Du papier pour l'éternité

l'avenir du papier permanent en France

par Jean-François Foucaud

Bernard Pras

Luc Marmonier

Paris : Centre national des lettres : Cercle de la librairie, 1990.
ISBN 2-7654-0437-2

« Du papier pour l'éternité »... Un beau titre même s'il semble un peu utopique, pour un rapport en fait très concret, très proche des réalités. Cette étude a été confiée par le Centre national des lettres au Cercle de la librairie et menée par le Centre de recherches « Dauphine, marketing, transport, prospective » de l'Université de Paris-IX Dauphine. Terminée en octobre 1989, elle a été publiée en mars 1990, à l'occasion du Salon du livre.

La préface de Monsieur Jack Lang, ministre de la Culture, donne le ton : les bibliothèques sont confrontées quotidiennement à des problèmes de conservation qui entraînent, pour la collectivité, des charges très importantes. Il n'est pas question d'imposer aux papetiers, aux impnmeurs et aux éditeurs de nouvelles normes coercitives, mais d'aider à une prise de conscience de l'ensemble des professions concernées.

La première partie analyse l'offre de papier permanent, et donne des chiffres précis sur l'industrie papetière : on se rend compte que la situation est sans doute moins défavorable qu'un certain alarmisme ne nous incite à le penser; que la fabrication en milieu non acide, pour des raisons diverses, progresse de jour en jour; que le principal problème reste celui de l'information des utilisateurs potentiels. Bien sûr, la situation semble plus favorable aux Etats-Unis ou en Finlande, mais la France présente un potentiel non négligeable.

Après l'offre vient logiquement la demande. Le secteur de l'édition, théoriquement le plus concerné, semble adopter une politique attentiste, plutôt favorable, mais sans manifester un enthousiasme exagéré à l'idée de changer pour du papier permanent. Mais l'édition, domaine vaste et très diversifié, ne consomme que 7 % de la production de papier à usage graphique en France, et 2,4 % de la production totale de papier et carton : autant dire que sa voix ne pèse pas bien lourd devant les fabricants.

Quant aux acteurs, ils sont encore plus dispersés et divisés. Les imprimeurs sont avant tout soucieux de rentabilité et de qualité d'impression; ils ont un rôle de conseil auprès des éditeurs, et ne manifestent aucune réticence devant ce nouveau produit. Reste le problème des encres, plus ou moins acides, et surtout des colles utilisées lors du brochage. Les bibliothécaires sont diversement sensibilisés suivant qu'ils s'occupent plutôt de conservation ou de lecture publique; de toute façon, même unis, ils ne pèseraient pas bien lourd dans la balance économique : l'ensemble de nos établissements représente 4,5 % du chiffre d'affaires de l'édition... Les auteurs pourraient avoir un effet d'incitation auprès des éditeurs, les libraires ne se sentent guère concernés, et quant aux consommateurs, comme le remarquent les auteurs, ils « constituent le groupe d'acteurs le plus éclaté ». Les archivistes sont à peine évoqués, mais ils est vrai que leurs poids économique ne doit pas être loin de celui des bibliothécaires. Par contre les écologistes pourraient être un groupe de pression favorable, dans la mesure où la fabrication de la pâte chimique est moins polluante que celle de la pâte mécanique. Quant aux pouvoirs publics, en tant qu'utilisateurs, éditeurs, imprimeurs et responsables de la conservation du patrimoine, ils devraient être le principal moteur d'une action en faveur du papier permanent.

Les auteurs examinent ensuite la situation dans plusieurs pays étrangers (Etats-Unis, Finlande, Grande-Bretagne, Pays-Bas), avant de revenir à la France et de proposer quelques pistes. L'aspect peut-être le plus contestable est celui des tirages de tête sur papier permanent, idée héritée des Etats-Unis et déjà désuète. Mais le vrai problème est celui de l'information des différents acteurs repérés plus haut, et des actions de communication devraient être menées, notamment à l'initiative des pouvoirs publics.

La conclusion logique est donc de stimuler l'offre et de susciter la demande, ce qui suppose quelques conditions : proposer plusieurs classes de permanence en fonction des types de documents; surveiller le nécessaire équilibre entre papier permanent et papier recyclé; ne pas nuire à la compétitivité des entreprises françaises, et travailler en liaison étroite avec elles.

De toute façon la situation a déjà évolué depuis la publication de ce rapport. En juillet dernier, le Syndicat national de l'édition a lancé une enquête sur le même sujet, dont on attend avec intérêt les conclusions. De nombreux papetiers se sont manifestés pour signaler que le papier qu'ils fabriquent répond à une ou plusieurs des conditions énoncées. Et l'on s'est rendu compte que plusieurs éditeurs utilisaient déjà du papier permanent sans le savoir, parce qu'il répond à d'autres critères plus nécessaires à leurs yeux. La question est donc plus que jamais à l'ordre du jour, et cet ouvrage nous aide à faire le point, à une date donnée, sur les perspectives de la conservation, l'un des problèmes majeurs des bibliothèques, même s'il intéresse bien peu les autres partenaires...