Les politiques culturelles municipales

Éléments pour une approche historique

par Jacques Perret
Cahiers de l'IHTP, n° 16, Septembre 1990.

Dijon, Rouen, la banlieue parisienne, Le Havre et Bordeaux pourront prochainement se raconter leur histoire culturelle contemporaine grâce à cinq études en cours qui se proposent une approche historique des politiques culturelles municipales. Ce sera le premier résultat d'un programme de recherche dirigé par l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP), animé par J.P. Rioux et J.F. Sirinelli. Le n° 16 des Cahiers de l'IHTP est une sorte de rapport d'étape des cinq recherches en cours.

Dijon et Rouen

Tout paraît avoir été dosé de main de maître pour redonner de l'épaisseur à un domaine souvent occulté par le rôle prépondérant de l'Etat. En effet, par-delà des finalités scientifiques communes (l'histoire des politiques culturelles municipales), chaque chercheur, en fonction de la ville étudiée, de la période choisie et de l'angle d'attaque privilégié, propose une démarche spécifique. Les sites n'ont pas été choisis au hasard, ni les périodes, comprises entre 1919 et 1989, mais modulées en fonction de la problématique de chaque étude.

On a donc affaire à cinq approches volontairement croisées permettant de mettre en évidence à la fois les différences et les tendances lourdes de notre histoire culturelle contemporaine.

L'étude concernant Dijon (1919-1989) est centrée sur les discours des élus qui, déjà en 1919, concevaient la culture comme devant servir l'image et le prestige d'une ville nostalgique de son passé de capitale régionale. En 1935, on ambitionne « d'amener tous les hommes à la plénitude de l'humanité ». Après les années sombres, il faut attendre 1953 pour qu'il soit question d'un effort en direction des jeunes. En 1965, la démocratisation de la culture passe par la création d'équipements culturels. Robert Poujade, qui succède au chanoine Kir (1971), introduit le glissement de la démocratisation à la démocratie culturelle. Et à la fin des années 1980, la culture est déclarée prioritaire au même titre que l'économie, liée à l'image de la ville, devant contribuer au prestige et aux impératifs de médiatisation.

L'étude de l'histoire de la politique culturelle de Rouen met en évidence la continuité par-delà l'alternance des conservateurs (1919-1929) et des radicaux (1929-1940). Rouen est l'archétype de la vie culturelle locale toute entière focalisée sur son patrimoine. Sa valeur touristique ne laisse pas insensible une ville de marchands dont l'objectif politique constant est l'image de la ville. Dans ce contexte, l'arrivée des radicaux ne provoque pas de rupture, tout au plus une inflexion de la politique aux marges du champ culturel. L'orgueil d'être rouennais crée la cohésion de la société culturelle dont les acteurs (sociétés savantes, érudits, médiateurs...) ont une longévité bien supérieure à celle des mandats municipaux. L'étude de cette société paraît indissociable de celle de la politique municipale.

La Seine, Le Havre et Bordeaux

Le contexte des municipalités de la Seine, entre 1934 et 1939, nous éloigne évidemment beaucoup de l'ambiance rouennaise, même si la domination d'une banlieue ouvrière et rouge n'exclut pas l'existence d'une banlieue bourgeoise et verte. Cela permet des typologies et des comparaisons à l'intérieur d'un même espace de la banlieue parisienne. C'est une histoire dominée par la croissance démographique, l'aménagement urbain et donc la préoccupation des services, mais aussi de l'identité locale.

L'étude des politiques et pratiques culturelles au Havre, entre 1944 et 1983, propose une autre approche par les relais associatifs. Ils ont, dans une ville rasée par les bombardements puis en reconstruction pendant quinze ans, une fonction de capillarité sociale considérable. C'est une ville de « guerre froide » où l'arrivée d'une gauche à majorité communiste, en 1965, constitue une rupture forte dans une politique qui évoluera, par crises successives, vers l'institutionnalisation du culturel et l'épuisement du concept de démocratisation culturelle.

A Bordeaux, par contre, de 1945 à 1975, c'est la continuité qui s'impose. Elle n'est plus que favorable à la recherche de la cohérence (ou de l'absence de cohérence) d'une politique publique entièrement dominée par un maire qui dispose de la longévité et d'une stature nationale. Continuité qui n'exclut pas des changements dictés par un souci de l'éclat national de la politique culturelle municipale.

Chacun des cinq rapports de recherche met en évidence la principale difficulté scientifique qui est de définir et donc de délimiter le champ culturel. Chaque époque génère sa propre conception du culturel et l'approche historique doit repartir de la définition qu'en donne l'époque à laquelle elle s'intéresse. De la diversité des périodes et des lieux étudiés on a donc tout lieu d'attendre des investigations riches qui nous rappellerons que c'est souvent au plan local que naît et s'expérimente ce qui deviendra une politique culturelle nationale.

A noter que ce numéro des Cahiers de l'IHTP comprend une excellente bibliographie des études portant sur les politiques culturelles des collectivités locales.