Accueil des non et mal-voyants dans les bibliothèques

Marie-Cécile Robin

La conscience universelle, exprimée en résolutions et textes de loi exige l'accessibilité à l'information pour tout être humain. Les associations ont longtemps assuré, seules, l'accès des déficients visuels à l'écrit et s'organisent désormais pour rendre plus efficace l'utilisation de leurs documents adaptés. L'émergence d'une prise de conscience généralisée dans la profession, les progrès des nouvelles technologies créent les conditions favorables à l'ouverture généralisée des bibliothèques aux handicapés et son organisation à niveau national et international. La politique des pays étrangers qui incluent l'accès aux documents par les handicapés dans l'ensemble de leur politique documentaire, à l'intérieur du réseau global de bibliothèques et par ses agents qualifiés, peut nous servir de stimulant pour élaborer des projets qui prennent en compte le contexte français.

Universal free access to information is a basic freedom and a moral concern. in the past, the blind's associations have alone managed this free access to the written works. Now, they intend to organize their means for a more efficient service. The French librarians new care for the blind readers, the new technologies create good conditions to open all libraries to handicapped people and to examine this national and global issue. In the US and Swedish libraries, the general free access to information policy takes handicapped people into account inside one national network with qualified agents. This is a kind of pattern for us which is to adjust to French landscape.

Les progrès humains et matériels des dernières décennies ont rendu, par comparaison, plus insoutenable l'écart des possibilités de réalisation offertes aux handicapés et les moyens dont, à l'ordinaire, tout un chacun peut jouir pour élaborer sa créativité professionnelle et personnelle.

Les initiatives des handicapés et de leurs associations pour favoriser leur engagement dans le tissu des activités sociales ont été relayées par la puissance publique, qui a structuré sa propre volonté d'action, d'abord en termes de lois sur l'insertion des non-voyants dans le domaine du reclassement professionnel, en 1975 et juillet 1987, puis par la création d'un Secrétariat d'Etat aux handicapés et grands accidentés de la vie.

La communauté internationale avait elle-même élaboré, par le biais des Nations Unies en 1975, une « déclaration des droits des personnes handicapées ». Le ministère de la Culture n'est pas resté étranger à ce mouvement et vient de créer un Secrétariat permanent pour la culture accessible, qui fournira aux associations et municipalités toute information technique nécessaire. Les bibliothécaires, pour leur part, frappés par le handicap qui paraît majeur au regard de la lecture, la cécité, n'ont pas attendu les dispositions officielles pour imaginer des accès à la lecture et au travail en bibliothèque pour une population qui comprend un aveugle pour mille habitants environ et cinq fois plus de mal-voyants. La confrontation des expériences françaises et étrangères nous permettra de dégager les lignes de force des programmes réalisés ces dernières années et de mettre en perspective des chemins pour l'avenir, tant dans le domaine juridique qu'institutionnel et professionnel pour que les non et mal-voyants aient pleinement droit de cité dans nos bibliothèques et que le droit à l'information de tout citoyen puisse y trouver une réalisation plus efficace.

Les associations

En France, le secteur associatif a longtemps porté seul, au moins pour ce qui est des adultes, le souci et la réalisation des possibilités de lecture des aveugles en mettant à leur disposition des bibliothèques de documents en éditions dites « adaptées » : braille et documents sonores. Les livres en « gros caractères » nécessaires aux mal-voyants y sont, à ma connaissance, peu représentés. Un grand nombre d'associations ont mis à la disposition de leurs membres des fonds de ces documents adaptés, créant ainsi variété et richesse, alliées à une pratique de proximité du lecteur.

Mais ce mouvement en ordre dispersé n'est pas sans danger. Il en résulte un éparpillement d'actions qui peuvent se révéler concurrentes et présenter des réponses lacunaires aux besoins des usagers. Les rapports que les bibliothécaires ont avec les associations sont, en général, des plus cordiaux, mais le dialogue ne peut pas toujours être poussé aussi loin que voulu faute d'interlocuteurs ayant reçu la même formation.

Actuellement, un gros effort d'organisation tend à structurer les gisements de lecture recelés par les associations pour en rendre l'accès plus efficace à l'utilisateur. L'AGATE, Agence nationale pour les aides techniques et l'édition adaptée pour les personnes déficientes visuelles, a été financée par plusieurs ministères pour créer une base de données qui comprend les titres, le mode d'adaptation, les adresses des livres répertoriés, disponibles ou en cours de transcription. On peut aussi voir certaines technologies à son siège et demander adresses et information dans ce domaine. L'AGATE participe de très près aux travaux induits par la commission spécialisée de la Bibliothèque de France.

L'association Valentin Hauy, qui gère la plus importante bibliothèque braille francophone, informatise son catalogue dont les notices en braille sont transcrites en langage machine, en code ASCII sous micro-Dos. Son catalogue pourra ainsi s'imprimer facilement et aussi en impression courante.

Tout déficient visuel pourra commander un repérage et un envoi de document adapté par son minitel, grâce à un système de serveur vocal. Une voix de synthèse répondra à la voix du locuteur demandeur, suivant le système des machines parlantes.

Dans le secteur public, l'intérêt porté aux problèmes de lecture liés au handicap s'est développé dans le mouvement plus général d'intérêt pour les publics dits spécifiques et pour une plus grande proximité de tout lecteur.

