Les usagers du musibus

Bibliothèque de l'Ardèche

Salah Dalhoumi

Ahmed Silem

Cet article s'attache à montrer que les politiques d'acqui-sition et de desserte sont des instruments d'intervention en matière de service public et ont une influence directe sur la ségrégation des usagers. Le musibus ardéchois dispense un service de qualité et fonctionne à la satisfaction presque unanime de ses usagers actuels. Il se révèle être un ins-trument d'éducation et de développement culturel dans un département rural où l'offre culturelle n'est ni abondante ni variée. Il reste néanmoins que le musibus est à l'usage devenu l'outil exclusif d'une catégorie d'adultes, en excluant les jeunes et les adolescents. Cet acte d'appropriation est d'autant plus remarquable que le musibus n'est pas leur source unique pour se procurer de la musique. Cette attractivité vient de la convivialité, et de la haute qualité d'un service spécifique et personnalisé. Aussi le développement de ce service pose des problèmes ardus quant à la segmentation des usagers, la variété des modes de desserte, la politique d'acquisition, et l'allocation de moyens économiques et humains.

The policies concerning the acquisitions and the servicing interferes in the public service and influences directly the segregation of the users. The music bus of Ardèche satisfies almost unanimously its present users. It is an instrument of education and culture in a rural department where this one is neither important nor various. The music bus has however becoming the bus of only one class of adults, excluding the children and the teenagers - even if it's not their unic source of music. So, its develop-ment has to pose many problems.

Cet article rend compte d'un aspect d'une étude sur l'évaluation de l'activité du musibus de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Ardèche. Il n'aborde ni les problèmes d'efficience ni ceux de l'efficacité du service. Il s'agit plutôt de souligner la pertinence d'une telle action auprès des usagers et de saisir les raisons pour lesquelles ils fréquentent le musibus et apprécient ce mode de desserte.

Le musibus ardéchois fonctionne depuis 1982. C'était le premier véhicule à se consacrer exclusivement au pr 1, dont six seulement pratiquent le prêt direct.

Le musibus dessert dix chefs-lieux du département ardéchois avec une fréquence de 11 passages par an. Ses collections s'élèvent à 16 454 phonogrammes pour une moyenne nationale de 10 600. Sur quatre années, de 1986 à 1990, la moyenne annuelle d'acquisition a été de 2 162 documents sonores, contre 1 600 à l'échelle nationale. Deux personnes, un discothécaire et un chauffeur sont exclusivement affectés à ce service. L'effort budgétaire en la matière représente 20 % du budget annuel d'acquisition de la bibliothèque. Seules six BCP sur 81 possédant des documents sonores consacrent un pourcentage supérieur à celui de l'Ardèche.

Cet article présente en premier lieu la structure de l'échantillon, puis analyse les comportements culturels des abonnés au musibus, et en dernier lieu rend compte des attitudes, des opinions des répondants à l'égard du service du musibus. Seuls les tris à plat seront exploités, car les tris croisés n'ont jamais donné de valeurs significatives pour des variables pertinentes.

Structure de l'échantillon

Le questionnaire porte sur un échantillon empirique de 115 personnes et couvre environ le dixième des abonnés au service du musibus - nous ferons également référence à l'enquête qualitative qui a été menée sous forme d'interviews approfondies auprès de 13 usagers.

En ce qui concerne la répartition par sexe, il comprend 65 hommes et 48 femmes, soit respectivement 57,5 % et 42,5 %.

L'échantillon se caractérise par une forte représentation des personnes âgées de 30 à 50 ans, soit 65,5 %.

Les moins de vingt ans et les vingt-vingt-neuf ans représentent respectivement 7,1 % et 15 %, tandis que les plus de 50 ans sont 12,4 %. Sans prétendre à l'exhaustivité, puisque cette population est empirique, ceci correspond à la structure réelle des abonnés du musibus.

