Enquête sur les bibliothèques municipales de prêt de la ville de Paris

Sophie Danis

Michel Netzer

La Direction des affaires culturelles de la Mairie de Paris a fait réaliser en décembre 1989 une enquête approfondie sur les utilisateurs et les non-utilisateurs des bibliothèques municipales. Il s'agissait de définir et de comparer leur profil socioculturel, de cerner l'image qu'ils ont des bibliothèques, de connaître pour les uns les motivations, pour les autres les freins à la fréquentation des bibliothèques, enfin de mesurer les attentes des deux catégories et leur intérêt éventuel pour de nouveaux services. Objectifs : améliorer la qualité et étendre la gamme des prestations offertes, conquérir un nouveau public.

La société MV2 Conseil a procédé au sondage (par questionnaire en face à face) de 1 183 usagers (sections adultes et discothèques confondues) dans six bibliothèques municipales. Parallèlement ont été interrogées 2 000 personnes résidant à Paris intra-muros, ne fréquentant pas les biblothèques de la Mairie de Paris et composant un échantillon représentatif de la population parisienne.

Les usagers des bibliothèques

Si l'on compare la structure des deux échantillons constitués pour l'enquête, les usagers des bibliothèques comptent un peu plus de femmes (53 %) que la population parisienne adulte (50 %) et sont plus jeunes (67 % contre 42 % de moins de 35 ans) ; ils comprennent deux fois plus d'étudiants et ont un niveau d'études nettement supérieur. Très logiquement, leurs pratiques culturelles (achat de livres, sorties au cinéma, au théâtre, visites d'expositions... ) sont plus développées que celles des Parisiens en général, de même qu'ils sont plus nombreux à fréquenter d'autres types de bibliothèques (BPI, BU notamment) : c'est le cas de 70 % d'entre eux, contre 44 % des non-utilisateurs des BM parisiennes. Ainsi la relative abondance de l'offre culturelle parisienne ne semble pas placer les multiples services culturels et documentaires de la capitale en situation de concurrence, mais bien plutôt dans un rapport de complémentarité.

Les documents les plus empruntés

L'imprimé garde la vedette : 96 % des personnes interrogées disent venir à la bibliothèque « pour les livres » alors que, par ailleurs, 20 % d'entre elles déclarent venir « pour les disques, les cassettes » (usagers actifs de la section discothèque). Ainsi, la grande majorité du public des discothèques fréquente également la bibliothèque, contrairement à l'idée largement répandue d'un cloisonnement entre les deux sections. Les ouvrages documentaires (86 %) et les romans (77 %) viennent largement en tête des documents empruntés, mais les revues et les bandes dessinées intéressent, les unes comme les autres, 30% des usagers. A noter également une forte demande de la part du public interrogé « pour des livres plus spécialisés, plus techniques, scientifiques ».

Des équipements de quartier

L'enquête a permis d'établir la durée moyenne du trajet d'un usager pour se rendre à la bibliothèque: 12 minutes (65% mettent moins de 10 minutes). Cette donnée confirme les résultats de l'étude préalable au schéma directeur d'implantation de 1975, qui assimilait la zone d'influence des bibliothèques de prêt de la ville de Paris à un cercle d'un rayon de 800 mètres. Ce facteur de proximité est apparemment le même quelle que soit la taille de l'établissement. Par ailleurs, la fréquence des visites, hebdomadaires en moyenne, s'inscrit également dans une logique de « vie de quartier ».

Les pratiques de fréquentation des sections discothèques semblent toutefois s'écarter de cette règle, si l'on en juge par le taux élevé de multi-inscriptions constaté parmi les emprunteurs de phonogrammes : 46 % d'entre eux sont inscrits dans plusieurs discothèques à la fois, ce qui dénote une certaine mobilité. Plusieurs explications peuvent être avancées : la nature des documents sonores, la composition du public (jeune, masculin), le système d'abonnement proposé (cotisation forfaitaire valable pour l'ensemble des établissements du réseau)...

La lecture sur place

Mal évaluée jusqu'à présent, cette pratique s'avère néanmoins fort importante: 62% des usagers en moyenne déclarent y avoir recours (sans que ce soit exclusif de l'emprunt, bien entendu), avec des pointes à 80% dans les bibliothèques situées dans les quartiers de bureaux. Sont principalement consultés les revues et les journaux, les ouvrages de référence, les documentaires (domaines les plus prisés: l'art et l'histoire, puis les sciences et techniques, l'économie, enfin la vie pratique, le tourisme et le sport), les bandes dessinées.

Vision de la bibliothèque

Un consensus se dégage, entre les deux groupes interrogés, sur deux notions : la bibiothèque est un lieu de détente et de calme dans la ville, et elle « met vraiment la culture à portée de tous ». Le principe de gratuité du prêt des livres, essentiel pour les usagers, est justement le mieux connu des non-usagers, qui s'estiment par ailleurs mal informés sur les bibliothèques pour 80 % d'entre eux (ainsi 73 % ignorent que le prêt des disques compacts se pratique dans les bibliothèques).

Par contre, sur d'autres points, les opinions apparaissent diamétralement opposées. Les utilisateurs apprécient le grand choix de livres alors que les non-utilisateurs allèguent le manque de choix pour ne pas venir ; si la proximité est déterminante pour les utilisateurs, 60 % des non-utilisateurs estiment que les bibliothèques sont trop loin de leur domicile ou de leur travail ou mal indiquées, difficiles à trouver, avec des horaires d'ouverture peu pratiques. Le facteur « temps » est d'ailleurs de loin le plus souvent cité spontanément (51 %) dans les motifs de non-fréquentation, devant la préférence pour l'achat des livres ou des disques (30 %) et le manque d'intérêt pour la lecture (18%).

Impact de nouveaux services

Les préférences des deux groupes sondés convergent nettement sur les mêmes types de services : possibilités offertes par l'informatisation (catalogue collectif, prêt interbibliothèques), prêt de cassettes vidéo, prêt de méthodes de langues, mise à disposition du Minitel, interrogation de banques de données.

Globalement, l'intérêt s'avère très élevé pour les nouveaux services de prêt, à condition toutefois que leur paiement éventuel se rapproche davantage de 200 F que de 400 F par an.

En ce qui concerne l'élargissement des horaires, sur lequel seuls les usagers étaient interrogés, 6 personnes sur 10 accueilleraient favorablement une ouverture plus tardive le soir, et près d'une personne sur deux l'ouverture des établissements le lundi.

Le public potentiel

L'enquête a permis de définir plusieurs catégories de non-utilisateurs, susceptibles de prendre un jour le chemin des bibliothèques : 64 % des sondés sont dans ce cas. Ils comprennent notamment des intellectuels, des « cadres pressés » et aussi une vaste majorité silencieuse très composite, assez tiède à l'égard des bibliothèques, mais que l'on pourrait convaincre en « dynamisant » sa perception des services offerts.

Un public plus large peut ainsi être gagné aux bibliothèques municipales parisiennes, tant par le développement de l'information externe (surtout à l'échelle locale) que par le biais des nouveaux services et aménagements évoqués.