La littérature du collège

par Francis Marcoin

Danielle Manesse

Isabelle Grellet

Paris : Nathan-pédagogie : INRP, 1994. – 127 p. ; 21 cm. – (Perspectives didactiques). ISBN 2-09-120700-4 (Nathan), ISBN 2-7342-0429-0 (INRP)

Ce petit livre clair et bien informé rend compte d’un questionnaire lancé dans 150 collèges représentatifs du territoire national, et complété par des entretiens avec des professeurs et des élèves. Sur cette base, son ambition est d’intervenir dans un débat où les craintes et les opinions l’emportent généralement sur l’observation des faits. Aussi, bien que présenté dans une collection, « Perspectives didactiques », adressée aux étudiants en IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), ce travail peut-il intéresser un public plus large, préoccupé à juste titre par la culture de l’école.

Une culture classique

A première vue, et à en croire les déclarations des enseignants, la défaite de la pensée tant annoncée ne pourrait venir d’un renoncement. En effet, indépendamment de leur formation ou de leur catégorie, les professeurs de français sont généralement attachés à la culture classique, et peu portés vers l’audace ou la provocation ; ils introduisent peu de textes non littéraires, travaillent peu sur l’image et la bande dessinée, et, sur tous ces points, sont même en retrait par rapport aux indications officielles. Et, sans exclure les approches thématiques, ils accorderaient à l’histoire littéraire plus de place que ne le préconisent ces mêmes textes officiels.

Mais, comme l’ont déjà signalé les travaux d’André Chervel, auquel il est fait référence, la classe est le lieu de compromis entre les intentions de l’enseignant et les possibilités des enseignés. Les professeurs ne méconnaissent donc pas les obstacles et n’oublient pas ce que peuvent faire leurs élèves. Les auteurs et les textes étudiés, qu’il s’agisse d’œuvres intégrales ou de morceaux choisis, reflètent donc cette sorte de négociation implicite. Ainsi constate-t-on la prééminence d’une littérature narrative, française et moderne (XIXe-XXe siècles), et plus précisément celle du roman, concurrencé en apparence par le théâtre du XVIIe siècle, mais au travers d’un seul nom, Molière, qui occupe de loin la première place dans la liste des auteurs étudiés en lecture suivie. La Fontaine tenant le même rang pour les morceaux choisis, on observe que ces choix situent le collège dans une tradition qui remonte au XIXe siècle, alors que la lecture suivie de romans amène une nouveauté sur laquelle on s’interroge, dans un chapitre rédigé par Bernard Friot.

Une solution médiane

En effet, sommés de répondre à des objectifs contradictoires, le plaisir de lire d’un côté, l’initiation à la lecture savante de l’autre, les enseignants semblent adopter une solution médiane représentée par le roman, pourtant difficile à lire en classe de façon suivie. Les ajustements pédagogiques sont-ils satisfaisants, peuvent-ils l’être ?

On notera que cette scolarisation d’un genre longtemps mineur va de pair avec le peu de place accordé à la littérature de jeunesse. Malgré la présence soutenue de quelques titres dans ce domaine, les professeurs lui dénient même un vrai caractère de littérarité. Mais les perspectives ouvertes dans ce livre vont moins vers une rénovation de l’enseignement des textes que vers une curiosité pour les pratiques culturelles des élèves, les formes de sociabilité autour de la lecture, les médiations…

D’ailleurs, il s’agit avant tout de comprendre comment les enseignants de français répondent à une situation de plus en plus difficile, où la lecture des textes semble devenir un luxe. Au lecteur ensuite de se faire une opinion. Pour nous, ces résultats semblent venir à point nommé pour vérifier ceci : « L’analyse sous l’angle de la rhétorique du lecteur suggère que l’école tend à imposer trop étroitement un seul modèle de lecture et de littérature, sans avouer assez ses enjeux ». Ce propos d’Alain Viala clôture l’Acte de lecture, l’ouvrage dont nous rendons compte ci-après.