Dans notre échantillon, le niveau d'études est assez élevé puisque, si l'on ajoute ceux qui ont le baccalauréat et qui représentent 36,7 %, aux usagers ayant un diplôme supérieur, 34,8 %, nous arrivons à un taux de 71,5 %. Les autres ont un niveau d'études primaires (3,6 %), un BEPC ou un CAP 2 (25 %).

La répartition par profession est dominée par les professions intermédiaires, soit 31,4 %, et les retraités, 24,8 %. Les autres professions, à savoir les agriculteurs, les artisans et commerçants, les employés, les ouvriers et les cadres oscillent entre 6 % et 11 %. Il faut néanmoins observer que 10 % n'ont pas répondu à notre question.

La situation matrimoniale des interrogés est la suivante : 61,6 % sont mariés, ou vivent maritalement, 26,8 % sont célibataires et 11,6 % sont veufs ou divorcés.

35,5 % de ces personnes déclarent ne pas avoir d'enfants, contre 64,5 % qui en ont. Les familles avec un ou deux enfants prédominent, soit 70 %.

Les familles qui ont trois enfants représentent 20,5 % de l'effectif. Enfin, un dixième d'entre elles déclarent en avoir quatre ou plus. Ces enfants sont relativement jeunes, puisque 50 % des plus âgés ont moins de 13 ans et 75 %, 20 ans et moins.

En ce qui concerne la structure patrimoniale, l'échantillon se caractérise, d'une part, par la prédominance des propriétaires (63,4 %), contre 29,5 % seulement de locataires et, d'autre part, par la forte fréquence de la maison individuelle, ce qui est, somme toute, conforme à ce que l'on sait de la sociologie rurale en la matière.

En résumé, l'usager le plus fréquemment rencontré est un homme - ils sont un peu plus nombreux que les femmes. Il est âgé de trente à quarante-neuf ans et a un niveau d'instruction correspondant au baccalauréat et plus. Il exerce de préférence une profession intermédiaire. Plutôt marié, et avec deux enfants qui n'ont pas dépassé le stade de l'adolescence. Il est, enfin, propriétaire d'un logement individuel plutôt vaste, d'au moins quatre pièces.

Pratiques culturelles des abonnés

Les activités de loisirs des usagers se caractérisent par une pratique généralement supérieure à la moyenne nationale pour les sorties « spectacles vivants » 3, comme le théâtre ou les concerts. La pratique des « sorties de base »3 est en revanche inférieure au moins de moitié à cette même moyenne nationale (cf. tableau 1).

La lecture

Une remarque peut néanmoins être effectuée au sujet de la lecture. Nous pouvons affirmer d'ores et déjà que les usagers du musibus sont aussi des lecteurs moyens et parfois des gros lecteurs à une très large majorité. En effet 76,5 % de l'échantillon lisent dix livres et plus dans l'année.

Comparativement, les Français lecteurs moyens sont 25 %3. De même, 22 % de l'échantillon lisent plus de 25 livres par an, contre 17 % seulement pour l'ensemble des Français. Il faut observer enfin que 17 personnes (15 %) n'ont pas répondu à cette question. Quant à la nature de ces lectures, il semble qu'elle soit très variée. Aucun roman ou documentaire précis n'est cité de façon massive. La liste des deux derniers ouvrages lus offre une grande variété dans les titres et un partage entre fictions et documentaires qui est loin d'être défavorable aux documentaires. Cette tendance mérite d'être signalée d'ores et déjà pour son originalité puisqu'elle ne recouvre pas les pratiques généralement observées en matière de lecture.

Par ailleurs, il est apparu que 31 % des répondants sont adhérents à une société de vente de livres par correspondance.

