Économie des politiques culturelles
Joëlle Farchy
Dominique Sagot-Duvauroux
ISBN 2-13-045803-3 : 128 F
Les auteurs de cet ouvrage sont, l'une, spécialiste de l'économie du cinéma et, l'autre, de l'économie du théâtre et du spectacle vivant. Leur propos est, ici, d'élargir leur analyse à l'ensemble des institutions culturelles (les industries culturelles n'étant abordées que marginalement) avec trois interrogations principales : quelle est la légitimité économique de l'intervention de l'Etat en ce domaine, quelles sont les conséquences de l'intervention publique sur les modes de gestion des organismes subventionnés, quelles méthodes permettent de mener l'évaluation des projets culturels. Le champ étudié ne concerne que les interventions de l'Etat, quoique les politiques municipales soient brièvement évoquées à la fin du premier chapitre.
Lisibilité, pédagogie, prudence
Pour les non-économistes, qui s'intéressent aux politiques culturelles, cet ouvrage présente trois qualités formelles : il est lisible, il est pédagogique, il est prudent. Lisible, il l'est car il évite le jargon, et les inévitables équations et graphiques peuvent être sans dommage (me semble-t-il) survolés d'un regard distrait. Pédagogique, il l'est car il s'applique à présenter les théories en œuvre mais aussi leurs limites et les critiques qui leur sont faites. Enfin, il est prudent car il ne prétend pas que les arguments économiques peuvent apporter une explication globale et suffisante mais plaide, au contraire, pour d'autres approches « qui s'avèrent pertinentes là où l'économie rencontre ses limites (...) : la référence à l'histoire, les travaux sociologiques, philosophiques ou encore esthétiques ».
Limites et intérêt
Cette modestie honore les auteurs. Elle était, aussi, sans doute inévitable tant, dans le domaine culturel, l'analyse économique semble trouver vite ses limites. Ainsi, pour la première question, celle de la légitimité économique de l'intervention de l'Etat, les auteurs écrivent : « L'Etat impulse des orientations (aide à la création, démocratisation culturelle, défense d'une culture nationale...) qui n'ont pas nécessairement de justifications économiques » (p. 48). En réponse à la deuxième question, sur les conséquences des financements publics : « La compréhension des modes de gestion des entreprises culturelles subventionnées ne se limite cependant pas à la seule analyse de la relation entre subventionneurs et subventionnés. L'absence de but lucratif influe sur les stratégies choisies indépendamment d'un éventuel financement public » (p.110). Enfin, en matière d'évaluation, les auteurs soulignent les limites de l'approche économique (analyse coûts/avantages et études d'impact) « dans le secteur culturel qui est un secteur complexe où les variables qualitatives et les effets intangibles ont beaucoup d'importance » (p.135).
Cependant, les limites (ici clairement affirmées) de l'approche économique ne doivent pas en masquer l'intérêt. Ainsi, une approche pour nous inhabituelle nous aide à mieux comprendre ce que sont les effets d'encombrement, les valeurs d'existence ou les rendements inter-générationnets. Ainsi, le soutien à la création est ici renouvelé sous les traits de prime à l'incertitude (et à la prise de risque) et de maintien de l'outil de production. Ainsi, surtout, les rapports entre l'économie et la culture sont explicités notamment sur deux points : les relations entre l'offre et la demande, le déclin de la politique de démocratisation au bénéfice d'une politique mécénale.
Sur le premier point, le cas de la création musicale (déjà analysé par P. M. Menger) et celui de l'art dramatique sont éclairants : dans l'un et l'autre cas, les financements publics ont accentué le divorce entre une offre qui n'est plus sanctionnée par la réponse du public et une demande jugée triviale par les créateurs : Schoenberg « affirme de façon radicale que les spectateurs sont simplement un moyen d'améliorer l'acoustique d'une salle de concert » ; le théâtre subventionné bâtit son image sur les metteurs en scène, le théâtre privé sur les acteurs (p. 96).
Le glissement, de la part de l'Etat, d'une politique de démocratisation vers une politique mécénale * est ici analysé comme le souci de « réconcilier l'économie et les beaux-arts, la culture savante et la culture ludique, au détriment peut-être des objectifs sociaux » (p. 61). Les résultats ici considérés comme décevants de la politique de démocratisation culturelle et les effets pervers des financements publics (la « redistribution négative » « en faveur des couches financièrement et culturellement les plus favorisées ») ouvrent ainsi la porte à la fois à la réhabilitation des secteurs jusque là marginalisés et « illégitimes » (le relativisme culturel) et à une politique mécénale de valorisation d'image (grands travaux, commandes publiques). Comme quoi l'analyse économique peut mener fort loin - surtout lorsqu'elle est consciente de ses limites.