La librairie, un commerce culturel dans la cité

François Marin

A l'initiative de l'ARALD (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation), et dans la perspective des Rencontres nationales des métiers du livre qui auront lieu en 1997, une centaine de libraires et de bibliothécaires se sont réunis les 23 et 24 juin à Saint-Étienne pour évoquer la place et les problèmes spécifiques de la librairie dans le commerce local. Ces deux jours ont été l'aboutissement d'un travail de plusieurs années, mené au sein de l'ARALD par les professionnels du livre, et suscité par l'annonce d'un plafonnement des remises aux collectivités, réclamé par les libraires et redouté des bibliothécaires. Ce colloque se fixait pour but d'élargir le débat en replaçant la librairie dans son contexte économique et culturel, en amenant les librairies et les collectivités à mieux préciser les unes envers les autres leurs besoins respectifs, et en présentant des expériences originales qui ouvrent de nouvelles voies pour le développement de la librairie.

La concurrence

Dans la première intervention, François Rouet, du Département des Études et de la Prospective du ministère de la Culture, a rappelé les tendances lourdes auxquelles sont confrontés les libraires.

La librairie traditionnelle n'occupe plus qu'une place à peine majoritaire dans le commerce du livre, concurrencée par les grandes surfaces non spécialisées et les clubs. Cette concurrence joue également à l'intérieur du réseau des librairies en faveur de la FNAC. Le niveau de développement des bibliothèques publiques peut également constituer une menace pour la librairie. Par ailleurs, les achats des bibliothèques ou des collectivités sont globalement marginaux, puisqu'ils représentent moins de 10 % du marché du livre. Pour compléter cette vue d'ensemble, deux études régionales ont été présentées, l'une de Michel Chaffanjon, de l'Institut de formation de la librairie, sur l'évolution des zones de chalandise en Rhône-Alpes dans la période allant de 1989 à 1996, et l'autre de Marc David, conseiller à la Chambre de commerce et d'industrie de Lyon, sur l'attractivité de la ville.

Librairies et collectivités locales

Comment les collectivités locales peuvent-elles soutenir l'activité des librairies ? En introduction, Jacques Oudot a mentionné l'initiative originale du chéquier culturel, qui conduit la région Rhône-Alpes à injecter cinq millions de francs par an dans le commerce du livre. Pour sa part, Jean-Jacques Gleizal, adjoint à la Culture de Grenoble, a insisté sur les acquisitions des bibliothèques publiques auprès des libraires locaux, et sur les projets urbains qui permettent une maîtrise du développement local, car la librairie ne peut se développer que dans un centre ville fort. Les libraires peuvent également recevoir des aides comme partenaires de l'animation culturelle de la cité. Après ce coup de projecteur sur le monde de la librairie aujourd'hui, le colloque s'est efforcé de préciser les conditions nécessaires à un meilleur partenariat entre les librairies et les collectivités.

Librairies et bibliothèques

Jean-Loup Lerebours, directeur de la bibliothèque municipale d'Arles, a précisé les attentes des bibliothèques vis-à-vis de leurs fournisseurs. Le libraire doit être un professionnel qui joue un rôle de conseil. La librairie doit proposer un fonds étendu et multimédia ; fournir rapidement tout document et assurer un suivi efficace des commandes ; disposer de moyens de recherches bibliographiques ; être un partenaire culturel.

Claudine Belayche, présidente de l'ABF, a rappelé le cadre juridique qui réglemente les fournitures de livres aux collectivités, et comprend deux recommandations principales : le soin apporté à la rédaction du cahier des charges, pour favoriser le « mieux disant », et le respect scrupuleux par les libraires des procédures administratives. En réponse à ces deux interventions, Marie-Odile Massard, directrice des librairies Arthaud, a convenu que le libraire qui veut travailler avec les collectivités doit se comporter en vrai professionnel. En revanche, elle a déploré que trop de collectivités adoptent la remise comme premier critère de choix, quand il ne s'agit pas de marchés par adjudication. Souvent, les librairies locales se trouvent face à une surenchère des grossistes ou officines de libraires parisiens. Or, il faut calculer la remise du libraire sur sa marge, et non sur le prix du livre. 5 % de remise, c'est 14,2 % de la marge du libraire et 25 % représentent 71,4 % de la marge ! C'est pourquoi un libraire doit veiller à ce que la vente aux collectivités ne dépasse pas un certain pourcentage de son chiffre d'affaires, sous peine de mettre son entreprise en péril.

Échanges fructueux

Au-delà des intérêts économiques, d'autres interventions sont venues rappeler que l'accès au livre pour tous, et donc l'existence des librairies, sont aussi une nécessité culturelle et démocratique, qui peut être défendue avec beaucoup de volonté et d'imagination. Au total, ces deux journées de Saint-Etienne auront été l'occasion d'un échange fructueux entre les bibliothécaires et les libraires présents. La librairie en France n'est pas morte, et elle supporte mieux que d'autres petits commerces la concurrence des grandes surfaces, grâce à la loi sur le prix unique. En revanche, les difficultés liées au dépérissement des centres villes et à l'augmentation de la fiscalité locale sont bien réelles. Les librairies sont des affaires peu rentables et difficiles à transmettre. Le problème des remises aux collectivités existe bien, mais il ne concerne qu'une partie des librairies, pour une part très variable de leur chiffre d'affaires, et les abus en ce domaine se font surtout sentir du côté de l'Éducation nationale. Le plafonnement est aujourd'hui retardé par les hésitations des élus qui sont pris dans des intérêts contradictoires. Par ailleurs, plusieurs libraires ont regretté l'absence des autres acteurs de la chaîne du livre, les éditeurs et les diffuseurs, dont les comportements expliquent en partie leurs difficultés actuelles. La réponse sera reportée aux Rencontres nationales des métiers du livre, où tous les acteurs, cette fois, seront présents.