Bibliothèque et évaluation

par Didier Guilbaud
sous la dir. d'Anne Kupiec
Paris: Ed. du Cercle de la librairie, 1994. - 197 p. ; 24 cm. - (Bibliothèques).
ISBN 2-7654-0549-2 : 220 F

Dix auteurs en quête d'évaluation ! Le sujet valait le détour : presque deux cents pages pour faire le point sur un sujet d'une grande actualité. Dans les bibliothèques, on savait compter... des lecteurs, des collections, des prêts, mais cela suffisait-il à évaluer le service ?

Vous avez dit évaluation !

Tout d'abord, qu'est-ce que l'évaluation ? Anne Kupiec introduit le débat. Evaluer, c'est mettre en valeur, mais aussi prendre position. La collecte et l'analyse de résultats s'entend par rapport à la détermination des objectifs de l'institution (où aller ?) et l'évaluation est un outil destiné à mesurer l'écart des résultats par rapport à ce qui était recherché.

Aujourd'hui la mutation des services publics reconnaît des droits aux usagers dans un contexte où la rareté de la ressource publique implique une rationalisation de son emploi (Danièle Lamarque). Par l'interrogation en amont des objectifs d'un organisme public et en aval de la mesure de l'impact réel de son intervention, l'évaluation finit par se trouver au cœur d'un processus de rationalisation de l'emploi des ressources, mais aussi de l'amélioration du service rendu.

Ainsi pourrait-il en être des bibliothèques ! La décentralisation a créé un climat favorable à l'enracinement de l'évaluation, mais qu'y a-t-il de commun entre une bibliothèque départementale de prêt, une bibliothèque municipale, un centre de documentation et d'information ou une bibliothèque-centre documentaire ? Par ailleurs, l'action au sein des bibliothèques - dévoreuse de temps (précieux) - prend le pas sur l'évaluation de l'action, justement coûteuse en temps. Au-delà des comptages, l'évaluation ne demeure-t-elle pas du domaine de la mission tant ses objectifs sont enchevêtrés avec d'autres centres de ressources ou autres institutions ?

De quelques domaines de l'évaluation

Partons des bibliothèques publiques, tout particulièrement des bibliothèques municipales (Anne-Marie Bertrand). On savait compter les prêts et les lecteurs (enfin presque). Mais dès lors deux questions se posent : les prêts sont-ils les véritables indicateurs de l'activité de la bibliothèque quand on sait qu'une part non négligeable d'usagers fréquentent la BM pour le seul loisir d'y lire sur place des livres, mais aussi des revues, d'y regarder des vidéos, ou d'y entreprendre des recherches sans que cela génère des emprunts dûment comptabilisables ? Comment comptabiliser les bébés, enfants des écoles, et autres partenaires extérieurs ? Ne sont-ils pas des usagers à part entière de la bibliothèque ?

Mesurer la performance, d'accord, mais ce bilan, solide et imparfait, évacue la question des objectifs et aboutit à ne produire que de la légitimité (de l'institution bibliothèque et de ses acteurs - les bibliothécaires). Il convient alors d'apprécier la performance (écart entre objectifs et résultats) dans un domaine où toute comparaison est fragile, et où les attentes des usagers, des élus, des bibliothécaires ne répondent pas aux mêmes critères.

Tout aussi complexe, l'évaluation des BDP. Le recueil d'information auprès des responsables de bibliothèques-relais est déjà un casse-tête. Alain Caraco nous propose des exemples concrets d'informations à traiter et, faute de « normes », des exemples judicieux de traitement de cette information. Mais n'oublions pas que le résultat final ne sera qu'une image floue du réseau !

Que dire des bibliothèques scolaires ? Chargées de nouvelles missions, les BCD, par exemple, ont-elles répondu à l'attente ou n'ont-elles que produit l'empilement de pratiques - de celles de la bibliothèque publique à celles de l'école ? L'évaluation tente de répondre, bien que « l'institution scolaire (pourrait être tentée) de privilégier l'estimation des rapports strictement cognitifs tandis que les institutions culturelles (seraient tentées) de mettre l'accent sur l'élargissement des pratiques culturelles ».

Sans s'attarder plus longuement sur les autres chapitres de l'ouvrage, il convient de lister les tableaux de bord des bibliothèques universitaires (Pierre Carbone), la mesure de l'efficacité des bibliothèques aux Etats-Unis (Nancy Van House), l'évaluation des personnels de bibliothèques (Alain Gleyze).

Perspectives

Si au final on devait se livrer à l'évaluation de l'ouvrage lui-même, c'est-à-dire la mesure de l'écart entre l'objectif (faire le point sur la question - mais était-ce le seul objectif ?) et le résultat, il est indéniable que l'ouvrage mérite une excellente note. Je crains néanmoins que certains lecteurs - friands de modèles - ne sortent frustrés de cette lecture, à tout le moins désemparés. Tout un chacun peut avoir envie de trouver des solutions concrètes, applicables en tous lieux, des formulaires d'évaluation tout prêts, des modes de comparaison efficaces, etc. Il y a là sans doute un immense chantier en perspective, dont ce livre constitue un plus qu'honorable premier coup de pioche.