Histoire des musées

Martine Poulain

A l'occasion de l'exposition La jeunesse des musées, le musée d'Orsay organisait en avril dernier un colloque sur l'histoire de ces établissements culturels *. Donnons ici une vue, partielle, de ce très riche colloque.

La mémoire et l'histoire

Qui dit musée dit bien évidemment lieu de mémoire.

Dominique Poulot, spécialiste bien connu de l'histoire des musées, professeur à l'université Pierre Mendès France de Grenoble II, s'est intéressé à « l'histoire posthume du musée des Monuments français », à « la fortune critique du musée Lenoir ». Ce musée a « cristallisé l'ensemble des enjeux de l'histoire de l'héritage français en Révolution ». Le retour sur un certain nombre de textes du XIXe siècle permet de s'interroger sur les formes de constitution du discours patrimonial.

Le souci d'analyser l'attitude de la Révolution - entre revendication d'héritage et refus, voire vandalisme - par rapport au patrimoine de l'Ancien Régime apparaît vers 1830. Réactivées par les événements de 1870, ces analyses se font plus nombreuses pendant la troisième République. Les discours sur le vandalisme révolutionnaire sont tour à tour de dénonciation (le vandalisme comme « coalition de la cupidité, de l'ignorance et du fanatisme »), de compréhension (« le vandalisme ne pouvait que résulter en fait d'un complot royaliste », l'Ancien Régime ayant été, selon ces conceptions, le premier à délaisser le patrimoine), d'explication (« l'homme est né destructeur », « le peuple, comme les enfants, brisera toujours quelque chose »). « Le principe de respect absolu des œuvres s'est en effet imposé à tous peu après le milieu du XIXe siècle », poursuit Dominique Poulot, « sans doute autour de la décennie 1870 : la défense de la culture révolutionnaire s'organise désormais autour du décompte des sauvetages artistiques. Renonçant à justifier les destructions, elle entreprend de laver la Révolution de tout soupçon à cet égard ». Dans une production de discours qui cherche avant tout à constituer l'histoire en discipline renouvelée sous la troisième République, Dominique Poulot décèle plusieurs moments : le « moment sociologique postule une nécessité sociale de l'entretien de l'héritage culturel » ; le « moment anthropologique » estime que « les institutions du patrimoine sont autant de témoignages significatifs et de dispositifs signifiants de valeurs et d'idéologies » que partage, ou non, à un moment donné, une société donnée.

Antiques et local

Catherine Chevillot, conservateur au musée d'Orsay, a tenté, à l'occasion de la préparation de cette exposition, de répertorier les créations de musées au XIXe siècle. Les chiffres, provisoires, sont à prendre avec la prudence qui s'impose. 543 musées auraient été créés au cours du XIXe siècle : 20 à 30 pour chacune des décennies comprises entre 1800 et 1820 ; très grande explosion dans les années 1830, suivie d'un reflux et de deux nouvelles poussées, au début du second Empire, puis dans les années 1880. Si la Révolution avait contribué à la création de musées, c'est le second Empire qui va construire des bâtiments pour les accueillir, effort poursuivi dans les décennies 1880 et 1890... Catherine Chevillot s'est aussi essayée à recenser les bâtiments qui ont accueilli les musées au XIXe siècle. Dans l'ordre, on trouve des monuments historiques, au premier rang desquels des bâtiments religieux (abbayes, couvents, évêchés, séminaires, etc.), des châteaux ou hôtels particuliers, souvent dons de sociétés savantes à leur ville, des bâtiments judiciaires ou autres, des bâtiments voués à des activités commerciales. Mais ce sont avant tout les hôtels de ville qui vont abriter les musées : un musée sur trois ou quatre est installé dans l'hôtel de ville.