La lecture des journaux est une activité importante, moins pratiquée par les femmes que par les hommes. Mais, quand ceux-ci lisent relativement plus de quotidiens nationaux, les femmes lisent plus de quotidiens régionaux. Les conclusions de l'enquête ne sont pas conformes à bien des égards aux pratiques des Français à l'échelle nationale. Il est vrai que nous touchons là un public particulier dont le comportement rappelle plutôt celui des Parisiens que celui d'un département rural. C'est ainsi qu'on lit toujours, ou souvent, un quotidien régional (48,5 %) et un quotidien national (24,5 %), soit une pratique plutôt modérée.

En réalité, le fait le plus marquant en la matière est la lecture généralisée des mensuels et des hebdomadaires. Les hebdomadaires sont lus à 76,7 %, toujours ou souvent, et les mensuels, à 83,5 %, toujours ou souvent. De la liste des journaux et des magazines lus se détache nettement Télérama, suivi du Nouvel Observateur et de La Vie. Ce qui témoigne d'un niveau culturel assez élevé chez les usagers du musibus. D'ailleurs 28,2 % des 78 personnes qui ont répondu déclarent être abonnées à un journal ou un magazine, et 74,4 % sont abonnées à un, deux ou trois journaux ou magazines.

La lecture des livres et des magazmes est donc l'activité culturelle la plus pratiquée de nos usagers après la musique.

Cinéma et musique

Si l'on exclut la visite à des amis (66,9 %), le bricolage (55,6 %) et la sortie au restaurant (29,5 %), les autres loisirs pratiqués sont le cinéma à 46 %, et les concerts de musique à 40,8%.

S'agissant du cinéma, le goût de cette population est très éclectique. Cinq films se détachent néanmoins dans la liste des derniers films vus. Danse avec les loups est le film le plus cité. Viennent ensuite deux films du diptyque de Marcel Pagnol, La gloire de mon père et Le château de ma mère. Ensuite et loin après, Robin des bois, et Le cercle des poètes disparus. Ce sont donc les films les plus populaires qui ont réalisé les meilleurs scores au box-office d'un point de vue national ou international. Il faut bien sûr signaler qu'à l'exception de quelques très rares salles d'art et essai, dites de recherche, les exploitants, en Ardèche, ne cherchent pas à proposer des films difficiles susceptibles de mettre un peu plus en difficulté leur exploitation déjà difficilement rentable.

Observons néanmoins qu'un cinquième de l'échantillon ne fréquente pas les cinémas et que 50 % des répondants n'y vont pas plus de cinq à six fois par an. L'étroitesse de l'offre peut expliquer cette faible fréquentation, bien plus qu'un manque de goût pour ce loisir.

En revanche, la fréquentation des concerts et événements musicaux se révèle instructive. En effet les usagers du musibus fréquentent de préférence les concerts de jazz (41,7 %), de musique classique (40 %) et le bal (39,1 %) et, en second lieu, les concerts de rock (29,5 %).

Le croisement des données ne permet pas de différencier les pratiques de groupes selon l'âge, le sexe, la profession ou le niveau d'instruction. De ce fait, nous pouvons conclure au goût éclectique de cette population, avec une préférence marquée pour la musique classique, le jazz et le bal, sans que l'on puisse repérer les pratiques cumulatives à ce stade de l'analyse.

Le spectacle vivant, notamment les concerts musicaux, est très recherché par la population. En effet, 25 % de ceux qui ont répondu à la question sur les deux derniers spectacles auxquels ils avaient participé pendant l'année parcourent jusqu'à 40 ou 50 kilomètres pour se rendre à un concert ; un autre quart, jusqu'à 75 kilomètres. Ce qui confirme, si besoin est, l'importance qu'accordent les usagers du musibus à la musique et à l'animation musicale. Deux cas extrêmes illustrent cette passion pour la musique : une personne a parcouru 900 km, et une autre 800 km, dans le même but.

Cette passion est alimentée chez 28 % des répondants par la pratique d'un instrument de musique. La guitare et le piano sont les instruments dominants. Ils représentent respectivement 44,8 % et 27,6 %.

