Beginning readers, mass media and libraries

par Caroline Rives

Irene Sever

Metuchen, N.J. ; London Scarecrow press, 1994. - III-222 p. ; 23 cm.
ISBN 0-8108-2756-5

L'étude d'Irène Sever se compose de différents éléments : s'appuyant sur une présentation vulgarisée de divers travaux de recherche dans les domaines de l'apprentissage de la lecture, de la psychologie enfantine et des relations entre les enfants et les médias, elle présente les conclusions d'un travail expérimental et en tire des enseignements à l'usage des bibliothécaires pour enfants. L'expérience a consisté à accueillir dans le cadre universitaire des groupes d'enfants en situation d'apprentissage de la lecture sur une durée de cinq ans, dans un lieu aménagé en bibliothèque, et à observer leurs comportements et leurs modes d'utilisation du lieu et des livres. Les éléments spécifiques du contexte israélien apparaissent dans l'étude : problèmes posés par l'apprenti-lecteur par la vocalisation en hébreu et en arabe, spécificité de l'aménagement des bibliothèques pour enfants en Israël, présence d'enfants issus de l'immigration récente, statut du livre dans la culture juive. Mais les résultats du travail d'Irene Sever sont aussi pleins d'enseignements plus généraux, allant parfois à l'encontre de certaines idées reçues dans les bibliothèques pour enfants et ailleurs.

Le choix d'un livre à lire

Les enfants qui abordent l'apprentissage de la lecture, dit-elle, sont confrontés à une masse considérable de choses nouvelles à apprendre. Dans ce contexte, le choix d'un livre à lire dans l'espace de la bibliothèque constitue une opération extrêmement complexe (ça peut l'être aussi pour les adultes !). Les enfants qui veulent la réussir peuvent être aidés (ou gênés) par différents éléments : la multiplicité des messages verbaux ou écrits, la qualité ou l'inadaptation de la signalisation, l'aménagement de l'espace, les modes de classement. La première compétence à acquérir pour les enfants est en effet d'évaluer les modes d'usage du lieu-bibliothèque, qu'ils soient explicites ou implicites, pour pouvoir s'y conformer. Ainsi voit-on des enfants non-lecteurs mimer la position du lecteur sans lire réellement.

Le contexte facilitant mis en place pour l'expérimentation a permis de mettre en lumière les difficultés que constituent la seconde étape : le choix même du livre. Ce qui ressort fortement dans les observations d'Irene Sever, c'est la nécessité pour les enfants, dans cet univers étrange et étranger qu'est une bibliothèque publique, de se raccrocher à quelque chose de connu. D'où l'importance que prend la lecture à haute voix, par un adulte ou par un autre enfant, qui permet de prendre connaissance du contenu du livre sans passer d'abord par un déchiffrage personnel laborieux. De même, il est essentiel que les enfants disposent d'un laps de temps suffisant pour effectuer un choix réel de lecture, les débutants devant passer par une série d'essais et d'erreurs. La bibliothèque doit proposer dans son aménagement la possibilité de cette prise de connaissance sur place dans des conditions confortables, mais avec des règles du jeu clairement déchiffrables : la bibliothèque est un lieu de lecture (pas forcément silencieuse), pas un terrain de jeux, ni un self-service.

La démarche adoptée

Les différentes stratégies mises en œuvre par les enfants sont décrites en détait : il est évident qu'une recherche à partir de fichiers permettant des accès par auteurs ou par cote Dewey ne signifie pas grand chose pour des lecteurs débutants. Elle suppose trop de pré-requis : la maîtrise de l'ordre alphabétique, la connaissance de ce qu'est un auteur, l'idée qu'on est venu lire un livre en particulier, la conscience même de ce que c'est qu'un livre (« Avez-vous Dynasty ? », a demandé un enfant de 7 ans qui était venu au laboratoire un lundi, après la diffusion le dimanche soir du dernier épisode). Le conseil donné par des adultes, s'il n'est pas suivi d'une lecture en commun, est accueilli poliment, mais débouche rarement sur une lecture effective. La démarche généralement adoptée par les enfants consiste donc à se déplacer à travers la bibliothèque, à pratiquer ce qu'Irene Sever appelle le flip-flapping, c'est-à-dire un feuilletage extrêmement rapide, à s'agréger à un groupe déjà constitué, à sélectionner la plupart du temps un livre qui renvoie à quelque chose de connu, d'où l'engouement pour des lectures généralement méprisées par les bibliothécaires pour enfants : adaptations de programmes télévisées et séries types Club des cinq.

