'aide d'Ezra Pound et la collaboration d'Ernest Hemingway, il crée The Three Mountains Press, qui ont à leur actif quelques livres marquants : des livres de Pound lui-même (Indiscretions), de Williams Carlos William (The Great American Novel), d'Ernest Hemingway (Three Stories and Ten Poems). En 1928, il vend sa presse à Nancy Cunard, plus novice encore dans le domaine.

Époux - désargenté - de la richissime et fort autoritaire Helena Rubinstein, Titus chercha « refuge et soulagement dans le monde plus tranquille et idéalisé de l'art et des livres ». Il crée en 1924 une librairie de livres rares, considérée par de nombreux témoins comme remarquable : At the sign of the Black Manikin. Puis se lance dans l'édition d'auteurs inconnus à l'époque et dans la publication d'une revue, This Quarter. Il est aussi l'éditeur de la première édition française de Lady Chatterley's Lover de D. H. Lawrence, précédé de l'essai Pornography and Obscenity, que celui-ci avait écrit après la réaction à la première édition florentine et au scandale provoqué par son oeuvre, longtemps interdite dans tous les pays de langue anglaise

Crosby, Stein, Cunard, Kahane

Le couple Crosby se lança lui aussi dans l'aventure. Les Crosby publièrent Hart Crane, Joyce, D. H. Lawrence. Gertrude Stein crée sa propre maison d'édition et y publie par exemple Lucy et How to Write. Nancy Cunard s'intéresse, quant à elle, à l'imprimerie et à l'édition aux côtés d'Aragon, en créant la maison Hours où elle publie, outre elle-même, George Moore, Ezra Pound, La Chasse au snark de Lewis Carroll - traduit par Aragon - et surtout, peu avant de fermer ses portes, l'un des premiers textes de Samuel Beckett (Whoroscope).

Jack Kahane crée Obelisk Press, et, faute de pouvoir publier des textes de Lawrence ou de Joyce, décide de publier « automatiquement tout ce qui avait des problèmes avec la censure ». Le sort le met en effet en relation avec Henry Miller. Kahane fut le premier éditeur du Tropique du Cancer en langue anglaise en 1934. En 1936, il publie Black Spring (Printemps noir), puis, plus tard, Tropic of Capricorn. Kahane publie encore Anaïs Nin (House of Incest) ou Lawrence Durrell (The Black Book). Nombre de ces livres étant interdits en Grande-Bretagne et aux États-Unis, sa situation fut souvent difficile. La déclaration de guerre fit le reste et Obelisk Press disparut.

Fondé sur une minutieuse enquête, le livre de Hugh Grant laisse pourtant sur sa faim. Très factuel, il ne passe guère au crible les propos autobiographiques, situe assez peu ces itinéraires dans le contexte éditorial ou sociopolitique de la période, mais offre une mine d'informations, dont l'histoire du livre consacrée à l'entre-deux-guerres peut se nourrir.