Les musées en colloques

Viviane Cabannes

En l'espace de moins de deux mois, la Direction des musées de France organisait trois colloques qui ont rencontré un vif intérêt auprès des professionnels liés à la muséographie et aux expositions : « Musées et recherches » du 29 novembre au 1er décembre 1993, « Accroître le public des musées » le 3 décembre 1993, dans le cadre de l'accord franco-canadien et « Musées du futur, espace et scénographie » du 12 au 15 janvier 1994.

Musées et recherches

Un ensemble de communications introductives consacrées à une histoire des relations entre les musées et la recherche proposaient des points de repères sur l'articulation entre la logique de la mise en ordre des connaissances et celle des collections. Les premières recherches, d'abord liées aux collections (identification, classement) intègrent peu à peu les questions liées à la conservation et à la restauration des objets enlevés à leur destination première et installés dans les musées. Si, dès l'origine du musée, existe une dimension pédagogique, elle n'est pas encore pour autant l'objet de recherche. Au-delà des musées d'art, comme l'Institut Courtauld à Londres ou le Smithsonian aux Etats-Unis, étaient présentés les cas des musées scientifiques (Michel Van Praet), des musées scientifiques et industriels (Robert Fox), des musées de l'Homme et de la société (Françoise Wasserman) et des musées d'histoire (Philippe Bordes).

La deuxième journée portait sur l'état des lieux de cette relation musées-recherches pendant les vingt dernières années et tentait de montrer comment et pourquoi se sont développées ces relations, comment l'institution a structuré ces recherches, quelles sont les raisons de cette collaboration. Ces nouvelles préoccupations ont un retentissement sur les musées et font émerger des recherches accompagnant l'accueil d'un public de plus en plus nombreux et de plus en plus exigeant. Jean-Pierre Dalbera a animé une table ronde sur les politiques de recherche et Gérard Emptoz sur « La recherche au quotidien ».

Un bilan, proposé par Nathalie Heinich, souligne combien « ces recherches tendent à se situer à deux pôles extrêmes : soit des études très empiriques, en réponse à des demandes institutionnelles, soit des réflexions très théoriques, qui intéressent la communauté des chercheurs. Rares sont les occasions de faire un pont entre ces deux pôles en proposant une réflexion de fond sur les données récoltées par les travaux de terrain. L'hétérogénéité de ces deux mondes, génératrice de difficultés à se donner des objectifs communs, devrait nous amener à réfléchir sur des directions de recherches non poursuivies faute de demande ».

Le débat sur « Le musée, un objet pour les chercheurs », présenté par Jacqueline Cuenca, a insisté sur la prise en compte des comportements, des attentes, du degré de satisfaction des publics et de l'analyse des motivations de fréquentation des musées comme autant de données susceptibles de modifier profondément l'offre en matière d'exposition (Jacqueline Eidelman). Evelyne Lehalle a fait le point sur les activités des observatoires de public et André Desvallées sur les recherches en muséographie.

Enfin, ont été examinés les effets induits sur la recherche par les grands travaux et les chantiers de modernisation ou de création des musées, notamment à travers l'étude de cas du Louvre, évoquée par Jean Galard et Henry Bardsley.

Les perspectives de la relation musées-recherches ont été abordées pendant la troisième journée au travers d'une redéfinition de la recherche : au-delà des collections, puis des publics, ce sont l'économie, la gestion, les nouvelles technologies qui désormais transforment profondément le travail des professionnels. Ceux-ci doivent s'adjoindre l'aide des chercheurs sous des formes de plus en plus diversifiées. Ainsi se constitue un champ de recherche spécifique autonome : celui de la muséologie. Laurent Gervereau introduit un débat sur les emprunts du musée à l'environnement scientifique et réfléchit aux formes d'une indispensable interdisciplinarité. Bernadette Goldstein et Jean-Emile Tosello-Bancal s'interrogent sur le rôle que la recherche peut jouer dans la mutation d'une société axée sur la technologie dans un contexte muséologique : ils insistent notamment sur l'évolution du multimédia vers l'unimédia (mariage numérique, fusion du texte, du son, de l'image avec l'informatique).

Tentant de cerner le statut de la muséologie Jean Davallon fait un inventaire de ce que l'on met sous le terme d' « études » sur le musée : muséologie comme technologie du musée ou bien sur le musée ? Est évoqué le cas des musées allemands et suisses. Duncan Cameron, pionnier de la réflexion sur la muséologie, s'interroge sur le futur de celle-ci à partir de l'étude des origines, de la genèse des musées.

Au travers du thème « Musées, sciences humaines et société », André Lapointe aborde « les musées et la question de l'identité » avec l'exemple du Canada, proposant un autre angle d'approche *.

