Une Presse de province pendant la Révolution française
journaux et journalistes normands : 1785-1800
Éric Wauters
ISBN 2-7355-0243-0 : 350 F
Ouvert par une élogieuse préface de Claude Mazauric, qui assura la direction universitaire de ce travail et qui en souligne les apports novateurs, ce livre volumineux constitue l'édition d'une thèse nouveau régime soutenue devant l'université de Rouen. Il est en effet l'une des premières études consacrées à la presse régionale de l'époque révolutionnaire, sujet fort peu défriché jusqu'à présent. Depuis les travaux de l'historien américain Jeremy Popkin 1, et ceux de l'équipe lyonnaise travaillant autour de Pierre Rétat, notre connaissance du périodique révolutionnaire a grandement progressé. Il manquait cependant des illustrations régionales du type de celle ici publiée, c'est assez dire son importance.
Panorama et généalogie
La première partie de l'ouvrage dresse, « entre liberté et censure », un vaste panorama et une généalogie complexe des diverses feuilles publiées en Normandie de la veille de la Révolution à 1800, et dominées par la production rouennaise. Fort heureusement, des tableaux chronologiques permettent de retrouver des filiations parfois tortueuses, d'autant que nombre de journaux disparaissent au bout de peu de temps et doivent, à plusieurs reprises, changer d'appellations pour déjouer les poursuites des autorités successives.
Tout à la fois moyen de s'informer à une époque où le temps paraissait s'emballer, et signe des appartenances politiques, les journaux normands ont profité et pâti de la proximité de la presse parisienne. On retrouve dans cette province la chronologie mise en évidence ailleurs, avec le foisonnement des années 1789-1992, la vitalité des feuilles royalistes, et la relative atonie qui a suivi la chute de la monarchie. Là encore, la question religieuse paraît avoir constitué un clivage important. Pourtant les feuilles crypto-royalistes ont réussi à perdurer durant toute la période dans une région relativement réceptive, profitant même de la chasse aux journaux de gauche menée après la chute de Robespierre. C'est tout le mérite de l'auteur que d'avoir réussi à débrouiller ce maquis passablement enchevêtré, et de l'avoir illustré de nombreuses reproductions permettant de visualiser ce qu'étaient ces feuilles.
Journalistes et imprimeurs
La seconde partie, plus courte, s'attache à dresser un portrait du joumaliste du temps, en étudiant sa façon de travailler, d'emprunter à d'autres périodiques, de rendre compte des débats du moment, et en essayant d'identifier qui étaient les auteurs et les imprimeurs de cette production. A côté d'hommes nouveaux, on ne s'étonnera pas d'y retrouver les dynasties d'imprimeurs-libraires d'Ancien Régime, tels les Besongne, les Chalopin ou les Machuel... Plus inexplicable apparaît l'absence en bibliographie de tout recours au Dictionnaire des journalistes de Jean Sgard 2 et à ses suppléments, même si nombre d'auteurs ont alors surgi du néant.
L'étude de la diffusion, une vingtaine de pages, laisse en revanche le lecteur sur sa faim. Qui étaient véritablement les abonnés et les lecteurs ? La question reste posée. On se demandera d'ailleurs comment ils pouvaient se retrouver dans cette production où les feuilles éphémères disparaissaient ou changeaient de titre au bout de quelques numéros. On permettra aussi à l'auteur de ces lignes de s'interroger sur l'absence de toute référence à une thèse qu'il a jadis consacrée aux bibliothèques privées de l'Eure, confisquées sous la Révolution, et dans lesquelles le périodique apparaît, mais uniquement à travers les grands titres parisiens. C'est assez dire la difficulté de la traque des lecteurs, et la nécessité de s'y atteler. Encore n'est-il pas impossible que les journaux locaux aient fait partie de ces trop nombreux lots « ne méritant nulle description » si fréquents dans les inventaires.
L'ouvrage se clôt par une dizaine d'annexes reproduisant des unica, analysant le contenu de certains titres, donnant des index des périodiques répertoriés et étudiés, et des journalistes et imprimeurs.
Ce livre constitue donc une contribution de choix sur un sujet encore mal connu. Au-delà de la Normandie, pour laquelle il fournit une masse d'informations inédites, il représente un apport méthodologique important auquel les chercheurs travaillant sur d'autres régions devront puiser. Par ses avancées et par ses lacunes, en particulier sur le lectorat, il est un appel à d'autres travaux en Normandie... et ailleurs.