En plus de la fréquentation des concerts de musique, 85,2 % des personnes qui répondent affirment écouter des programmes musicaux à la radio durant une heure par jour en moyenne, et 20 % écoutent trois heures et plus. Ils écoutent à 80 % ces programmes à la maison, à 48,6 % en voiture, et à 7,8 % au travail.

De même, 56,4 % regardent des émissions musicales à la télévision. La liste des émissions est trop importante et trop variée pour qu'une tendance ou une émission se détache. Seule Mégamix est plus souvent citée que les autres.

L'usager du musibus semble avoir un comportement atypique en matière de pratiques culturelles. Il est moyen lecteur, voire gros lecteur. Il préfère lire les magazines plutôt que les quotidiens et semble préférer les spectacles vivants à tout autre mode d'expression culturelle. Il peut être qualifié sans exagération d'« intellectuel des champs ». Son comportement est plutôt celui d'un citadin cultivé, et cadre, que d'un rural occupant une profession intermédiaire ou retraité.

Equipement matériel et sonothèque

Amateurs de musique, les usagers du musibus sont bien équipés pour écouter la musique chez eux. L'équipement en chaînes stéréo classiques (35,6 %) et surtout en chaînes stéréo laser (62,6 %) est important et de qualité. En outre, 31,3 % possèdent un baladeur, 30,4 % un magnétophone, 7,8 % un lecteur laser, 46 % un magnétoscope et 2,6 % un vidéodisque.

Il faut observer néanmoins que si la question sur la nature de l'équipement possédé nous renseigne sur l'importance de l'équipement des ménages en valeur absolue, elle ne peut pas rendre compte avec exactitude de la répartition de cet équipement. Elle a en effet été mal comprise puisque la réponse a été faite à choix multiple (on a coché plusieurs cases), alors qu'on la voulait unique (une seule case à cocher) dans le but d'apprécier la nature et l'importance de cet équipement.

L'acquisition généralisée de chaînes stéréo et laser témoigne d'une certaine exigence quant à la qualité de l'écoute musicale. S'agissant du support matériel de cette musique, le compact disc est possédé par 67,8 % de l'échantillon, tandis que la possession de disques noirs et de cassettes est massive, à hauteur respectivement de 86,9 % et 96,5 %. Si les supports classiques restent très présents, nous observons là une tendance nette vers un changement de support au profit du disque laser.

La musique classique, le jazz, le rock et les variétés sont les genres dominants chez les sujets interrogés. Plus significatif est le pourcentage de compact disc (41,7 %) chez ceux qui possèdent des documents de musique classique. Il semble que ce soit le support privilégié pour ce genre de musique. En effet, on achète deux fois plus de compact disc en musique classique qu'en tout autre genre de musique. La cassette, quant à elle, est le support le plus utilisé dans tous les genres musicaux, notamment dans les genres les moins fréquemment possédés comme les cours d'apprentissage des langues.

L'éclectisme de cette population se manifeste aussi, dans le domaine musical, par la grande variété des genres musicaux possédés. L'opéra, l'opérette, la musique contemporaine, le folklore, etc. sont bien représentés dans la sonothèque de nos usagers : 10 à 20 % des interrogés disposent de l'un ou l'autre de ces genres dans leur sonothèque, avec une prédilection pour la musique folklorique. Il faut néanmoins observer que les supports le plus souvent rencontrés sont le disque noir ou la cassette : 1,7 % seulement de l'échantillon a des compact discs en musique folklorique.

Le temps consacré à l'écoute de la musique est estimé à plus de sept heures par semaine pour 50 % de la population interrogée, et 25 % de cette même population estime son temps d'écoute supérieur à 14 heures par semaine. La musique apparaît à la fois comme un loisir principal et un mode de vie : 10 % des sujets interrogés écoutent de la musique 28 heures et plus durant la semaine.