Le lien des musées avec les collectivités locales sera très fort. Fondés comme établissements cantonaux ou départementaux, les musées sont de fait très vite redonnés aux villes, qui vont peu à peu regrouper des collections souvent dispersées dans divers bâtiments municipaux. Nombre de musées partagent, on le sait, leurs espaces avec des institutions éducatives, le plus souvent des bibliothèques (114 cas recensés). La dilution des musées dans divers bâtiments municipaux fera l'objet de critiques qui conduiront à la recherche de bâtiments particuliers, dont les références symboliques (entre cloître et palais) ne sont sans doute pas étrangères aux modalités des appropriations dont ils feront l'objet par leurs publics.

Pour Annie-France Laurens, des villes comme Arles ou Nîmes n'avaient pas attendu les mesures gouvernementales de la Restauration pour s'intéresser à leurs richesses. De nombreuses créations et tentatives, telle l'ouverture à Arles en 1784 du premier musée français d'archéologie, témoignent du contraire. Ce qui est en revanche manifeste, c'est le dirigisme des interventions de l'administration centrale, conduisant à des déplacements de collections, à des répartitions arbitraires, etc. Pour Marie-Claude Chaudonneret, les envois de l'Etat sous la Révolution et le premier Empire ont fourni le gros des collections initiales des musées. Mais, dans les années 1820-1830, se créent sociétés, associations ou revues qui revendiquent hautement la place et le rôle du local. Les politiques locales seront diverses, les unes se tournant vers un patrimoine plus ou moins lointain, les autres voulant faire connaître les artistes contemporains.

Sociétés savantes

Françoise Bercé s'est intéressée aux musées des sociétés savantes. Si la Révolution supprime les académies, beaucoup de nouvelles sociétés sont créées durant la période. Mais l'explosion des sociétés savantes a lieu au XIXe siècle : sous la Restauration, 12 sociétés sont créées, entre 1830 et 1849, 23 sociétés consacrées à l'archéologie et 17 pluridisciplinaires ; entre 1849 et 1870, 25 sociétés archéologiques et 28 à vocation multiple. Leurs membres sont des bourgeois locaux, mais aussi des artisans ou des propriétaires terriens. Elles fleurissent surtout au nord de la Loire. L'Etat reprend le mouvement lorsque François Guizot crée l'ancêtre du Comité des travaux historiques et scientifiques (juillet 1834). Mais l'attitude de l'Etat sera ambiguë, faite à la fois de soutien et de méfiance à l'égard de la vie associative. En 1871, on recense plus de 185 musées qui sont des musées de sociétés savantes. Le débat est fort qui s'interroge sur les conditions de la conservation des oeuvres, notamment archéologiques. Doit-on encourager la conservation in situ ? Doit-on au contraire, déplacer les œuvres et les offrir dans un lieu spécifique, afin de mieux en favoriser l'admiration ? C'est à la fin du XIXe siècle et au début du nôtre que les musées de sociétés savantes changeront de statut, devenant souvent municipaux.

Enfin, adoptant un registre plus contemporain, Daniel Sherman, de Rice University, s'interrogeait sur les vertus comparées des principaux musées consacrés aux deux guerres mondiales : le Mémorial de Verdun, le musée Mémorial de Caen ou encore l'Historial de Péronne. Chacun d'entre eux s'essaie à illustrer et « réactiver » la notion de mémoire, propose des collections de nature quelque peu différente (choix de l'original ou de la reproduction), les met en scène en fonction de choix particuliers. Trois tentatives qui déclinent l'histoire chacune à sa manière.

Un colloque qui entendit aussi des communications de Chantal Georgel, commissaire de l'exposition La jeunesse des musées, de Krzystof Pomian, président du Comité d'histoire des musées, de Roland Schaer, directeur du service culturel du musée d'Orsay avant de prendre récemment la tête de celui de la Bibliothèque nationale de France, ou de Pascal Ory qui devait s'interroger sur les conditions du débat muséologique entre 1900 et 1960. Nul doute que les Actes de ce colloque devraient enrichir une histoire somme toute encore mal connue et dont les parallèles avec celle des bibliothèques devraient être poursuivis.

  1. (retour)↑  Le musée en France depuis 1815 : territoires et fonctions, 27-28 avril 1994, musée d'Orsay, 29 avril, musée de Picardie, Amiens. Actes à paraître.