La bibliothèque post-moderne

Entre fonctionnalité et esthétique

Annie Le Saux

Remarquable ce panorama des constructions de bibliothèques universitaires et de recherche en Europe, que nous ont offert 115 architectes et directeurs de bibliothèques, français et étrangers, lors du congrès organisé par le Library Architecture Group de la Ligue des bibliothèques européennes de recherche, plus connue sous le sigle LIBER. Il n'est pas si fréquent qu'un séminaire, d'une durée d'une semaine, soit d'une qualité aussi soutenue du premier au dernier jour, pour ne pas en féliciter les organisateurs 1.

Une assistance nombreuse et assidue a suivi avec grand intérêt le parcours des réalisations et des projets de professionnels s’efforçant de concilier exigences bibliothéconomiques et œuvres architecturales avec des choix financiers et politiques. Le thème directeur du congrès, « La bibliothèque post-moderne : entre fonctionnalité et esthétique », annonçait d'emblée la difficulté qu'il peut y avoir à faire s'accorder deux mondes spécifiques, en l'occurrence, celui des architectes et celui des bibliothécaires. Les nombreux « binômes » bibliothécaire/architecte présents ont témoigné de cette volonté et de cette nécessité, pour les différents corps de métier impliqués, de coopérer et de parler un langage commun.

L'évolution des concepts architecturaux

Le séminaire s'est ouvert, tout naturellement, sur une analyse de l'existant par l'architecte allemand Eckhard Gerber, qui a retracé les idéologies des différentes époques reflétées dans les bâtiments. Ce tour d’horizon aboutit à une vision de la bibliothèque du futur, incarnée par la Bibliothèque nationale de France ou la bibliothèque universitaire de Toronto : « Des bâtiments verticaux, structurés en zones isolées pour la recherche et en zones d'accès libre ouvertes à un public de plus en plus large et de plus en plus diversifié, où les tours – faisant suite aux bâtiments de type musée, avec leurs coupoles centrales, symbole d'un savoir offert à une assemblée de lettrés – s'ouvrent sur un centre dégagé, stimulation de la liberté de l'esprit ».

L'évolution de l'architecture des bibliothèques, résumée par Michel Melot 2, part d'un modèle de parallélépipèdes ou de rotondes, représentations de la volonté d'unification du savoir, passe par des structures en éventail, illustrées par la bibliothèque de Göttingen, pour devenir des bâtiments composites, où l'unité comme fil conducteur laisse place à l'articulation, la juxtaposition, la différenciation des services.

A une époque où on ne parle que de réseaux, de bibliothèque virtuelle, de technologies toujours plus nouvelles, la construction de bibliothèques pourrait sembler quelque peu anachronique. Il n'en est rien si l'on en juge par la multiplication des projets de construction de bibliothèques dans toutes les parties du monde, comme si, remarque Michel Melot, dans un monde où l'information est un flux continu, on avait besoin de la bibliothèque « pour incarner une stabilisation des connaissances ». Ou bien, est-ce parce que la bibliothèque, dans certains pays, est chargée d'une forte symbolique, où, dans le savoir incarné par cet édifice, s'affirme aussi le pouvoir politique.

Ce pourrait être le cas, par exemple, de la Bibliothèque nationale d'Estonie à Tallinn. Présenté avec dynamisme et une évidente générosité par sa directrice Ivi Eenmaa, ce bâtiment – aussi grand que le pays est petit – est apparu, dans son architecture monumentale en dolomite – marbre estonien –, comme le symbole d’une culture accessible à tous et « la pierre angulaire de l'unité nationale ».

Panorama européen

En Grande-Bretagne, l'évolution de l'architecture des bibliothèques pourrait se définir par « les bibliothèques avant et après le rapport Atkinson 3 ».

Les difficultés économiques, qui n'ont pas épargné l'Angleterre, avaient amené l'organisme financeur de l'Enseignement supérieur – l'University Grants Committee, devenu le Higher Education Funding Councils – à réunir un groupe de travail sur les moyens de résoudre les problèmes liés à la saturation des bibliothèques universitaires.

Anthony Quinsee a rappelé les points forts des projets de construction, depuis le concept d'une bibliothèque à croissance illimitée, en cours dans les années 60, jusqu'à celui d'« une bibliothèque dans laquelle l'espace nécessaire aux nouvelles acquisitions serait largement assuré par l'espace rendu libre par les collections plus anciennes retirées », que prônait, en 1976, le rapport Atkinson. Ces normes, faisant de la croissance des collections le facteur déterminant du calcul des surfaces des bâtiments, sont encore en vigueur aujourd'hui. Elles sont appliquées notamment en Grande-Bretagne, malgré certaines contestations, mais aussi en Belgique, où les normes de la nouvelle bibliothèque de lettres et sciences humaines de l'Université libre de Bruxelles se sont rapprochées de celles préconisées par le rapport Atkinson.

