Les étudiants, les livres et les photocopies

Martine Poulain

On sait que des évolutions sont en cours en matière de réglementation concernant la redevance que souhaitent voir instaurer les éditeurs sur les photocopies, effectuées par les particuliers ou les institutions, de leurs ouvrages. De telles questions rendent nécessaire de mesurer le poids et la nature des photocopies faites par exemple dans les bibliothèques. Elles permettent aussi de reposer et de repenser les relations entre achat, emprunt en bibliothèque, consultation et reproduction, continent méconnu, notamment quand on s'interroge sur les pratiques documentaires des étudiants.

Les entrées et les fonds

Une enquête récente en autorise une première approche. Issue d'une commande de la Sous-direction des bibliothèques au ministère de l'Education nationale à la société Infratest 1, cette étude a comporté plusieurs phases qui n'avaient pas seulement pour but la mesure des choses, mais aussi leur mise en perspective avec leur univers d'environnement.

Cette enquête revient d'abord sur un certain nombre de caractéristiques concernant l'offre documentaire des bibliothèques universitaires elles-mêmes. Les données concernant ces premières caractéristiques ont été recueillies auprès de la quasi-totalité des bibliothèques universitaires et de leurs sections, soit cent soixante-neuf. 61 % de ces sections possèdent moins de 50 000 livres ; mais les variations de l'importance des fonds selon les spécialités diciplinaires sont, on le sait, importantes : 74,5 % des bibliothèques spécialisées en droit, lettres, économie possèdent plus de 50 000 livres, alors que c'est le cas de seulement 23,6% des bibliothèques consacrées aux sciences et de 10,6 % des bibliothèques de médecine ou de pharmacie.

Le nombre d'entrées annuelles serait, sur la base des réponses de 141 bibliothèques (les 28 autres ne faisant aucune statistique de fréquentation), le suivant:
- moins de 10 000 entrées : 17 bibliothèques
- de 10 000 à 49 999 entrées : 33 bibliothèques
- de 50 000 à 199 999 entrées : 60 bibliothèques
- 200 000 et plus : 31 bibliothèques.

Les étudiants

L'enquête a aussi cherché à mieux cerner les attitudes et opinions des étudiants face à leurs bibliothèques. On a eu recours pour ce faire à cinquante interviews d'étudiants fréquentant effectivement les bibliothèques, petit échantillon donc,qui conduit à regarder les résultats avec prudence, et qui indiquent plutôt des tendances qu'une tentative de mesure incontestable.

Ces étudiants usagers de leurs bibliothèques universitaires déclarent la fréquenter très souvent pour 43% d'entre eux et régulièrement pour 37,5 % d'entre eux. Ils estiment y passer à chaque fois d'une à deux heures pour 33,3 % d'entre eux et plus de deux heures pour 53 %.

Ils ont de multiples motifs de fréquentation, qui bien souvent se cumulent : la consultation certes (68,5 %), le recours à un lieu de travail (56,8 %), le besoin de faire des photocopies (50,9%), le désir d'emprunter des documents (49 %), la demande de renseignements aux bibliothécaires (15,6 %).

Les habitués apprécient particulièrement dans leurs bibliothèques : le fonds documentaire (50 %), l'atmosphère, le climat (25,6 %), son emplacement (13,5%). La plupart d'entre eux fréquentent aussi d'autres bibliothèques : au premier chef, une bibliothèque municipale (40,1 %), une bibliothèque d'UFR 2 (22,7 %), des bibliothèques spécialisées (20,4%), la BPI ou encore la BN 3 (respectivement 16 et 6,5%).

Ces étudiants se disent plutôt satisfaits de leur bibliothèque universitaire. Leurs attentes iraient vers une amélioration de l'emprunt de documents: ils souhaitent que les bibliothèques offrent plus d'ouvrages au prêt, que celui-ci soit consenti sur une plus longue durée, et pour un plus grande nombre d'ouvrages à la fois. Ils souhaiteraient également découvrir en bibliothèque davantage d'ouvrages « difficiles à trouver », et enfin que la photocopie soit moins chère.

Ils demandent aussi aux éditeurs de leur consentir des tarifs spéciaux, en inventant des systèmes proches des « cartes jeunes », d'éditer des ouvrages plus liés à leurs programmes, de s'informer de leurs besoins, de présenter leurs nouveautés à eux-mêmes et aux bibliothécaires, et manifestent dans l'ensemble un besoin d'information supplémentaire quant aux propositions éditoriales.

Rappelons qu'il convient de prendre ces conclusions, et surtout les pourcentages, avec la prudence qu'impose le petit nombre d'entretiens effectués.

Et les photocopies ?

Les nombreuses photocopies effectuées dans les bibliothèques universitaires sont faites à partir des types d'imprimés suivants :
- revues : 38,5 %
- cours manuscrits : 28 %
- livres : 23,3 %
- cours polycopiés : 5,6 %
- autres : 4,6%

Les étudiants forment l'essentiel du bataillon des photocopieurs : 93 % des photocopies sont faites par eux, à leur initiative et pour leur usage privé.

Les principales raisons qui motivent les photocopies de livres sont :
- le manque d'intérêt pour l'ensemble des documents (41.5 %),
- l'impossibilité de les emprunter (18,8 %),
- la commodité personnelle (14,8 %),
- le prix trop élevé des documents (13,6 %),
- les documents épuisés (10,6%).

Les photocopies de revues sont effectuées pour des raisons proches, mais on souligne plus volontiers le manque d'intérêt pour l'ensemble du document.

Les documents originaux relèvent des disciplines suivantes :
- les sciences humaines (33%),
- la médecine (24 %),
- les sciences exactes (21 %),
- le droit et l'économie (20,5%).

Ces répartitions par discipline sont assez différentes selon que l'on envisage successivement les photocopies issues de livres, de revues ou de cours. Pour les livres, les sciences humaines viennent en tête. Pour les revues, ce sont le droit et l'économie qui sont le plus souvent photocopiés. Et c'est, de très loin, en médecine qu'on photocopie le plus souvent de cours polycopiés.

La plupart de ces photocopies sont effectuées à partir de documents en langue française, mais, notamment pour les revues, les productions anglo-américaines ne sont pas rares (43 % des photocopies issues de revues).

Bien entendu, et cette dimension serait à explorer davantage, les types de photocopies varient selon le niveau de scolarisation de l'étudiant : les premiers et deuxièmes cycles sont plus nombreux à photocopier des cours manuscrits, pendant que leurs aînés ont davantage besoin des revues et des livres.

Aride, mais utile, cette enquête devrait être complétée par un même type d'investigation, fait cette fois dans les bibliothèques municipales et offrir ainsi un panorama complet des motifs et modes du recours à la photocopie dans les bibliothèques.

  1. (retour)↑  Enquête effectuée par la société Infratest France, dont le rapport a été remis en novembre 1989.
  2. (retour)↑  UFR : Unité de formation et de recherche.
  3. (retour)↑  BPI : Bibliothèque publique d'information, BN : Bibliothèque nationale. On comprendra les raisons de la présence forte de ces deux établissements parisiens quand on saura que trente entretiens ont été effectués à Paris et vingt en province.