Accroître le public des musées

La Direction des musées de France et le ministère du Patrimoine canadien/Canadian Heritage ont organisé cette rencontre dans le but de présenter aux professionnels les expériences pertinentes et les méthodes développées dans ce domaine au Canada. S'ouvrant sur une question « Avons-nous réellement ouvert les portes de nos musées au public ? » posée par Virginia Stephen, chargée de l'action culturelle à l'Art Gallery of Nova Scotia, ces rencontres se terminaient par une autre interrogation tout aussi cruciale, posée par Glenn Lowry de la Art Gallery of Ontario : « Comment maintenir les engagements de l'institution face aux publics récemment conquis malgré les restrictions budgétaires ? » Entre ces deux questions essentielles, une série de communications faisait un état des lieux :

- l'évaluation suivie des publics des sites du réseau de Parcs Canada (3 millions de visiteurs en 1992) permet de déterminer le niveau de satisfaction des clientèles cibles, d'améliorer la planification des activités. Elle facilite notamment l'aménagement des « centres d'interprétation », qui proposent de nouveaux outils pédagogiques à un public élargi ;
- le lien entre musées et industrie touristique fait instaurer une relation musée-client (public) spécifique ; la mise en place d'une stratégie de services est prioritaire tandis que se pose la question de l'auto-financement des institutions muséales ;
- le plan de restructuration du Musée régional de Vaudreuil-Soulanges, par la rénovation de son contenu, vise non seulement à doubler la fréquentation du public mais à élargir le spectre des profils sociologiques des usagers ;
- le musée canadien des Civilisations d'Ontario (5 millions de visiteurs depuis son ouverture en 1988) offre à son public une expérience muséale exceptionnelle de par son architecture originale, sa programmation et ses services : l'évaluation des publics y tient un rôle fondamental ;
- Jean-Paul Thomin souligne l'effort considérable apporté pendant les dix dernières années sur les nouveaux supports de communication dans les musées canadiens notamment en matière audiovisuelle et scénographique, avec le souci de s'adapter aux mutations socioculturelles très rapides dans les villes canadiennes ;
- l'expérience de gratuité à la National Gallery of Canada a été l'occasion de provoquer un accroissement considérable de fréquentation accompagné d'un très fort renouvellement de l'image institutionnelle.

Une dizaine de communications de conservateurs et médiateurs culturels canadiens ont témoigné de la vitalité de la profession au Canada avec l'avantage d'un pragmatisme certain, allié à la capacité à tester rapidement des hypothèses et à en analyser les résultats.

Musées du futur, espace et scénographie

Organisé au musée des Monuments français par la Direction des musées de France et le Collège international de philosophie, ce colloque très riche rassemblait les professionnels des musées et les architectes ou scénographes les plus prestigieux étant intervenus dans des projets exemplaires au cours des dernières années.

Jean Lauxerrois introduit ainsi le propos : « Depuis la Renaissance et l'invention des lieux de mémoire, c'est à l'intersection du musée, de la scène théâtrale et des lieux d'architecture urbaine que naissent et se métamorphosent les grandes configurations de la spatialité occidentale. Aujourd'hui la fin de la représentation perspectiviste, l'apparition de " l'espace vide " et la muséalisation croissante du monde marquent le changement de notre rapport à l'espace et au temps. Par l'analyse des espaces du musée, de la ville, du théâtre, peut-on entrevoir quels seront les musées de demain ? »

Quatre thèmes majeurs structuraient le débat :
- le musée et la ville, la ville au musée avec notamment Jean-Louis Deotte, Henri-Pierre Jeudy, Antoine Stinco (galerie du Jeu de Paume), Christian de Portzamparc (musée Bourdelle) ;
- parcours et mise en lumière, avec, entre autres, Henri Gaudin, Roland Simounet (musée de la Préhistoire à Nemours), Henri Ciriani (musée de la Grande Guerre), François Seigneur (sur l'art de la grande exposition) ;
- de l'espace renaissant à l'espace vide avec Jean Lauxerrois, Didier Semin (musée national d'Art moderne), Arnoldo Rikvin (sur le thème de la ville spectacle, à partir du théâtre de Palladio), Yann Kersalé ;
- de l'espace vide à la scénographie, avec, en particulier Daniel Arasse sur la mise en scène de la mémoire, Sylvain Dubuisson (salle des Etats, musée du Louvre), Michel Deutsch, Michel Deville.

Sans nul doute, cette interrogation sur les musées comme lieux de mémoire n'est pas sans interférences avec celle que nous pouvons porter sur d'autres lieux de mémoires que sont les bibliothèques. À quand de prochaines rencontres entre bibliothèques et musées pour faire le point sur le sujet ?

  1. (retour)↑  Elisabeth CAILLET et Evelyne LEHALLE, organisatrices de ce colloque, ont rassemblé un corpus très riche de projets de communication sur le thème (Direction des musées de France, Développement culturel, 6 rue des Pyramides, 75001 Paris).