Si la Suisse peut s’enorgueillir de sa politique de construction ou de transformation de bibliothèques universitaires – la bibliothèque centrale de l’université de Zürich-Irchel, la bibliothèque cantonale, municipale et universitaire de Zürich, la bibliothèque de droit, de sciences économiques et sociales de Genève, pour ne citer que ces quelques exemples – la Hongrie ne peut, quant à elle, que déplorer une situation guère enviable.

Manque de magasins, manque de salles de lecture, pénurie de moyens, tels sont les termes qui résument l’état des bibliothèques de ce pays, où, sur les vingt-quatre universités, seules quatre ont leur propre bibliothèque. Des ébauches de programmes de constructions ont apporté une note optimiste à l’exposé de Marta Viragos, chargée du projet de reconstruction des bibliothèques universitaires : ceux d'une bibliothèque interuniversitaire à Budapest et d'une bibliothèque universitaire médicale à Debrecen.

Projets et réalisations parisiens

La future bibliothèque universitaire de Paris-VIII-Saint-Denis a pris forme sous les paroles de son architecte Pierre Riboulet.

Fidèle à sa définition de l'architecture : « Donner une réponse simple à un problème complexe », il a, dans ce projet, recherché avant tout la simplicité. Au travers de son exposé et des projections de maquettes, nous avons suivi la façon dont il a maîtrisé les obstacles – échangeurs, voies rapides, bruit, foule... – en s'en servant pour traduire sa propre conception de la bibliothèque : « un lieu d'intériorité, ouvert au monde, mais en même temps protégé du monde ». Protégé surtout de ce que Pierre Riboulet appelle « le supermarché de la culture », où l'information prend le pas sur la pensée, où la philosophie recule.

Des visites de toutes récentes constructions de bibliothèques parisiennes ont illustré les tendances actuelles des conceptions architecturales : la nouvelle bibliothèque de l'Institut Pasteur, celle du Pôle universitaire Léonard de Vinci et la – encore que moins récente – Médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie. La Bibliothèque Sainte-Geneviève et la Bibliothèque Mazarine étaient proposées aux participants plus attirés par les bâtiments anciens à caractère historique.

La visite de la Bibliothèque nationale de France était, on s'en doute, attendue avec grand intérêt et aussi beaucoup de curiosité par tous les participants, qui étaient, rappelons-le, architectes ou directeurs de bibliothèques français et étrangers. La conscience de l'importance du déménagement des arbres et de la – fort belle – couleur terre d'Afrique de la moquette n'a pas suffi à masquer leur déception de ne pas obtenir toutes les réponses aux nombreuses questions techniques et professionnelles qu'ils se posaient.

Les tendances

Des similitudes se retrouvent par-delà les frontières, s'appuyant sur de mêmes concepts décriés ou encensés, selon les époques.

A travers les exemples des nouvelles constructions qui ont été présentées se dessinent des tendances, comme celles de l’ouverture à un large public, de zones d'accès libre et de zones isolées – salles pour le travail en groupes à côté de carrels individuels –, l'introduction de salles d'expositions et de concerts, le développement des technologies nouvelles et la prise en compte de l'environnement.

L'apparition de nouveaux services, de nouveaux usages, la diversification des publics, la multiplication des fonctions, l'accroissement du nombre des étudiants sont autant de facteurs qui ont joué sur l'évolution de la structure des bâtiments ces dernières années. La recherche de nouveaux concepts est, il faut le noter, de plus en plus liée à des aspects fonctionnels.

La Bibliothèque royale de Copenhague, qui est en même temps Bibliothèque nationale du Danemark et bibliothèque de l'université de Copenhague, semble répondre à beaucoup de ces critères. Des représentants de plusieurs corps de métier concernés par la nouvelle construction – ingénieurs, architectes et bibliothécaires – ont présenté le choix qui a été fait d'apporter une extension moderne à l'ancien bâtiment, conservé et surtout préservé. Le « diamant noir », tout en granit, devrait être terminé fin 1998. Ouvert davantage au public et aux technologies, à la fois bibliothèque et centre culturel, comprenant quatre salles d'exposition, une salle de concert et de conférences, ce bâtiment a associé exigences et contraintes, tenant compte de l'environnement et de l'évolution des besoins.

