Des bibliothèques, des CD-ROM, et des bases plein-texte

Anne Dujol

La première révolution

Que les bases de données aient introduit la première révolution bibliographique semble incontestable et tient surtout, grâce à l'informatique, à la mise en œuvre de la logique booléenne qui, associée à la multiplicité des index, permettait une recherche bibliographique qui, pour la première fois, échappait à la recherche exclusive sur nom d'auteur et à celle sur les seuls mots-clés. Les bases de données informatisées ont rendu possible une recherche sur des critères multipliés par rapport à ceux des produits qui généralement ne possèdent que les index auteur et sujet.

La deuxième révolution

La révolution introduite par les CD-ROM quels qu'ils soient, bibliographiques ou textuels ou encore plein texte, ne procède pas du même mode.

Les CD-ROM sont, dans leur ensemble, des produits issus des bases de données, et ne font que refléter l'offre des bases. Cette révolution n'est donc pas fonctionnelle mais sociale.

Enfin, l'usager final, comprenez l'usager lambda, celui dont on parle tant mais que l'on connaît peu tant il est polymorphe, celui pour lequel nous travaillons, pouvait accéder lui-même à des outils qui nous étaient jusqu'alors réservés, et savourer à son tour les joies de la logique et des ensembles booléens, des boutons de l'hypertexte, de l'interactivité.

Sauvés ! Nous étions sauvés. Ils allaient se débrouiller tout seuls sous nos regards attendris, quoiqu'un peu inquiets devant tant de dépossession.

Depuis deux à trois ans la plupart des BU ont créé des services CD-ROM, souvent sur leurs propres moyens, tant financiers qu'humains. Nous avons résolu nous-mêmes, comme le souligne François Lapèlerie, plus ou moins bien selon les cas et selon nos moyens, selon aussi nos contraintes de place - ou de non-place - et de personnels, la mise en place de ces services ô combien coûteux. A titre d'exemple, notre section Médecine y consacre environ 100 kf/an 1. Ce prix comprend l'amortissement sur un an de trois postes de consultation constitués d'un micro moyenne gamme, d'un lecteur de CD-ROM (généralement multidisques) et de l'indispensable imprimante (à jet d'encre). S'y ajoute le coût annuel des abonnements aux titres de CD-ROM, et comme nous n'avons pas de chance, puisqu'en médecine la meilleure offre est américaine, il s'agit de produits chers, aux licences réseaux bien définies, encore plus coûteuses. Tout ceci, bien entendu, pour un seul droit d'utilisation des données (cf. encadré).

Nous avons aussi assumé notre autoformation, celle de nos collègues, celle enfin de nos usagers, car sans minimiser l'engouement des étudiants pour ces produits, et là est l'aspect social de notre révolution, il a bien fallu se rendre à l'évidence : décidément, ils ne se débrouillent pas tout à fait tout seuls.

Nous fûmes donc rassurés sur notre utilité.

Je m'associe donc à François Lapèlerie, lorsqu'il évoque la création d'un groupe d'usagers professionnels qui pourraient négocier, ou mieux négocier, auprès de nos fournisseurs, et les tarifs et les services : par exemple, des manuels en français, des guides d'utilisation très simples mais en français, l'appauvrissement correct des données accentuées en français, ainsi que celles d'autres langues accentuées, sans que cela génère des affichages déplorables, voire des impossibilités de recherche sur nom d'auteur 2.

Nous pourrions surtout faire comprendre à nos fournisseurs, ainsi qu'aux éditeurs, qu'une bibliothèque procède d'un usage collectif du produit et non d'un usage individuel. Ce qui implique de pouvoir bloquer l'accès aux DOS 3, de ne pas décharger impunément sur le disque dur mais sur une disquette, de mettre en œuvre des fonctions administrateurs qui ne permettent pas à nos usagers de détruire les mises à jour (cf. Current Contents sur disquette de l'ISI, cela s'est arrangé depuis), etc., etc., toutes choses qui nous ont terriblement compliqué la vie tout simplement parce que l'usage collectif du produit n'avait pas été pensé, alors que les bibliothèques et en particulier les bibliothèques universitaires en étaient les principaux clients.

La troisième révolution

La troisième révolution documentaire, de mon point de vue, c'est l'arrivée, déjà annoncée par le succès économique des bases factuelles, des bases plein-texte.

Pourquoi ? Parce qu'enfin nous sortons de l'ère du référentiel pour passer à l'ère du textuel, donc à l'accès direct à l'information primaire - à ne pas confondre avec l'accès au document primaire qui est encore autre chose -, cela sans intermédiaire aucun.

