Editorial

Martine Poulain

A la fin des années 70, la Direction du livre inaugurait le recours à un genre qui fera ensuite florès dans les bibliothèques : l'enquête sociologique.

Voulant à l'époque développer le grand chantier de la modernisation des bibliothèques municipales, la Direction du livre éprouvait le besoin de recueillir, de manière plus systématique et plus développée que ne l'autorisaient les maigres indices statistiques dont elle disposait annuellement, l'opinion des personnes fréquentant ces bibliothèques. On ne parlait déjà plus de lecteurs et pas encore systématiquement de publics, moins encore d'usagers. On voulait alors mieux connaître à la fois les pratiques, les usages effectifs, et les représentations, l'image de la bibliothèque. Mais, dans une France qui ne fréquentait qu'à 10 % ses bibliothèques municipales, il avait évidemment paru opportun de s'intéresser aussi à ceux que les années 70 avaient appelé, dans une formule malheureuse, le « non-public ». On s'intéressa donc aussi à l'opinion des non-inscrits.

Les résultats de cette enquête furent publiés dans le Bulletin des bibliothèques de France. La diffusion du rapport lui-même resta confidentielle et il ne fut pas fait de travail d'interprétation prolongé des résultats. Et c'est dommage. Car l'enquête fourmillait d'informations, mettait en évidence des expériences et des images variées, parfois paradoxales, inattendues... Certaines de ces informations deviendront des attributs habituels, au fil des ans moins surprenants, du commentaire sociologique : les corrélations entre la fréquentation de la bibliothèque et le niveau socioculturel des personnes ; la différences entre le profil des inscrits en bibliothèques et la population française

Mais l'enquête posait aussi d'autres questions, peu remarquées à l'époque, et qui seront à nouveau très en vogue lorsque l'on cherchera, à la fin de la décennie suivante, à comprendre les mutations susceptibles d'accompagner la baisse, pour certains seulement apparente, de la lecture. Ainsi s'inquiétait-on de savoir si les personnes pratiquaient la relecture, si elles lisaient des livres « de bout en bout » ou si elles les consultaient et les parcouraient, pratiques au demeurant non exclusives... On s'intéressait déjà à l'ancienneté de la fréquentation, pour insister sur l'importance d'une inscription dès l'enfance. On soulignait que la fréquentation s'interrompait souvent entre 15 et 24 ans et que la rotation des inscrits était importante. L'enquête révélait aussi que parmi les non-inscrits, certains avaient déjà fréquenté une bibliothèque. Elle mettait l'accent sur l'importance de la lecture sur place et sur le rôle d'un espace calme où l'on vient travailler. L'enquête fourmillait de questions sur l'image des bibliothèques, et tâchait de cerner en quoi l'aspect plus ou moins « traditionnel » de l'offre pouvait influer sur ces représentations. Les nouveaux services - expositions, débats, supports audiovisuels, fonds local, cours de langues -, rencontraient-ils l'adhésion du public ? L'enquête enfin, explorait l'image de la bibliothèque idéale et s'efforçait d'identifier les « freins » à la fréquentation de non-inscrits.

Les bibliothèques, vingt ans après... Anne-Marie Bertrand et Jean-François Hersent livrent ici les premiers résultats d'une enquête miroir, qui devrait permettre à chacun, lorsqu'elle sera achevée, de mesurer le chemin parcouru, de mieux cerner « l'effet médiathèque » et d'interroger les formes de la culture que cette bibliothèque nouveau modèle a promues.