L'impact des nouvelles technologies sur l'aménagement des bâtiments fait partie de cette évolution. Il se manifeste par des équipements spéciaux, devant être programmés dès la conception même d'une bibliothèque : la nécessité d'équiper une place de lecture d'un terminal et d'une imprimante entraîne une révision des normes de surface des places de lecture à la hausse, le câblage électrique et informatique de la bibliothèque soit par les plinthes, soit par les plafonds, soit encore – solution plus coûteuse – par des planchers flottants peut difficilement s'ajouter s'il n'a pas été prévu dès le début. D’où la difficulté, pour les bâtiments anciens, de s’adapter aux développements technologiques.

La bibliothèque, reflet d'une époque, devrait évoluer en fonction des besoins et des services, différents selon les années. La BPI, où des projets de rénovation sont à l'étude, illustre une certaine conception des années 70. La restructuration, rendue possible grâce à la flexibilité de sa structure – de grands plateaux sans points porteurs – aura pour objectif de répondre à l'évolution des besoins tout en s'inscrivant dans le programme initial multiculturel et multipublic du Centre Georges-Pompidou.

Un maximum d'autonomie pour un maximum de personnes

Le thème de l'accessibilité des personnes handicapées dans les bibliothèques, dont on ne tient pas encore suffisamment compte en France, s'est vu réserver une place importante dans ce colloque.

Louis-Pierre Grosbois, architecte 4, a expliqué sa démarche tant à la Cité des sciences et de l'industrie qu’en tant qu’architecte conseil à la Bibliothèque nationale de France. Le maximum d'autonomie pour le maximum de personnes, c'est ce qui doit être recherché dès la programmation de tout nouveau bâtiment ou le choix de tout nouveau mobilier.

Si, en France, ces exemples où la conception et la réalisation de l'accès à tous aux bibliothèques sont des exceptions, il n'en va pas de même dans les pays scandinaves, qui ont une politique quasi commune en ce domaine. La législation finlandaise oblige à la prise en compte, depuis 1973, des besoins des handicapés.

Lors de l'intervention de l'architecte finnois Tuomo Siitonen, il était frappant de constater à quel point l'accessibilité des handicapés est tellement intégrée dans la législation qu'elle en est banalisée. Les aménagements spéciaux se sont fondus dans la description générale de la bibliothèque du Nord de la Carélie, qu’a faite Tuomo Siitonen. Tout y est prévu : l'accès par les transports, les parkings réservés, sans oublier des parcmètres accessibles, des portes suffisamment larges pour permettre l'accès aux fauteuils roulants, des mains courantes à 90 cm de haut, des ascenseurs de 1,50 m de large et de 1,40 m de profondeur, des téléphones publics...

Cet exposé a provoqué de nombreuses réactions, témoignant de cas où les intentions pouvaient être bonnes, mais où, malheureusement, les détails n’avaient pas suivi. Des aménagements avaient été prévus : ascenseurs, portes... mais les boutons de l'ascenseur étaient hors d'atteinte, les portes n'avaient pas d'ouverture automatique, les tables étaient trop basses, les passages entre les rayonnages trop étroits. Autant d’exemples qui ne manquent pas dans les nouvelles constructions. Que dire alors du problème de l'accessiblité de bâtiments anciens, qui n'ont pas été conçus dans cette optique ?

L'éclairage

L'importance de l'éclairage naturel et artificiel a été soulignée par Pierre Riboulet, pour qui la lumière et l'architecture sont deux notions inséparables. L'architecte a expliqué comment il a cherché à capter la lumière de toutes les façons : éclairage zénithal central, prises de lumière sur les façades, toit – « cinquième façade du bâtiment » – apporteur lui aussi de lumière.

Original fut l'exemple fourni par Bernard Cormier et Willy Aeppli, architectes responsables de l'extension souterraine de la bibliothèque de droit de Berne. Ils ont conçu des puits de lumière par la multiplication de points lumineux. Ils ont recherché des fentes, qui, par réflexion, rejetteraient la lumière à l'intérieur d’un bâtiment, qui, du fait de sa situation souterraine, demandait d'accorder encore plus d'attention à la lumière naturelle. Eclairage zénithal, lanterneaux de briques de verre ont été le résultat d'études menées en collaboration avec un ingénieur éclairagiste.

C’est un cours magistral sur la lumière, ses caractéristiques, ses sources, son influence positive ou négative, ses fonctions qu’a offert Gilbert Quéré, ingénieur à la compagnie Philips Eclairage. Il en est ressorti que, pour la lumière artificielle, la fibre optique semble être la façon la plus efficace, mais pas la moins onéreuse, de protéger les œuvres contre la dégradation due à la lumière (ultraviolet, infrarouge) et contre la dégradation physique (la source, située à un autre endroit, ne peut donc être détruite).