Chez ces usagers, la musique est probablement vécue comme un besoin culturel fondamental, une forme d'expression (pour près d'un tiers) et peut-être même comme un moyen de compenser la rareté des activités culturelles dans leur environnement immédiat.

Les dépenses annuelles pour l'achat des documents musicaux s'élèvent à plus de 1 000 francs pour 36,8 % et entre 600 et 1 000 francs pour 63,2 % des sujets interrogés. Il s'agit bien d'un effort important, eu égard aux revenus des ménages dans un département rural. L'importance de la sonothèque privée de chacun ( 150 documents sonores en moyenne), et tous supports confondus, explique l'attachement et l'exigence de ces usagers quant à la qualité et la régularité du service offert par le musibus.

Les abonnés et le musibus

Afin de cerner la notoriété du musibus, il a été demandé aux usagers d'indiquer par quelle source ils ont eu connaissance de l'existence de ses services.

Mode de connaissance

La notoriété du musibus est assurée essentiellement par le bouche à oreille et les relations : 53 % des abonnés de l'échantillon affirment avoir connu le musibus par relation. A cet égard, il convient de noter que 98,2 % parlent également du musibus autour d'eux. Comme ils sont, dans leur immense majorité, satisfaits de ses services, il est probable qu'ils propagent une image favorable. L'importance des demandes d'inscription non satisfaites (31,3 %) en témoigne.

L'affichage est le second moyen qui assure cette notoriété, tandis que le journal local semble relativement inefficace : 6,9 % seulement ont pris connaissance du musibus par ce média. Ce dernier résultat est cohérent avec ce que l'on a révélé plus haut, à savoir que les usagers du musibus ne sont pas de grands lecteurs de la presse locale.

Les autres modes de connaissance sont le hasard, à 7,8 %, et des moyens divers, à 11,3 %.

La fréquentation et ses raisons

Les questions posées pour saisir les mobiles et motivations des usagers du musibus quant à leur abonnement à ce service s'inspirent des observations qualitatives réalisées dans la phase précédente. Nous leur avons demandé d'indiquer, parmi une liste d'items, les raisons qui expliquent leur abonnement au musibus (cf. tableau 2). Ces chiffres confirment les observations de l'enquête qualitative, avec l'avantage de leur donner un poids.

La raison la plus massivement avancée est d'ordre économique. Se procurer de la musique au musibus ne revient pas cher. Cette opinion confirme d'ailleurs l'image que l'on se fait d'un service public.

L'enquête qualitative nous a déjà appris que les sujets interrogés se considèrent comme des privilégiés, « puisque ce service n'a même pas d'équivalent en ville ». Pour eux, bénéficier d'un tel service est un sujet de satisfaction, voire même de fierté pour certains.

La deuxième raison invoquée par ordre décroissant d'importance est le grand choix offert. C'est-à-dire l'appréciation à la fois de la largeur de l'offre, qui embrasse tous les genres musicaux, et sa variété quant aux auteurs et aux origines. En ce sens, le musibus est un instrument irremplaçable aux yeux des usagers, dans son rôle pédagogique. C'est ce que nous avons appelé dans l'analyse qualitative la « fonction culturelle ».

Grâce à ses animateurs, le musibus ne se cantonne pas dans un genre ou une mode. Il essaie de répondre aux besoins et aux goûts les plus variés, ce qui pallie la rareté et l'étroitesse de l'offre dans le secteur privé du département. Il offre par ailleurs une musique qui n'est pas toujours « médiatique » selon les dires d'un interviewé. Cet éclectisme semble satisfaire la plus large majorité des usagers (82,3 % des personnes ayant répondu). Seuls 14 % ne sont pas satisfaits. Il se trouve toujours une demande pointue difficile à combler.

La compétence des bibliothécaires constitue la troisième raison invoquée justifiant la fréquentation du musibus. 56,5 % des sujets interrogés souscrivent à cette affirmation : « Je viens au musibus parce qu'il permet de s'informer auprès de gens compétents ».

