Enquête sur la politique d'acquisition de quelques bibliothèques universitaires françaises

par Bertrand Calenge

Marc Chauveinc

Paris : Inspection générale des bibliothèques, 1993. - 86 p. ; 30 cm.

Personne ne doute plus désormais qu'une rénovation des systèmes de bibliothèques doive s'accompagner d'une redéfinition, ou plutôt d'une définition de la politique documentaire. Marc Chauveinc, inspecteur général des bibliothèques, a reçu en janvier 1993 mission du ministre de l'Education nationale d'analyser « les problèmes rencontrés par les services communs de documentation pour développer les acquisitions ». L'étude menée par Marc Chauveinc a porté sur 27 établissements mais, pour des raisons de place, le rapport présenté ici rassemble les données concernant seulement 5 services (Aix-Marseille I, Amiens, Le Mans, Toulouse, la Sorbonne), ainsi que les propositions et synthèses sur l'ensemble de l'échantillon.

Les conditions budgétaires

Le titre du rapport ne doit pas prêter à confusion : il ne s'agit pas d'analyser ici les politiques d'acquisition, mais plutôt les conditions budgétaires dans lesquelles s'exerce l'activité des SCD (services communs de documentation), en essayant de répondre à une question essentielle pour le ministère demandeur : comment se fait-il que, le budget des SCD s'étant accru de 128 % entre 1987 et 1992, la part des dépenses documentaires n'ait progressé que de 109 %, faisant passer les crédits consacrés à ces acquisitions de 55 % des dépenses globales à 52 % ?

Le rapport de Marc Chauveinc démontre, chiffres à l'appui, deux faits qu'on soupçonnait déjà : d'une part l'effort des SCD a porté dans toutes les directions (investissements lourds, réorganisations coûteuses... et acquisitions), et le retard accumulé au cours des années antérieures était tel qu'il ne pouvait être comblé sélectivement ; d'autre part l'évolution des dépenses documentaires est obligatoirement plus complexe que pour les autres dépenses, les documents acquis réclamant nombre de dépenses connexes indispensables (équipements, locaux et rayonnages, capacité de traitement informatique, etc.).

L'étude laisse apparaître au fil des pages quelques éléments intéressants concemant les coûts réels des documents acquis ou l'explosion relative des supports optiques. Elle est surtout intéressante comme témoignage d'une politique généralement constatée dans les différents établissements analysés : l'effort a d'abord porté sur les retards constatés en locaux, matériels, etc., avant d'avoir un effet budgétairement significatif sur les acquisitions de documents, et l'augmentation des dépenses documentaires déjà constatée (+ 108 millions de francs sur cinq ans) devrait se poursuivre par assagissement relatif des autres dépenses. On noterait également avec intérêt la diversification progressive des ressources des SCD : les recettes autres que la subvention de l'Etat ont augmenté entre 1987 et 1992 de façon très différente selon les SCD (+ 45 % environ à la Sorbonne, mais + 111 % à Toulouse), et leur part dans le budget est devenue loin d'être négligeable, voire essentielle (24 % à Amiens mais 54 % au Mans, en 1992).

On peut regretter parfois que l'ensemble de données ainsi rassemblées ne soient pas davantage explicitées ou exploitées : les hausses soudaines de recettes issues des droits de bibliothèques sont-elles dues à des augmentations de ces droits individuels ou à un flux croissant d'étudiants ? Quelle est la raison des écarts parfois constatés entre les budgets déclarés dans l'ESGBU (Enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires) et les budgets retenus par l'enquêteur (plus d'un million de francs ici ou là) ? Comment se fait-il que le coût moyen d'un livre en 1992 soit de 146,89 F à Toulouse et de 261,53 F à la Sorbonne ? On souhaiterait également en savoir davantage sur les politiques d'acquisition elles-mêmes, par exemple sur l'impact des « nouveaux supports » vis-à-vis des acquisitions de livres et de périodiques : quels arbitrages sont posés, quels usages sont privilégiés, etc. ?

Des recommandations

Il est vrai que ce rapport a d'abord un contenu budgétaire, et Marc Chauveinc en tire un ensemble de conclusions et de propositions qui restent volontairement sur ce plan. Il recommande notamment d'atteindre pour toutes les bibliothèques universitaires un objectif d'acquisitions d'un million d'ouvrages par an et de 100 000 abonnements de périodiques et, pour ce faire, d'accroître la subvention de fonctionnement de l'Etat, de développer les autres ressources propres (dont les « droits de bibliothèque », qui devraient à son sens atteindre le coût moyen d'un livre français), de soulager les SCD des coûts d'infrastructure, et enfin d'aboutir à une gestion par les SCD de dotations globales.

Si l'on peut rester sceptique quant à une augmentation de subventions d'Etat indexée sur l'augmentation des ressources propres du SCD dans l'université (p. 26), et interrogatif sur les critères qui amènent à recommander de tels objectifs, on ne peut que souhaiter l'apparition, vivement soutenue dans le rapport, d'outils efficaces pour une gestion budgétaire prévisionnelle par fonctions et par objectifs. Cela ne pourra se passer pour chaque établissement, et Marc Chauveinc exprime la demande, d'une analyse de l'organisation interne du travail et de la définition... d'une politique documentaire.