Les problèmes indirects liés à l'éclairage naturel s’avèrent cependant multiples et un éclairage de bonne qualité a des incidences souvent malheureuses sur d'autres domaines. Des façades vitrées exposées au sud ou à l'ouest nécessitent une bonne protection solaire ou la climatisation du bâtiment. Or, le coût de la climatisation est important et son bon fonctionnement dépend d’installations techniques performantes, donc onéreuses. D'autre part, choisir de ne pas cloisonner l'intérieur d’un bâtiment pour laisser passer la lumière occasionne une augmentation du bruit.

Le bruit est une nuisance qui a souvent été évoquée et il semble que ce problème soit encore loin d'être résolu et passe malheureusement après des considérations esthétiques : les matériaux choisis, notamment le verre, et l'accroissement de la fréquentation des bibliothèques augmentent d’autant le bruit. L'architecte anglais Harry Faulkner-Brown, en présentant des diapositives illustrant de nouvelles constructions de bibliothèques réalisées par son compatriote sir Norman Foster – le Carré d’art de Nîmes, la bibliothèque universitaire de Cranfield... –, aussi enthousiaste qu'il ait été sur l'esthétique de ces bâtiments, a cependant vivement critiqué les incidences sonores de certains choix de matériaux.

L'environnement

De plus en plus, l’implantation de la bibliothèque tient compte de l’environnement et cherche à s’intégrer dans un ensemble architectural déjà existant.

Cela va de la présence de plantes sur le toit et sur les murs de la nouvelle bibliothèque universitaire de Varsovie, inspirée par la proximité du jardin botanique, à l’extension souterraine de la bibliothèque universitaire de droit de Berne, visant à préserver le bâtiment d'origine datant du XIXe siècle.

Le cas de la bibliothèque Hartley de l'université de Southampton en Grande-Bretagne, a témoigné des difficultés que peuvent rencontrer bibliothécaires et architectes pour rendre fonctionnel et esthétique un bâtiment hétérogène et alambiqué – 13 escaliers et 3 ascenseurs, dont aucun ne desservait tous les étages. Bernard Naylor, directeur de la bibliothèque et Robert Chambers, architecte, ont insisté sur le rôle qu'avaient joué, dans ce cas précis, leur entente et leurs constants échanges.

Tout au long des interventions, il est ressorti qu'outre un dialogue régulier entre architectes et bibliothécaires, une programmation précise est indispensable pour favoriser la qualité tant esthétique que fonctionnelle de toute construction ou extension. C'est ce à quoi s'efforce de veiller la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, organisme français créé en 1977 pour assurer « des tâches d'impulsion, de formation et d'information, ainsi que de conseil et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ».

Le recours systématique aux concours d'architecture, dont l'avantage est d'obliger à établir un programme précis et détaillé des fonctions de la bibliothèque, a été décrié par les architectes anglais et belges, qui ont reproché à ce procédé sa trop grande lourdeur. La sous-représentation des bibliothécaires dans les jurys de concours est un regret souvent émis également. A l'inverse, Jacques Cabanieu, secrétaire général de la MIQCP, soutient ardemment la programmation, dans laquelle il voit un moyen indispensable pour remettre en cause des idées toutes faites et l'utilisation de modèles qui risquent d'être un obstacle à la création.

Espaces de plus en plus pensés en fonction de leurs usages, ouverts à un public de plus en plus large, les bibliothèques cherchent à s’adapter aux évolutions des comportements et à anticiper sur un certain nombre d’enjeux technologiques, auxquels les choix esthétiques des architectes s’efforcent aussi de répondre.

La richesse de ce congrès n’a échappé à aucun des participants, mis en présence d’une multiplicité d’études de cas, tant français qu’européens. La qualité des interventions était complétée par des projections de diapositives, de photos, de plans et de films, qui ont illustré et animé les nombreuses constructions et rénovations présentées.

  1. (retour)↑  Ce séminaire a été organisé par le groupe d'experts sur l'architecture des bibliothèques universitaires et de recherche de l'association liber, présidé par Elmar MITTLER, en collaboration avec la Direction de l'information scientifique, des technologies nouvelles et des bibliothèques du ministère de l'Education nationale. Parfaitement orchestré par Marie-Françoise BISBROUCK, il s’est tenu, du 22 au 26 janvier, à Paris, à la Grande galerie de l'évolution au Muséum national d'histoire naturelle.
  2. (retour)↑  Cf. la toute récente publication, sous la direction de Michel MELOT : Nouvelles Alexandries : les grands chantiers de bibliothèques dans le monde, Ed du Cercle de la Librairie, 1996, 416 p.
  3. (retour)↑  Capital Provision for University Libraries, rapport établi par un groupe de travail animé par Mr. Atkinson, 1976.
  4. (retour)↑  Louis-Pierre GROSBOIS est l'auteur de l'ouvrage Handicap physique et construction, Ed. du Moniteur, 3e éd., 1993, 330 p.