Les bibliothèques francophones et l'évaluation

Geneviève Boisard

Evoluer pour évaluer, telle a été la conclusion tirée par Jacques Cordonier, directeur de la bibliothèque cantonale du Valais, à la fin du congrès organisé à Dakar les 17 et 18 mars par l'Association des responsables des bibliothèques et centres de documentation universitaires et de recherche d'expression française (ABCDEF).

Sur la nécessité d'évaluation, tout le monde est d'accord. Qu'elle soit le fruit d'un désir de communication et de légitimation, comme l'a noté Salah Dalhoumi, maître de conférence à l'ENSSIB 1, de justification des investissements faits, ou le passage obligé pour la validation des objectifs, comme l'ont indiqué de nombreux participants. L'évaluation extérieure est souvent illusoire, comme le rappelait l'exposé de Jean Sirinelli, président de la commission française pour l'Unesco et président du Comité national d'évaluation, mais l'auto-évaluation est une illusion. L'évaluation doit donc se faire en accord entre l'évaluateur et l'évalué et doit combiner les deux approches.

Diversités régionales

Pays du Nord ou pays du Sud, nations occidentales ou pays de l'Est, chacun évalue à sa manière et à des degrés différents.

Comme l'a dit finement Pascal Gandaho, directeur de la Bibliothèque nationale du Bénin, les Français suivent avec retard les méthodes nord-américaines et les Africains suivent les Français avec un retard supplémentaire. En effet, nous avons eu un remarquable exposé de Jean-Pierre Côté, directeur du service des bibliothèques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) sur les méthodes suivies pour évaluer son service. Planifiée de façon rigoureuse, cette évaluation s'est remarquablement bien déroulée. Elle était dirigée par un Comité de pilotage composé de membres extérieurs à la bibliothèque - dont un directeur de bibliothèque - et d'usagers. Elle a été réalisée grâce à des enquêtes auprès des usagers et à un questionnaire diffusé à l'ensemble du personnel. Jean-Pierre Côté a souligné combien cet aspect était important, car il fallait éviter à tout prix que le personnel se sente jugé et obtenir sa participation active à l'évaluation. Les questionnaires permettaient à chacun d'évaluer la qualité de son travail et d'indiquer les améliorations à lui apporter. Ils ont été la source d'indications très intéressantes, au-delà de ce qui en était attendu. L'évaluation a débouché sur un triple rapport émanant du service lui-même, des usagers et d'un expert extérieur, après que le directeur de l'UQAM ait fait ses commentaires sur le rapport préliminaire. L'évaluation elle-même a eu des résultats très bénéfiques, elle a, en particulier, permis d'éviter la renégociation annuelle du budget à partir de zéro.

Après cet exposé magistral, les autres pays faisaient un peu pâle figure, même si les bibliothèques françaises, comme l'a souligné Marie-Dominique Heusse, acquièrent progressivement la pratique de l'évaluation grâce à l'action volontariste du ministère et aux travaux de l'Association des directeurs de bibliothèques universitaires. Les bibliothèques africaines, quant à elles, ont une vision désabusée, car pourquoi évaluer puisque les remèdes à apporter semblent hors de portée.

En Belgique, on nous a cité deux exemples d'évaluation des collections, l'un par la méthode du Conspectus, l'autre sur les mesures à prendre pour la préservation et la conservation, suivant une méthode élaborée par Jean-Paul Oddos. Au Maroc, en Roumanie, pour des raisons différentes, l'évaluation n'est pas pratiquée, mais Marcel Lajeunesse, directeur de l'Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l'information de Montréal, a fait part d'une expérience intéressante de l'application de la méthode de Sarajevic à l'Université nationale du Rwanda. Bien que le contexte soit différent et que la bibliothèque universitaire africaine soit généralement la seule bibliothèque disponible, les observations dégagées seraient bien souvent applicables à nos bibliothèques françaises : utilisation de la bibliothèque comme salle d'étude, faible participation des enseignants, absence de corrélation entre la satisfaction des usagers et la fréquentation de la bibliothèque.

Normes et méthodes

En tout état de cause, la diversité des situations fait disparaître la référence à des normes. Cependant il a été vivement souhaité que l'ABCDEF mette en chantier une « boîte à outils » méthodologique, un manuel d'évaluation en français permettant de généraliser cette procédure qui n'est plus contestée.

Le congrès avait été précédé d'un pré-séminaire sur le rôle de l'université dans la production, la conservation et la diffusion des publications universitaires en Afrique francophone. En ce domaine, le constat est plutôt sévère : les publications sont en constante régression, la diffusion est négligée. Les dépenses nécessaires à « l'espace de paix » : salaire des fonctionnaires, bourses des étudiants, ne laissent souvent plus de « liquidités » disponibles pour les publications. Il faut par ailleurs améliorer la qualité du fonds et de la forme. Les équipements de micro-informatique, qui permettent une mise en forme moins coûteuse, doivent laisser cependant espérer une permanence de l'édition universitaire francophone. Nos collègues africains souhaitent beaucoup trouver l'appui d'universitaires français pour diffuser leurs publications.

Comme on peut le voir, la langue de bois était totalement absente de ce congrès de professionnels qui a réuni 97 participants, dont 15 Français, et la plupart des directeurs de bibliothèques universitaires africaines francophones. Les échanges ont été cordiaux et confiants et ont permis un travail de qualité. L'ABCDEF y a fait preuve de son efficacité. Ses rapports avec l'AUPELF / UREF 2, dont elle est l'émanation, semblent cependant devoir être précisés.

  1. (retour)↑  ENSSIB : Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques.
  2. (retour)↑  AUPELF / UREF : Association des universités partiellement ou entièrement de langue française / Université des réseaux d'expression française.