Présentation et contenu

La présentation du livre joue un rôle important : les objets proposés doivent tout en restant aisément accessibles (format, longueur, typographie), ne pas connoter l'idée que leurs lecteurs sont des bébés (d'où probablement le succès des livres de poche pour enfants en France). Le contenu est beaucoup plus difficile à évaluer. Si pour Irene Sever, il est essentiel que le texte renvoie à un contexte déjà partiellement maîtrisé, l'élément de surprise qui sous-tend l'intérêt de la narration entre également en jeu. Le choix du right book est donc extrêmement subjectif, et peut varier d'une semaine à l'autre chez le même enfant. Le fait d'avoir une expérience de la narration avant l'apprentissage de la lecture est, comme cela a déjà été largement montré par ailleurs, un facteur facilitant.

Les adultes peuvent exercer une influence négative, en projetant sur les enfants leurs propres attentes et leurs propres attitudes : utilisation de punitions ou de récompenses liées à la pratique de la lecture, arrêt de la lecture partagée quand l'enfant apprend à déchiffrer, vision utilitariste de la pratique de la lecture, croyance en la transmission de valeurs morales par le biais du livre. Pour ce dernier point, les observations d'Irene Sever montrent que ce type de message est rarement ou très partiellement perçu par les enfants. La relecture, nécessaire pour prendre complètement connaissance d'un texte, n'a pas toujours aux yeux des adultes, statut de lecture authentique, de même que le feuilletage des magazines.

Diversification des supports

Irene Sever estime que la diversification des supports, considérée avec méfiance par un grand nombre d'adultes, n'est pas un danger en soi : il n'y a pas de mauvais supports, il n'y a que de mauvais usages. Si elle donne de la presse pour les jeunes et de la bande dessinée une analyse assez classique, elle insiste longuement sur la relation des enfants à la télévision, phénomène relativement nouveau en Israël, puisqu'elle n'y a été introduite qu'en 1968, en rendant longuement compte des travaux menés dans ce domaine. L'élément le plus original de son exposé est son analyse des vertus pédagogiques du dessin animé télévisé, souvent décrit ailleurs comme l'enfer moderne des pratiques culturelles enfantines. A travers une analyse du fonctionnement répétitif des histoires de Bip-Bip et Vil Coyote, elle montre comment la structure extrêmement simple de cette série qui existe depuis la nuit des temps, constitue une initiation efficace au fonctionnement de base de la narration : de tous temps, Vil Coyote désirera les Bip-Bip, imaginera une façon de les attraper (c'est la seule chose qui change), tombera dans le piège qu'il leur a lui-même tendu ; et c'est ainsi de tous temps, les Bip-Bip échapperont à Vil Coyote. La forme du dessin animé permet d'établir une distance avec les événements relativement violents décrits dans le film ; c'est à l'évidence de la fiction, car les personnages ne sont pas photographiés mais dessinés de façon caricaturale. Le contenu moral de la série est d'une parfaite simplicité : Vil Coyote est méchant et bête et il perd, les Bip-Bip sont gentils et rusés et ils gagnent. Bip-Bip et Vil Coyote est donc une machine performante à apprendre comment fonctionnent les histoires, permettant d'évoluer ultérieurement vers des nourritures intellectuelles un petit peu plus complexes. L'ensemble constitue un texte foisonnant, extrêmement lisible, ce qui n'est pas toujours paradoxalement le cas pour les études sur la lecture, et dont les conclusions ont le mérite de s'appuyer sur un travail rigoureux d'observations à long terme, échappant ainsi à la subjectivité qui masque trop souvent le discours des praticiens.