C'est pourquoi, au lieu de déplorer l'accès par l'usager à l'information primaire dont nous devinons les imperfections comme le souligne Pierre-Marie Belbenoit-Avich, je pense qu'il faut prendre modèle et introduire, ou réintroduire, des contenus dans nos propres systèmes d'information.

Introduire les tables de matière et les index de monographies dans nos OPAC 4, les sommaires de périodiques dans nos logiciels de périodiques, sous peine de continuer à produire des outils performants d'un point de vue technique et professionnel mais qui ne répondent pas aux besoins de nos usagers parce que fondés sur le référentiel alors que l'on nous demande du texte et des contenus en accès direct.

De la chute du PEB

Que les bases plein-texte fassent chuter le volume du PEB 5 dans les bibliothèques montre bien qu'elles répondent au besoin d'accès direct à l'information par l'usager final. Cela met-il en péril l'existence des bibliothèques ? Non, si les bibliothèques réintroduisent les contenus dans leurs outils, ou encore si elles aussi produisent du plein-texte.

Le PEB n'est qu'un service à nos usagers et un service de la conséquence, indiquant le plus souvent l'insuffisance des ressources locales par rapport justement à l'offre bibliographique internationale, à la couverture toujours plus étendue. Il est aussi révélateur de la non-exploitation ou de l'exploitation insuffisante, de nos documents, même si depuis peu les logiciels CD-ROM, ainsi SPIRS de Siver Platter, permettent d'indiquer que non seulement la bibliothèque possède le document, mais permet d'en donner la cote, ce qui rend possible le chaînage entre les différents systèmes d'information bibliographique qui s'ignoraient auparavant.

Que le volume du PEB diminue sera peut-être le signe de meilleure santé de nos bibliothèques, de choix de périodiques correspondant mieux aux besoins, d'une meilleure exploitation du fonds sur place, car nous ne pouvons pas continuer cette fuite en avant qui mange notre énergie et nos ressources humaines 6.

Nous le savons, les nouvelles technologies, c'est devenu une banalité de le dire, font éclater nos pratiques professionnelles face à nos usagers toujours plus exigeants, mais aussi peu formés à l'information scientifique et technique. Plutôt que de développer des services PEB, qui, je le redis, ne doivent être que des services de conséquence, et non un but en soi, plutôt que de développer des outils référentiels, nous devons introduire des contenus. Permettre l'accès aux textes eux-mêmes et pas seulement aux références des textes.

De même que nous avons permis le libre-accès à nos rayons, et que cela reste un objectif essentiel, je pense que nous devrions aujourd'hui privilégier les stations GED 7 à des OPAC reproduisant nos anciens fichiers, faire œuvre de production et non de reproduction.

Que l'on nous donne les moyens pour le faire, et que l'on réfléchisse à la mise en œuvre de ces outils, je crois que, nous, bibliothécaires, sommes de plus en plus nombreux à en être convaincus, et à être prêts à ce changement de voie.

Illustration
Titres et matériels de la section Médecine de la BIU Montpellier

  1. (retour)↑  Quelques réflexions à propos des articles de Pierre-Marie BELBENOIT-AVICH et François LAPELERIE, Bull. Bibl. France, t. 37, n° 6, 1992.
  2. (retour)↑  Quelques réflexions à propos des articles de Pierre-Marie BELBENOIT-AVICH et François LAPELERIE, Bull. Bibl. France, t. 37, n° 6, 1992.
  3. (retour)↑  Anne DUJOL, « Des CD-ROM à quel prix ? », in A Vision of the future : opportunities, not obstacles, Aberdeen 27-29 mars 1992. Conférence franco-britannique ABF-BU pour la France, Association des bibliothécaires britanniques Section des bibliothèques universitaires et de recherche pour la Grande-Bretagne.
  4. (retour)↑  Problème du logiciel CD-Plus. Les données accentuées ne sont pas appauvries en saisie, d'où un affichage déplorable des données accentuées des zones adresse et auteur. Cela induit des difficultés de recherche sur nom d'auteur lorsqu'il est accentué. Il faut alors chercher à SOUES-S et SOU [E-S] pour récupérer l'ensemble des références de cet auteur. Ce qui est inacceptable.
  5. (retour)↑  DOS : Disk Operating System.
  6. (retour)↑  OPAC : Online Public Acces Catalogue.
  7. (retour)↑  PEB : Prêt entre bibliothèques.
  8. (retour)↑  Volume du PEB de la section Médecine de Montpellier. Avec près de 14 000 transactions annuelles mobilisant 4 personnes (3 postes) pour toute la chaîne, PEB prêteur et PEB emprunteur confondus, sur une équipe de 16 personnes (mais 15,6 postes), tout personnel confondu.
  9. (retour)↑  GED : Gestion électronique des documents.