Réseaux

N° 58 : L'information scientifique et technique

par Yves Desrichard
Issy-les-Moulineaux : CNET, mars-avril 1993. - 206 p. ; 27 cm. 60 F

Réseaux, la revue du Centre national d'études des télécommunications, consacre une partie de son numéro 58 à l'information scientifique et technique, à ses conditions de création et de diffusion.

Un peu curieusement, là où l'on se serait attendu à des textes prospectifs sur les modifications que « les nouvelles technologies » entraînent dans la fabrication, la transmission et l'exploitation de l'information scientifique et technique, le dossier propose une série de communications plus « traditionnelles », où le support papier reste prédominant.

Une double alternative

En fait, Patrice Flichy, dans son introduction au dossier, souligne que c'est « la séparation entre revues savantes et revues de vulgarisation » qui constitue son objet, et, par voie de conséquence, l'interrogation sur « la pertinence de cette coupure ».

Pour montrer que cette séparation, voire ce clivage, remonte à l'origine même de l'édition à caractère scientifique, Bemadette Bensaude-Vincent montre, dans son article « Un public pour la science : l'essor de la vulgarisation au XIXe siècle », que la diffusion du savoir scientifique s'est organisée dès le XIXe siècle autour d'une double alternative, faisant surgir de part et d'autre de frontières parfois infranchissables des prises de position souvent radicales et passionnées, auprès desquelles nos débats actuels ou récents paraissent bien ternes.

D'une part, la nécessité de savoir si la diffusion de la science vise à faire connaître au public, de manière simplifiée, l'évolution d'activités scientifiques dont la complexité rend la compréhension difficile, ou s'il s'agit d'élever, par ce biais, la culture scientifique de ce même public, pour l'amener à une maîtrise raisonnée des évolutions de la recherche : on le devine, entre les tenants de la diffusion élitaire (dont l'auteur prend la création des Comptes rendus de l'Académie des sciences, bien connus encore aujourd'hui des bibliothécaires, pour exemple, sinon pour symbole) et ceux de la vulgarisation « démocratique », les débats furent houleux et vindicatifs, à l'époque de la révolution industrielle et de la naissance du prolétariat.

D'autre part, ainsi que le résume bien Camille Flammarion dans l'introduction de sa fameuse Astronomie populaire, il faut choisir entre « populariser la science, c'est-à-dire la rendre accessible, sans la diminuer ni l'alténer ... et la vulgariser, (c'est-à-dire) la faire descendre au niveau du vulgaire indifférent, léger ou railleur ». Là encore, on devine où va la préférence de l'auteur, et de ceux qui se réclament de son exemple : ceci expliquant peut-être que, même si le terme de « vulgarisation scientifique » semble, aujourd'hui encore, unanimement reconnu pour désigner le travail des rédacteurs de revues comme Sciences et Avenir ou La Recherche, ou d'auteurs comme Hubert Reeves, aucun de ceux-ci ne songerait à se qualifier de « vulgarisateur ».

L'affaire de la mémoire de l'eau

L'étude passionnante de Bemadette Bensaude-Vincent, circonscrite à une époque où, malgré tout, « science » était presque unanimement synonyme de progrès matériel et de mieux-être, forme un éclairant contrepoint à l'article qu'Alain Kaufmann consacre à la fameuse histoire dite de la « mémoire de l'eau » (« L'affaire de la mémoire de l'eau : pour une sociologie de la communication scientifique »).

Il ne s'agit pas, en l'espèce, de départager tenants et détracteurs des thèses du professeur Benveniste et de son équipe, mais d'analyser comment une telle affaire, qui, autrefois, aurait été confinée dans les chapelles douillettes et feutrées de laboratoires du monde entier spécialisés dans ce domaine de recherche, a pu conquérir, si l'on peut dire, « ses lettres de noblesse médiatiques », a priori pour le plus grand malheur du professeur Benveniste et de son équipe.

