Les bibliothèques à mi-parcours

Martine Poulain

L'Association des conservateurs de bibliothèques organisait le 3 février dernier une demi-journée consacrée à l'évolution récente des bibliothèques. Animée par Michel Melot, cette matinée fut l'occasion d'entendre Jean Favier, tout nouvellement nommé président dela Bibliothèque nationale de France, Philippe Bélaval, nouveau directeur du même établissement, Jean-Sébastien Dupuit, directeur du livre et de la lecture et Daniel Renoult qui faisait là sa dernière intervention en tant que sous-directeur des bibliothèques au ministère de l'Enseignement supérieuret de la Recherche. Les hommes et les choses étaient ce matin-là en pleine évolution...

Grand projet et réseau

Jean Favier s'est voulu, dès sa première prise de parole publique dans ces nouvelles fonctions, rassurant. Si la Bibliothèque nationale de France se doit d'être exemplaire et novatrice, ce n'est pas pour autant qu'elle contribuera à aggraver la centralisation française : « Chaque bibliothèque a sa place dans un réseau au service de tous ». Cette nouvelle bibiothèque sera elle-même un jour dépassée et n'a de toute façon pas vocation à « être le chef d'un système ». Jean Favier a appelé à une coopération « franche, loyale, efficace et intelligente pour former ensemble ce grand moyen ». Puisque le savoir est partagé, le réseau l'est nécessairement. Le plus grand bouleversement vient, non de la BNF, mais « du bouleversement intellectuel et technologique qui a frappé le monde entier ». Sur un autre sujet sensible, Jean Favier a affirmé la volonté de la BNF de servir au mieux à la fois les chercheurs et le grand public : « La frontière s'est estompée entre le chercheur et l'amateur ».

Philippe Bélaval, qui manie l'humour avec brio, a adressé un message en trois mots à ses nouvelles tutelles : « Merci. Attention. S'il vous plaît ». Merci pour avoir réalisé la fusion entre la Bibliothèque nationale et la Bibliothèque de France : la Bibliothèque de France a « provoqué dans la Bibiothèque nationale une réflexion sur son avenir et son fonctionnement ». Ainsi est mis en œuvre le « plus grand équipement culturel jamais construit ». Attention, parce que le « calendrier est tenable, mais très serré », notamment pour un certain nombre de dossiers difficiles : l'audiovisuel, l'informatique, le réseau, l'avenir du site Richelieu. Des moyens financiers et en personnel sont nécessaires. Il faut savoir anticiper et « prendre bien garde à l'insertion de cette bibliothèque dans le paysage de la lecture », « ne pas assécher les autres bibliothèques ». S'il vous plaît, ajouta Philippe Bélaval à destination de son voisin qui était aussi sa tutelle, continuez à accorder au projet la même généreuse attention et « laissez-nous travailler ».

Les défis de la décentralisation

Jean-Sébastien Dupuit a fait le point des mutations auxquelles doit faire face la Direction du livre : outre la BNF déjà citée, la décentralisation la confronte à une dissémination des responsabilités en matière de bibliothèques. Pour s'adapter, la Direction du livre met en œuvre une nouvelle réorganisation interne, en cours. La BNF va, elle, exiger des emplois nouveaux : si les créations de postes de conservateurs sont bien acceptés du ministère du Budget, il n'en est pas de même pour les autres corps. Ces arbitrages budgétaires sont, de plus, rendus difficiles par la réforme des dispositions statutaires, dont les conséquences sont encore évolutives. Il faut aussi prévoir une consolidation pour le financement des pôles associés, qui s'arrête à la fin de 1995. Même chose pour les BMVR (bibliothèques municipales à vocation régionale), dont les crédits ne sont assurés que jusqu'à la fin de 1997. D'autre part, chacun sait que les établissements territoriaux sont aujourd'hui confrontés à des difficultés de fonctionnement : les statistiques 1991 des bibliothèques municipales, bientôt disponibles, font apparaître « un plafonnement, voire une petite régression des horaires d'ouverture ». « On doit s'interroger sur l'efficacité et la pertinence du sytème mis en place pour le concours particulier : ne faut-il pas inventer de nouvelles formes de soutien de l'Etat ? ». Là encore, il est des différences d'interprétation entre ministères : le ministère du Budget est très opposé à un système qualitatif d'attribution qui conduirait « à réinstaurer une forme de contrôle de l'Etat sur les bibliothèques des collectivités territoriales ». Il faut repenser le réseau après une décentralisation qui a été « un transfert tel quel », et a laissé l'Etat avec des missions qui « sont insuffisamment prises en charge ». Ainsi, doit être réévaluée l'importance de l'Inspection générale des bibliothèques.

Développements et lacunes

Avant le débat, nourri de questions posées préalablement par écrit, Daniel Renoult a fait un tour d'horizon de l'état des bibliothèques universitaires, des développements et des lacunes, insistant sur la croissance des réseaux, l'impérative redistribution géographique des efforts. Il a souligné l'écart permanent entre la croissance des étudiants « voulue par les familles et profondément soutenue par les collectivités territoriales » et la croissance beaucoup plus modérée en locaux et personnel. Des urgences qui ont malheureusement conduit un certain nombre de recteurs ou de présidents à « remettre à plus tard » la construction prévue de certaines bibliothèques universitaires. Mais le sous-directeur des bibliothèques espère toujours voir 35 000 m2 de bibliothèques universitaires construits en 1994 et 98 000 m2 en 1995.

Parmi les questions évoquées par l'assistance : le financement et le statut des BMVR, l'avenir des pôles associés (la BNF va « recadrer l'ensemble et remettre le projet complètement à plat » a asssuré Philippe Bélaval), les formations, la professionnalisation (à propos de la nomination de non-professionnels dans certaines bibliothèques départementales de prêt, ou à propos d'une circulaire qui a dû rappeler aux universités leurs obligations dans l'entretien des collections documentaires). L'ambiguïté de la mise en œuvre de certaines antennes universitaires et leurs difficultés de fonctionnement ont été évoquées. Du côté du droit de prêt, Jean-Sébastien Dupuit a rappelé que la solution adoptée devra se caler sur la double exigence du droit d'auteur, reconnu de longue date en France, et « du respect absolu de l'acquis dans le domaine de la lecture publique depuis tant d'années ».