Drôles de bibliothèques... le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma

par Sophie Danis

Anne-Marie Chaintreau

Renée Lemaître

2e éd. rev. et augm.
Paris : Cercle de la librairie, 1993. - 416 p. ; 24 cm. - (Bibliothèques).
ISBN 2-7654-0520-4 : 250 F

Trois ans après la première édition de leur ouvrage, Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître l'ont « remis sur le métier », c'est le cas de le dire, en augmentant d'un bon tiers les références de livres et de films évoquant la bibliothèque, ses bibliothécaires et ses usagers. La structure de l'ouvrage est la même, se composant d'une première partie (inchangée) qui analyse à travers quelques grands thèmes les subtils rapports entre fiction et réalité, d'une deuxième présentant une soixantaine d'extraits de textes répartis en une quinzaine de sujets, enfin d'une troisième rassemblant une bibliographie de 292 références et une filmographie de 96 références, classées par ordre alphabétique et accompagnées d'un large résumé.

Les œuvres répertoriées vont des albums pour les enfants à des écrivains comme Robert Musil, et de 1842 - 1932 pour le cinéma -à nos jours. Une vaste introduction ouvre cette deuxième édition, montrant les évolutions les plus sensibles de l'image des bibliothèques au cours de ces dernières années. Tables et index complètent le corps de cet ouvrage, dans lequel on peut seulement regretter que les différentes parties ne soient pas encore mieux reliées les unes aux autres 1.

De savoureuses découvertes

C'est là le seul reproche que l'on peut adresser à ce livre, dont la lecture est un plaisir constant, tant dans la partie d'anthologie littéraire que dans celles qui ont été rédigées par Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître dans un style limpide et souriant ; on fera au fil des textes des découvertes savoureuses, relevées par les illustrations tirées essentiellement de bandes dessinées, d'albums, de films. Mais il s'agit surtout d'un livre utile et instructif, à plus d'un titre. Il peut en effet permettre à chacun de briller dans les conversations professionnelles en rappelant - par exemple - que le général de Gaulle rêvait de finir bibliothécaire, ou d'imaginer quel roman on écrirait avec ses collègues comme héros, mais aussi de réfléchir sur ces miroirs changeants que nous tendent écrivains et cinéastes, et a contrario sur la réalité qui suscite cette image.

Image qui, dans l'ensemble, a été très marquée par les stéréotypes du XIXe siècle, avec des bibliothèques poussiéreuses et inhospitalières, des bibliothécaires solitaires, plus ou moins névrosés, ayant perdu la considération et la puissance des anciens temps sans pour autant s'intégrer à la vie sociale.

Heureusement, ces visions déprimantes (car non dépourvues de fondement, même s'il s'amenuise de nos jours !) voisinent de plus en plus avec d'autres, plus encourageantes : les bibliothécaires femmes, qui ont toujours été mieux traitées par les auteurs, sont souvent « dessinées » comme un mélange de séduction pulpeuse et de rigueur professionnelle qui leur confère un charme particulier, quand toutefois elles ne sont pas de sèches créatures ressemblant aux livres qu'elles gardent.

Le cinéma pour sa part nous offre quelques fleurons : Redford documentaliste, rêvons un peu... Mais les bibliothèques à l'ancienne semblent plus appréciées pour les décors, et la fréquence d'apparitions de nos institutions et de leurs bibliothécaires augmente moins vite que dans les livres 2.

Réalités et fantasmes

On remarque que la réalité, malgré le caractère fantaisiste de nombreuses descriptions, se profile nettement dans la majorité des œuvres : il est ainsi bien facile de reconnaître certaines spécificités anglo-saxonnes (comme les informations d'ordre social en bibliothèque), et la remarquable expansion de nos sections pour la jeunesse qui n'a pas échappé à certains auteurs, tout comme le renouveau de la lecture publique. Cependant ce ne sont pas nécessairement les œuvres les plus réalistes qui nous intéressent le plus, nous professionnels, mais plutôt celles qui reflètent les grands fantasmes provoqués par notre profession et ses temples : celui, propre à l'écrivain, d'une bibliothèque susceptible d'étouffer son oeuvre par ensevelissement dans la multitude ou par... censure du bibliothécaire ! Ceux, plus généraux, qui témoignent d'une fascination pour les classifications, leurs perversions et leurs effets supposés sur les cerveaux des bibliothécaires ; la grande peur du futur, avec la disparition possible de l'imprimé ; celui enfin, sans doute universel, d'une bibliothèque qui est tout à la fois le symbole du monde dont elle renferme la mémoire, et un univers fermé sur lui-même : labyrinthe, cimetière... C'est donc bien la charge des bibliothécaires de donner vie à leurs collections, et d'accueillir leurs visiteurs dans un calme chaleureux voire utérin, plutôt que dans un silence sépulcral.

  1. (retour)↑  Ainsi l'étude de la première partie pourrait renvoyer à la fois aux extraits de textes et à la bibliographie le cas échéant ; de même les réalisateurs pourraient également figurer dans l'index final, etc.
  2. (retour)↑  Toutes ces évocations cinématographiques ne peuvent d'ailleurs susciter qu'une grande frustration, car, à l'ère des médiathèques, il est encore infiniment plus difficile de se procurer un film qu'un livre...