Ce que confirment les réponses faites à la question suivante : « Vous arrive-t-il de demander conseil au responsable du musibus ? » En effet, 66,4 % des abonnés demandent toujours ou souvent conseil au responsable du prêt au musibus.

Nous étions loin de donner autant d'importance à cette activité de conseil et de renseignement, compte tenu de l'observation qualitative qui portait sur un seul site. Lorsque l'on est confronté au pourcentage précédent, on prend la véritable mesure des problèmes que soulève, par moment, l'affluence des usagers, et on mesure l'importance de la charge de travail qui incombe aux animateurs du musibus.

La quatrième raison la plus fréquemment invoquée, assez redondante avec l'item portant sur le « grand choix », est la richesse du fonds documentaire : le musibus permet de « trouver des documents rares qu'on ne trouve pas ailleurs ». 53,9 % des personnes ayant répondu prennent cette affirmation à leur compte. Elle signifie, outre la largeur de l'offre due à l'accumulation d'un fonds documentaire tout au long des années, que le musibus assure une complémentarité par rapport à l'offre du secteur privé et que sa politique documentaire n'est pas dictée seulement par l'actualité médiatique et les succès du moment.

L'attraction qu'exerce le musibus et les raisons de son succès tiennent à une politique documentaire qui allie la variété et le large choix au souci d'offrir des documents musicaux rares (dans le sens de difficiles à trouver dans la région) et à une volonté d'informer l'usager et de l'assister dans ses choix. Cette attraction n'est pas due, selon les réponses obtenues, au fait que « le musibus soit le seul moyen de se procurer de la musique ». Seuls 14 % des sujets interrogés soutiennent cette affirmation. En d'autres termes, amateurs avertis, voire passionnés de musique, les usagers du musibus le fréquentent pour la qualité et la variété du service offert, et non parce qu'il est leur unique fournisseur.

Evaluation du service par les usagers

Le service actuel du musibus donne entière satisfaction au plus grand nombre d'usagers. Les différents critères d'appréciation sont : les horaires de passage (87,5 %), le choix offert (85,3 %), la qualité sonore des documents (96,4 %) et le service dispensé en général (96,5 %). L'échantillon estime même, à 74,8 %, que le musibus est un facteur important dans l'animation culturelle du département.

Toutefois une réserve s'impose dans la mesure où la satisfaction des usagers actuels, en ce qui concerne notamment les horaires de passage du musibus, est liée, selon nous, au fait que ce sont des horaires excluant le plus souvent d'autres populations intéressées, comme les scolaires et certains actifs. Ces opinions sont donc celles d'usagers comblés mais jaloux de leur outil. Certains souhaitent surtout ne pas le partager avec d'autres populations, jeunes et adolescents d'âge scolaire. L'enquête qualitative l'a montré : s'il y a trop de monde, la qualité du service risque de se dégrader, sauf à mutiplier les passages. La facilité d'usage et la familiarité avec l'outil démontrent, si besoin est, la force des liens qui attachent ces usagers à leur musibus. Les observations sur le terrain, des rapports conviviaux et de la connaissance réciproque des uns et des autres, expliquent cette aisance dans l'usage et ce sentiment d'appropriation.

L'analyse quantitative permet de retrouver partiellement les éléments qualitatifs recueillis par entretiens. Ainsi, 66,4 % des usagers demandent toujours, ou souvent, conseil au discothécaire responsable, 73 % trouvent toujours, ou souvent, facilement ce qu'ils cherchent et 94,6 % obtiennent toujours, ou souvent, ce qu'ils ont réservé. Pour les usagers, le musibus est un terrain conquis.