En rappelant que, deux ou trois ans avant le début de « l'affaire », des résultats comparables à ceux qui devaient déchaîner les passions, publiés de manière « orthodoxe » dans une revue scientifique confidentielle, n'avaient reçu d'échos que de la communauté scientifique, et en analysant comment, à partir de deux articles « fondateurs » publiés, l'un dans Le Monde, l'autre dans la prestigieuse revue britannique Nature, les scientifiques d'une part, les journalistes de l'autre, portèrent sur la place publique un débat qui atteignit des sommets de popularité, Alain Kaufmann montre parfaitement bien, d'un côté les perversités que peut recéler le processus d'édition des résultats de recherche (notamment le phénomène si décrié des « referees »), et de l'autre les faiblesses d'une approche vulgarisatrice privilégiant le sensationnel.

Tout en saluant la clarté de l'exposé, la pertinence de la démarche et des conclusions, on regrette parfois qu'Alain Kaufmann n'ait pas plus souligné que l'objet même de la « découverte » du professeur Benveniste en faisait l'occasion rêvée du « déchaînement » populaire, là où une autre découverte, même aussi controversée, n'aurait pas produit le même effet : cette « mémoire de l'eau », qui dressa, un temps, tenants de la science officielle contre ceux de la science « en marge », adeptes des médecines douces contre partisans de la médecine « traditionnelle » et, encore plus profondément, néopositivistes héritiers plus ou moins déclarés d'Auguste Comte et, plus loin, de la conception scientifique de la Révolution française contre les nostalgiques d'un monde naturel non encore « privé » de tous ses mystères, fut (et sera encore...) l'emblème idéal d'une lutte acharnée entre obscurantistes et éclairés - sachant bien évidemment que les qualificatifs valent alternativement dans les deux sens...

Les revues scientifiques

L'article de Robert Boure (« Sociologie des revues de sciences sociales et humaines »), même s'il pèche par le manque de rigueur dans la collecte d'informations * offre néanmoins d'utiles réflexions sur la nature des revues scientifiques, la ligne de démarcation, parfois fragile, qui les sépare des revues dites « grand public », et les méthodes d'élaboration desdites revues, en soulignant que le clientélisme, s'agissant a priori de « corpus » d'abonnés très spécialisés, n'est jamais très loin...

On remarquera cependant que cette réflexion, consacrée aux sciences sociales et humaines, ne s'appliquerait que d'une manière sensiblement différente à d'autres disciplines, telles que la physique ou la chimie : le clivage entre les sciences « dures » et les sciences dites « molles », qui n'est guère évoqué dans le dossier, mériterait à lui seul toute une série d'articles...

Par comparaison, les trois autres articles du dossier offrent, sur le sujet, des points de vue plus généraux et, parfois, plus schématiques.

Jean-Michel Salaün (« Les sciences de l'information en question : le point de vue du lecteur ») s'interroge une fois de plus sur la notion même d'information, et, par conséquent, sur la possibilité d'étudier cette notion, et de constituer cette étude en discipline scientifique. Utile mise au point, l'article, qui ouvre le dossier, ne parvient cependant pas à dissimuler le malaise de ceux-mêmes qui font profession des « sciences de l'information », quand il s'agit de définir et de circonscrire leur discipline.

Anne Mayère (« Logiques d'information, logiques de service »), dans un article un peu redondant du précédent, ne contribue pas à dissiper cette ambiguïté, en allant chercher ses exemples du côté de Rembrandt, et de la diffusion commerciale de ses peintures.

Enfin, sous la rubrique « Classiques », le dossier se conclut avec un article de Fritz Machlup (« L'économie de la connaissance ») qui s'attache à décrire les liens entre processus de décisions économiques et connaissance : ou comment l'idéologie libérale envisage la production et la diffusion de « l'information » (au sens très large).

Au total, et même si l'intitulé en paraît singulièrement général au regard des ambitions plus ponctuelles du rédacteur et des auteurs, le dossier sur « L'information scientifique et technique » de la revue Réseaux apportera d'utiles éléments aux bibliothécaires (parfois) accablés sous le poids de la production scientifique (de haut niveau comme « de vulgarisation »), et mettra en place un certain nombre de repères et de connaissances qui faciliteront le dialogue avec une communauté scientifique qui - même si le dossier n'en fait guère mention - est une grande utilisatrice des bibliothèques et centres de documentation.

  1. (retour)↑  que l'auteur justifie en invoquant le manque de sources et d'études fiables pour bâtir un tel exposé, et il a raison !