La diversité des publics

Annie Le Saux

Quels services une bibliothèque universitaire peut-elle offrir à un public composé de groupes aux comportements et aux besoins différents ? Le choix des intervenants de la journée d'étude organisée le 17 septembre à Toulouse par l'Association des directeurs de bibliothèques universitaires, lors de son congrès annuel, et la variété des bibliothèques représentées donnaient une bonne idée de cette diversité de publics que l'on peut rencontrer dans les bibliothèques universitaires, et des réponses à apporter à leurs attentes.

En effet, si on parle de pluralité des publics de bibliothèque universitaire, c'est, bien sûr, parce que les étudiants de premier cycle n'ont pas les mêmes besoins ni usages que ceux de troisième cycle, non plus que les étudiants de droit les mêmes que ceux des étudiants en médecine, et c'est aussi parce que les usagers de la BU ne se limitent plus forcément aux seuls étudiants et enseignants.

Quels publics ?

Comment caractériser les publics de ces bibliothèques ? Pierrette Casseyre décrit celui de la Bibliothèque interuniversitaire de médecine, exemple de bibliothèque spécialisée de niveau recherche, de la façon suivante : public parisien, mais aussi provincial et étranger, quelquefois public indirect, dont les demandes parviennent par le biais d'un intermédiaire - secrétaire, parent ou ami - ignorant du domaine médical et du maniement de la bibliothèque. C'est un public éphémère, donc difficile à former aux outils de la bibliothèque. De par sa profession, il se définit comme étant essentiellement pressé, ayant besoin de documents en urgence, et n'étant guère autonome.

Pressé et non autonome, le public non universitaire de la Bibliothèque universitaire de technologie de Compiègne - plus de 15 % des inscrits - l'est aussi. Ouverte aux entreprises de l'Oise, PME, PMI, à l'Ecole de commerce, antenne de l'Association pour l'emploi des cadres ingénieurs et techniciens, la BUTC draine, en plus des étudiants et des enseignants, un public extérieur hétérogène, aux demandes spécialisées.

Non pressés et non assistés sont les usagers - étudiants, professeurs, chercheurs - de la bibliothèque encyclopédique qu'est la bibliothèque Sainte-Geneviève. Un système de gestion des inscriptions et des entrées-sorties permet de constater qu'une majorité de jeunes - 50 % ont moins de 21 ans, 80 % moins de 25 ans - fréquente, pendant une durée moyenne de deux ans, la grande salle de lecture. Pas toujours lecteur - une entrée sur deux s'accompagne de demande d'ouvrages -, le public de cette grande salle de lecture vient pour des raisons de proximité, pour la beauté des lieux ou encore... pour l'ambiance. Plusieurs enquêtes ont affiné la connaissance des lecteurs des autres salles de la bibliothèque - la réserve et la bibliothèque nordique -, ainsi que la fréquence et la nature de leurs consultations.

S'il est un public pour qui le chemin de la bibliothèque est familier, il en est un autre, potentiel celui-là, qu'il faut atteindre, informer, et attirer. Pour les étudiants de premier cycle, la fréquentation de la bibliothèque est avant tout conseillée par les enseignants. Dominique Roche, de la bibliothèque pluridisciplinaire de Paris XII-Val-de-Marne, constate cependant que 20 à 25 % des enseignants de son université n'incitent jamais leurs étudiants à se rendre à la bibliothèque. Et pourtant près de 80 % des étudiants interrogés associent la bibliothèque à la réussite de leurs études.

Françoise Roubaud témoigne elle aussi du poids de la prescription enseignante dans la toute nouvelle bibliothèque de l'Artois, où, dès le premier jour, les étudiants ont connu le chemin de la BU. D'où l'importance de fidéliser ce public de professeurs en lui faisant connaître les fonds de la bibliothèque, en constituant des collections qui l'attirent, et en l'impliquant dans la politique menée. Il s'agit aussi, d'autre part, d'intégrer la bibliothèque au sein de l'université en devenant un acteur à part entière.

Attentes et réponses

Comment, au-delà de l'aide des enseignants, faire pour que les étudiants s'intéressent plus et mieux à la documentation ? D'abord connaître leurs attentes. Des enquêtes ont montré que ce qu'attendent surtout les premiers cycles, ce sont des ouvrages récents en beaucoup d'exemplaires. Pour les bibliothèques spécialisées, où la veille documentaire est capitale, ce sont des ouvrages spécialisés, dans des domaines en pointe, que les lecteurs recherchent. Demande commune des premiers niveaux et des niveaux recherche : des horaires élargis, avec des ouvertures plus adaptées, le soir, le dimanche...

S'il est, de plus, un besoin dont a conscience toute la profession et qui est allé croissant avec l'apport des nouvelles technologies - CD-Rom, bases de données, catalogues informatisés -, c'est celui de la formation du public à l'utilisation de la bibliothèque et de ses services. Qu'il s'agisse de journées d'accueil, de cours sous forme de cassettes vidéo, de modules de formation ou de postes d'information dans la bibliothèque, ce travail d'initiation ou d'approfondissement est rendu difficile par un public souvent multiforme, comme à Créteil ou passager comme à la bibliothèque interuniversitaire de médecine.

Des initiatives émergent localement, comme un projet de tutorat qui va être expérimenté à la BU de Créteil, à la demande de la faculté de droit, pour guider les étudiants dans la recherche documentaire.

Si ces formations à la documentation, ces initiations à la recherche documentaire existent dans la plupart des bibliothèques, il a été aussi souhaité qu'une action soit entreprise en amont de l'université, afin qu'une continuité dans la formation aux pratiques de la bibliothèque se dégage depuis l'école, le collège et le lycée, avec des langages et méthodes uniformisés.

Une plus grande ouverture

La politique tendant actuellement à une plus grande ouverture des bibliothèques universitaires vers l'extérieur, la multiplicité des publics que cela entraîne dans une même bibliothèque fait naître de nombreuses interrogations. La bibliothèque doit-elle s'adapter à chacun de ces publics, en fournissant des services autonomes, ou bien le public doit-il se contenter des services offerts au public universitaire ? Y a-t-il une politique pour les usagers non universitaires ? Ou bien faut-il traiter au coup par coup ? Ces interrogations soulèvent à nouveau la question des missions des bibliothèques universitaires.

La BUTC, confrontée depuis longtemps à ces questions a répondu pour l'instant en proposant tous ses services à tous, mais à publics différents, tarifs différents : trois tarifs sont appliqués selon qu'il s'agit d'étudiants (110 F), d'individuels (350 F) ou de sociétés (700 F).

On est ainsi arrivé à la question des coûts et des prix. Que faire payer ? Qui faire payer ? Au-delà du renseignement que la bibliothèque se doit de donner gratuitement, il y a les services rendus, qui, tout comme l'urgence, s'inscrivent dans une logique de coût. L'ouverture en soirée ou le dimanche a elle aussi un coût. Jusqu'où alors peut-on aller dans la gratuité ?

Des enquêtes ont été faites, d'autres sont en cours, qui ont toutes pour objectif une meilleure connaissance du ou des publics de la bibliothèque, à compléter par une meilleure connaissance de la bibliothèque et de ses services par son ou ses publics.