Editorial

Martine Poulain

Les bibliothèques conservent des collections patrimoniales particulièrement importantes : outre les collections de la Bibliothèque nationale, les bibliothèques municipales sont riches de plus de 4 millions de volumes antérieurs à 1811 et les bibliothèques d'enseignement supérieur de plus de 1 million de volumes entrant dans cette catégorie. La France compte parmi les pays pouvant être fiers de l'importance de leurs fonds patrimoniaux. Pourtant, une longue litanie de rapports dénonçant la mauvaise conservation et la dégradation de ce patrimoine accompagne le XXe siècle.

Il n'est pas sûr que la situation aujourd'hui soit vraiment inversée. D'autant que la notion de patrimoine s'est considérablement, et avec raison, élargie. Les bibliothèques conservent aussi un patrimoine local, de toute nature, ou se donnent tel ou tel domaine d'excellence, qu'elles enrichissent, conservent, sauvegardent et mettent en valeur. Cultiver son patrimoine n'est pas seulement entretenir un passé. C'est enrichir constamment des collections existantes, c'est chaque jour constituer un fonds, vivant.

L'heure est au paradoxe. Au plan discursif, le patrimoine est (re)devenu une valeur. Valeur consensuelle d'une population qui voit dans un retour sur ses racines un enrichissement culturel, une promesse de compréhension de sa propre histoire et peut-être une forme de conjuration des angoisses du présent. Valeur consensuelle largement partagée, parfois utilisée, par les élus. Mais célébrer une valeur et une croyance communes n'entraîne pas pour autant qu'on lui accorde tous les soins qu'elle mérite. Des choix plus forts, des traductions dans les faits de cet engouement pour le patrimoine restent à affirmer de la part de toutes les autorités de tutelle des bibliothèques.

L'état de l'art, sans être satisfaisant, n'est pas pour autant immobile. Ce sont certaines de ces réalisations, ces mouvements, ces convictions, ces tentatives que les contributions ici rassemblées s'efforcent de décrire et de penser.

La mise en place de la nouvelle Bibliothèque nationale de France a été l'occasion d'un gigantesque chantier de conversion rétrospective des catalogues. Entreprise première, dont l'intérêt est multiple, car elle est l'occasion de ressouder le réseau des bibliothèques françaises, de mieux connaître les richesses patrimoniales des unes et des autres, de désigner plus précisément des lignes de force, de répartir des domaines d'excellence, et bien sûr, d'offrir à terme aux lecteurs une information bibliographique plus complète, nationale et partagée.

Les autorités de tutelle des bibliothèques proposent un soutien renouvelé à l'acquisition, la sauvegarde, la restauration des collections. Elles contribuent à la mise en place de nouvelles structures, correspondant aux exigences de la décentralisation. Les agences de coopération ont fait du patrimoine l'un de leurs pôles d'excellence - et il faudra bien un jour se demander pourquoi.

Enfin, la valorisation du patrimoine se développe sur de multiples registres. Ni supplément d'âme, ni nécessité annexe, elle fait partie intégrante de l'ardente obligation qu'a tout bibliothécaire de contribuer à rendre les écrits éternels.