Editorial

« Après tout », dit Paul Ricoeur dans Temps et récit *, « les bibliothèques sont pleines de livres non lus, dont la configuration est pourtant bien dessinée, et qui ne refigurent rien ». C’est assez dire que, si la configuration d'une collection appartient au collectionneur ou au bibliothécaire, l’exercice du sens et du lien, la compréhenson se faisant refiguration, appartiennent, eux, au lecteur. Et les bibliothèques se sont, ces dernières années, surtout intéressées à ce dernier, cherchant à mieux connaître les multiples modalités de cet exercice de refiguration dans le cadre de l’espace public.

Pourtant, juste retour des choses, il est nécessaire aujourd’hui de réinterroger l’acte de configuration proposé et mis en oeuvre dans toute constitution de collection. Un tel questionnement n’est encore pas assez présent dans les réflexions professionnelles françaises. Le thème est abordé, certes, mais guère dans ses fondements mêmes. Les interrogations sont pourtant nombreuses. Certaines tiennent à l’histoire, d’autres à une conjoncture nouvelle.

L’héritage est en effet toujours présent dans nos bibliothèques. Comment penser des collections dont une part, parfois non négligeable, est formée par les impératifs ou les hasards de dons ou de fonds hérités plutôt qu’acquis ? Comment penser des fonds dont les conceptions, la cohérence et les lignes de force peuvent avoir évolué au cours des temps ? Il en va ainsi souvent des fonds locaux, qui, pour importants qu’ils soient, n’obéissent pas toujours à une logique d’acquisition et d’élaboration rigoureuse et partagée.

La conjoncture, plus ou moins nouvelle, suscite une autre série de défis. Comment concevoir une offre encyclopédique, dont chacun sait, notamment en bibliothèque publique, qu’elle est aujourd’hui plus encore qu’hier, tout à la fois une exigence et un mirage ? Certaines tentatives sont proposées, qui s’essaient à repenser la mise en oeuvre de l’encyclopédisme dans la perspective nouvelle de notre fin de siècle, qui voit publics et documents se multiplier, supposer ou susciter des rapports au savoir différents.

Autre expérience encore jeune, celle qui acquiert et propose des collections virtuelles. Plusieurs contributions s’intéressent ici aux enjeux et modalités de constitution de tels fonds. Les critères ne peuvent être tout à fait les mêmes que ceux qui ont présidé pendant des siècles à la lente élaboration des collections d’imprimés. Les manières d’offrir et règles de l’offre non plus.

Bref, on ressent dans tous les secteurs documentaires un besoin d’explicitation et de rationalisation des choix, dont l’origine provient à la fois de la surabondance des documents potentiellement disponibles et des attentes illimitées des usagers.

Constituer des collections, configurer ainsi un ensemble de connaissances, un état de l’art dans un certain nombre de domaines, c’est aussi, parfois, d’accepter de faire l’expérience, que l’existence de réseaux doit pouvoir rendre fictive, de la perte.