Les usagers dans l'évaluation des politiques publiques

étude des relations de service

par Alain Van Cuyck

Philippe Warin

Paris : L'Harmattan, 1993. -317 p. ; 22 cm. - (Logiques politiques ; 8).
ISBN 2-7384-1850-3

A partir d'une étude sur les relations de service au sein des organismes HLM 1, l'auteur 2 montre l'importance des interactions entre agents et usagers sur les systèmes de représentations sociales et de fonctionnement des organisations : « Les interactions constituent un carrefour où celles qui existent se confrontent et où d'autres peuvent apparaître », d'où l'importance de reconnaître les relations de service comme objet d'étude des politiques publiques. Les interactions sont donc envisagées comme des régulations entre acteurs et constituent un processus permanent d'apprentissage qui agit sur les représentations, les opinions et les comportements des uns et des autres, au travers d'arrangements coutumiers, d'implicites, de non-dits, de non-décisions, de normes inavouées, de jugements moraux, d'interdits. Cet ensemble d'interactions entre agents et usagers finit par modeler les représentations, les praxis, les us et usages et constitue ce que l'auteur appelle un « construit social » donnant lieu à une perception structurée des interactions. Ainsi, le fait de modifier les conditions de l'interaction par la mise en place d'une écoute attentive, par exemple, conduit à des changements de perception, d'image, de représentation, de comportement de la part des usagers et implique une nouvelle représentation des rapports sociaux de service par les acteurs.

Les apprentissages individuels et collectifs

Pour l'agent, le système de valeurs joue sur la construction d'un système cohérent de représentations et de critères d'évaluations des usagers, donnant lieu à une catégorisation de ceux-ci 3. Cet apprentissage, lié à la découverte de l'environnement professionnel, a d'ailleurs des effets non négligeables sur l'identité, l'autorité et l'indépendance des agents : « A force de côtoyer les locataires, les agents prennent conscience de leur rôle et de leur place spécifique dans l'organisation ». Cet apprentissage passe aussi par le groupe et ses normes. Cet apprentissage par le groupe provient des nombreuses occasions d'échange entre agents. L'auteur y distingue très nettement les interactions informelles « façonnant le champ des représentations collectives, en agissant sur les coutumes et arrangements convenus à l'avance », donc renforçant la sphère de l'implicite, des réunions formelles, « qui sont toujours l'expression directe (directives) ou la réinterprétation autorisée (consignes) d'un message officiel », renforçant ainsi la sphère de l'explicite et de ses normes.

Rapports sociaux et régulation

L'auteur y pose la question de savoir si « l'expérience des interactions ne joue pas aussi un rôle dans la régulation des rapports sociaux dans les entreprises ». L'expérience sert alors de cadre aux stratégies d'acteurs et aux discours dominants.

Si l'expérience des relations de service agit sur les rapports sociaux, elle peut également influencer la mise en oeuvre d'un projet collectif.

Ainsi la mise en place de techniques de management spécifiques tels que le projet d'entreprise, la mise en place de la qualité totale ou de la direction participative par objectif (DPPO) conduit à prendre en compte l'expérience des acteurs. Le modèle implicite est celui de l'entreprise réticulaire, opposé à celui de l'entreprise pyramidale, et vise alors aux capacités d'adaptation de l'entreprise à son environnement. Ce modèle conduit à prendre en compte les expériences de travail, à valoriser la responsabilisation et l'autonomie des agents. La prise en compte des systèmes de représentations des acteurs impliqués est donc nécessaire si l'on veut atteindre ces objectifs.

Opinion et évaluation

Pour pouvoir s'adapter, pour pouvoir évoluer, l'entreprise doit « tenir compte de l'opinion des usagers ». C'est à ce moment que l'auteur pose sérieusement la question de l'évaluation qui s'inscrit dans la droite ligne de la recherche-action. Après avoir défini cette dernière et posé le cadre théorique de l'évaluation, l'auteur plaide pour une prise en compte beaucoup plus importante des usagers dans les procédures d'évaluation.

L'évaluation par les usagers constitue le point d'orgue de toute la démarche entreprise. Selon l'auteur, en effet, « l'évaluation se rapproche plus d'une activité de simulation de l'apprentissage collectif que de l'expérimentation contrôlée des sciences dures ». L'évaluation doit alors se faire par le bas et nécessite donc d'écouter et d'observer les agents pour prendre en compte les usagers.

Dès lors la conclusion de l'auteur est la suivante : les relations de service constituent un révélateur de la transformation de l'Etat providence : « au moment où l'Etat providence doit revoir ses modes et ses champs d'intervention, il apparaît urgent d'écouter les ressortissants dans leur plus grande diversité, pour définir les moins mauvais choix ». L'association des usagers à l'amélioration du service public et à la définition de ses finalités agit donc dans le sens d'un renforcement de la démocratie.

La qualité principale que l'on peut trouver à ce travail est d'avoir su concilier approche empirique sur le terrain et approche théorique. L'approche théorique y est très diversifiée, puisque de nombreuses références sont faites aux sciences politiques, à la sociologie des interactions, à la psychologie sociale, à l'ethnométhodologie ou encore à la sociologie des organisations. Toutefois la prise en compte de toutes ces disciplines nous semble cacher une certaine faiblesse, celle de la mise en application d'une méthodologie générale sur laquelle tout évaluateur pourrait s'appuyer. Sur ce point-là il semble que le travail de Philippe Warin relève plus d'une approche empirique et d'un cas particulier que d'une véritable méthodologie. Mais là n'est pas l'essentiel. L'apport principal, original de cet ouvrage est d'avoir su mettre en lumière l'importance des relations de service dans toute politique publique. Toute évaluation digne de ce nom ne pourra plus, désormais, faire l'impasse sur ce point, quitte à inventer de nouvelles procédures d'évaluation.

  1. (retour)↑  L'ouvrage a obtenu le grand prix 1992 des prix des ministères (service public) et est préfacé par Jean-Michel Belorgey, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
  2. (retour)↑  Philippe Warin, docteur en sciences politiques, enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques de Grenoble et au Centre de recherches sur le politique, l'administration et le territoire (CERAT) participe également aux activités du Laboratoire de conceptions d'évaluations pour les organisations et les politiques publiques (CEOPS) de l'Ecole nationale des travaux publics de l'Etat.
  3. (retour)↑  Ainsi la bonne foi des locataires peut être perçue comme un critère de jugement indispensable pour parvenir à une gestion locative acceptable. La mesure de celle-ci s'effectue alors « à partir de traces de comportement dans le logement (usures, dégradations, entretien au moment de la visite) et des réparations locatives effectuées, ou des améliorations apportées par le locataire ».