Le musibus est attendu par ses utilisateurs avec une fidélité quasi absolue, puisque 87 % des sujets interrogés s'y rendent à chaque passage, c'est-à-dire une fois par mois, sans que l'on puisse avancer l'argument de l'attraction du chef-lieu. En effet, 93,6 % des usagers s'y rendent spécialement pour le musibus, 29,2 % parcourent pour ce faire entre dix et dix-neuf kilomètres, et 20,8 % en parcourent plus de vingt, et jusqu'à quarante.

La périodicité de la desserte semble convenir à la majorité, puisque 78,7 % de ceux qui ont répondu affirment qu'ils sont satisfaits de la fréquence de passage.

Cette satisfaction peut s'expliquer par une gestion modulable des prêts en fonction des besoins réels des usagers. Le nombre de documents empruntés est ainsi fonction de l'abonnement souscrit. Quatre types d'abonnements donnent droit à l'emprunt de trois à quinze documents sonores.

La segmentation des usagers en fonction de leur consommation musicale permet une économie de la rotation du musibus. Le système actuel semble fonctionner de façon optimale, si l'on accepte de sacrifier une certaine catégorie de la population. En effet, les listes d'attente sont longues, et la satisfaction des usagers du musibus n'a d'égale que la frustration des nombreux usagers potentiels. Durant les entretiens qualitatifs, nous avons interviewé quelques inscrits sur une liste d'attente qui sont obligés d'emprunter les cartes d'abonnement de leurs voisins et amis et ne comprennent pas qu'un service public soit sélectif. Ils vivent par conséquent cette situation comme une injustice à leur égard.

Mais il faut bien reconnaître qu'augmenter la fréquence de passage, l'élargir à d'autres zones ou à un public plus nombreux pose la question de l'allocation de moyens matériels et humains supplémentaires et doit mettre en œuvre une politique de différenciation des services en fonction des segments d'usagers. De la même façon, le maintien de cette qualité de service est fragile et constamment menacé parce qu'il repose sur un seul homme, en l'occurrence le bibliothécaire. En cas de maladie ou autres défaillances, la satisfaction des usagers peut facilement se transformer en insatisfaction, voire même en mécontentement exprimé.

Facteur de développement culturel

L'influence du musibus sur les changements d'habitudes en matière d'écoute musicale est incontestable. Plus d'un quart des usagers, soit 27,7 %, ont changé d'équipements pour améliorer leur qualité et leur confort d'écoute. Cette influence paraît encore plus grande en matière d'éducation musicale. Le musibus est un outil pédagogique qui permet de découvrir d'autres musiques (82,7 % des usagers) et d'autres auteurs (88,3 %). De fait, nous l'avons déjà signalé, il est l'unique outil du département à vocation d'initier et de faire découvrir en dehors de toute préoccupation commerciale et médiatique. Les emprunts qu'ils font amènent les usagers à acheter de la musique.

Ce rôle éducatif, assuré par le musibus et le contact convivial et personnel, explique la réticence des trois quarts des usagers à recourir au service du minitel et de la poste pour réserver et emprunter les documents sonores recherchés - et ce, alors que 46,5 % d'entre eux possèdent le minitel. En effet, 74,3 % des personnes interrogées ne souhaitent pas réserver par ce moyen, et 75,5 % d'entre elles ne souhaitent pas recevoir les documents musicaux par la poste. Le contact humain et le service personnalisé sont les qualités recherchées.

Une des raisons est aussi l'envie de faire des découvertes, signalée plus haut. L'enquête qualitative a fourni la confirmation de cet argument, puisque certains affirment que, n'ayant pas de culture musicale, ils veulent fureter et discuter avec le responsable pour faire leur choix. D'autres arguent que réserver par minitel, c'est commander ce que l'on connaît déjà sans possibilité de découverte.

En conclusion, le service offert par le musibus de l'Ardèche est un service de grande qualité et fonctionne à la satisfaction presque unanime de ses usagers. Nonobstant, des critiques peuvent lui être adressées.

La première concerne sa fragilité, car il repose sur la compétence et le dévouement d'un seul homme, à savoir le discothécaire, alors que le service public doit se caractériser par sa pérennité et sa continuité au-delà des contingences et des hommes.

La deuxième porte sur sa sélectivité, car si un service public se définit comme une opportunité offerte à tous, et librement, il semble bien qu'il y ait quelques reproches à faire au musibus de l'Ardèche. Sa politique d'acquisition, comme son mode de desserte et ses horaires de passage, font qu'il fonctionne en effet selon un système sélectif, voire exclusif, avec des usagers constituant un groupe relativement homogène de gens entre 30 et 50 ans, duquel sont exclus les jeunes et surtout les adolescents.

Enfin, il s'avère nécessaire de développer ce service et de l'étendre à d'autres usagers. Ce qui en soi porte le germe d'un conflit d'intérêt entre anciens et nouveaux usagers du musibus. En effet, si 14 % des anciens usagers le fréquentent parce qu'il est leur unique source de fourniture de musique, la plupart y viennent parce qu'ils se sont approprié l'outil musibus et parce qu'ils sont satisfaits de la qualité d'un service personnalisé et très convivial. L'extension de ce service pose donc le problème en termes de choix douloureux.

Deux solutions s'offrent à la direction. La première proposerait le changement de mode de desserte, comme le prêt par les relais. Choix radical qui aurait l'inconvénient majeur de remettre en cause la fidélité des usagers actuels, voire leur leur désaffection, puisqu'une baisse de la qualité de service et la perte d'une certaine convivialité s'ensuivraient fatalement.

La deuxième solution serait l'adoption d'une politique de développement du service par prêt direct et multiplierait les musibus. Ce moyen serait peut-être le garant du maintien de la qualité du service et permettrait de garder les anciens usagers. Mais multiplier les musibus est une solution relativement onéreuse, inenvisageable en l'état actuel.

Le plus judicieux pour le développement du service passe donc, selon nous, par une segmentation des publics et par la variété des modes de desserte, prêt direct par musibus (pour les adultes qui sont les usagers actuels), prêt indirect par les relais pour des usagers différents ayant des besoins différents (jeunes et adolescents). Mais il existe là encore un obstacle de taille, qui est celui de la formation à la culture musicale du personnel des relais dans les bibliothèques centrales de prêt. En effet, pour que les missions éducative et culturelle de la BCP soient assurées, il faut que professionnels et bénévoles soient en mesure de conseiller l'usager et de guider ses choix, ce qui est loin d'être le cas actuellement.

Cet objectif semble également difficile à atteindre pour des raisons touchant à l'importance et à la structure du fonds. En l'état actuel des choses, les collections ne sont pas très importantes en volume ni en variété : la musique de variétés qui répond aux goût des jeunes, par exemple, n'est pas très présente et n'est pas prise en compte dans la politique d'acquisition actuelle. Par ailleurs, la structure du fonds doit évoluer et condamne la BCP à acquérir plus de disques laser et de cassettes, ce qui diminuera l'importance des collections actuelles. Elles seront en effet d'autant moins importantes que le disque noir, qui représente 52,9 % des fonds, est un support en voie d'obsolescence.

Novembre 1991

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Tableau 1 - Pratiques culturelles des abonnés du musibus

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Tableau 2 - Raisons de la fréquentation du musibus

  1. (retour)↑  Les chiffres nationaux sont tirés de l'enquête qu'effectue Marie-Claude PASCALE sur le sujet, dans le cadre d'un travail universitaire, et du Guide des BCP, édition 1990.
  2. (retour)↑  BEPC : Brevet d'études du premier cycle. CAP : Certificat d'aptitude professionnelle.
  3. (retour)↑  Selon la terminologie employée dans Les pratiques culturelles des Français, Olivier DONNAT, Denis COGNEAU, La Découverte-La Documentation française, 1990.