Les bibliothèques

Les créations de services ont d'abord été soumises aux circonstances locales. L'offre de service de bénévoles à la bibliothèque municipale d'Antony ou celle d'un club service à celle de Caen leur ont offert l'occasion et la force d'ouvrir leurs portes aux déficients visuels. Un voyage aux Etats-Unis du directeur de la Bibliothèque publique d'information (BPI) lui a permis de mesurer le retard français en ce domaine, etc.

On assiste désormais à une prise de conscience généralisée qui se répand comme un feu de paille et qui fait que l'on n'imagine plus, désormais, de construire une nouvelle structure sans penser aux handicapés. La Cité des sciences avait, dès le départ, conçu une Charte des handicapés, même si la réalisation de la salle Louis Braille ne s'est faite qu'ensuite. La bibliothèque municipale de Bordeaux a élaboré son projet de salle Borgès et formé son personnel en même temps que la conception générale de sa nouvelle médiathèque. Les bibliothèques municipales de Poitiers et Chambéry en feront autant et l'on peut multiplier les exemples locaux, sans parler de la Bibliothèque de France qui a réuni une commission spécialisée dont elle espère que les compétences serviront des projets globaux et seront réutilisables ailleurs.

Les bibliothèques universitaires ne sont pas en reste. Les bibliothèques universitaires de Nanterre et de Jussieu dirigent des missions handicap vivantes, les bibliothèques universitaires de Saint-Etienne et de Toulouse se sont équipées pour rendre les mêmes services et les bibliothèques universitaires de Brest et d'Aix-Marseille s'apprêtent à en faire autant.

Le Conseil supérieur des bibliothèques veille de près sur ces initiatives qu'il encourage en profondeur.

La physionomie des services créés dépend beaucoup des moyens de lecture qui étaient ceux des non et mal-voyants à l'époque où ils se sont ouverts.

Les bibliothèques municipales de Toulouse et d'Antony ont non seulement réuni un fonds d'ouvrages en braille pour leur propre public, mais s'efforcent de satisfaire les demandes ponctuelles des autres bibliothèques en transcription de braille.

La bibliothèque municipale de Caen a créé un fonds de 8 000 documents sonores qui rayonne sur toute la région de Basse-Normandie grâce à 15 bibliothèques relais et une organisation remarquable. Elle sert de bibliothèque sonore de référence pour nos collègues.

Les exemples de Saint-Brieuc, Laval, Mulhouse entre autres, sont aussi significatifs de ce mouvement qui coopère avec l'Association des donneurs de voix, sur le plan des documents, mais aussi des locaux qui les abritent.

La diffusion dans le public de ce support simple de manipulation et bon marché qu'est l'audio-cassette a permis le développement de nombreux fonds de ce type qui sont désormais beaucoup plus répandus dans les bibliothèques que les fonds de braille.

Le souci, encore rare, de transcrire les documents pour les mal-voyants est plus spécialement porté par la bibliothèque municipale de Dijon qui a fait une étude approfondie des caractéristiques nécessaires aux gros caractères pour qu'ils soient vraiment utiles aux lecteurs dont la vue a beaucoup baissé à cause de l'âge ou de la maladie.

La Bibliothèque publique d'information

Le service de la BPI est né à une époque charnière où se développaient les moyens traditionnels de lecture des aveugles et où l'on commençait à entrevoir, grâce, en grande partie, aux expériences étrangères, les services que pourraient rendre les nouvelles technologies. La BPI s'est sentie appelée à varier les moyens tant humains, traditionnels, que technologiques, mis au service du travail en bibliothèque des déficients visuels par une action globale qui vise à leur rendre accessibles tous les fonds et toutes les activités de cette médiathèque.

D'autre part, la BPI est dans une situation particulière vis-à-vis du document, puisqu'elle ne le prête pas. Les lecteurs doivent donc absolument venir sur place. Rejetant toute idée de constituer un fonds de livres en braille faute de place et par crainte de doubler inutilement les grandes bibliothèques braille parisiennes, rejetant également l'idée de constituer une cassettothèque particulière à cause de la trop grande difficulté à obtenir les droits, elle a organisé une aide humaine spécifique au travail en bibliothèque des non et mal-voyants.

Elle a recruté et formé de nombreux guides volontaires qui aident à la recherche bibliographique et à la prise de notes et lisent à haute voix. Des moyens classiques de prise de notes ont été mis à la disposition des aveugles : magnétophones, machine à écrire le braille. Les textes écrits en langues étrangères, de la médiathèque de langues en particulier, sont lus par des bénévoles parlant cette langue. De grands écrivains viennent lire leurs textes et dialoguer avec les aveugles.

C'est aussi des besoins des mal-voyants en textes lus qu'est né le principe d'enregistrement d'oeuvres littéraires par des comédiens : une collaboration avec l'Institut national des jeunes aveugles et l'éditeur Olivier Four a permis l'édition d'Adolphe de Benjamin Constant, avant que cette collection ne se développe sous la forme « Un texte, une voix ».

Aide de l'informatique

Puis de nouvelles technologies sont arrivées grâce à l'apport de la Fondation de France, non pour se substituer aux premières dispositions, mais pour les compléter et ouvrir une brèche dans le futur : une loupe électronique pour les mal-voyants, une machine à lire pour les aveugles, l'interrogation orale du catalogue sur le CD-ROM Lise, un micro-ordinateur émulé en Minitel, la possibilité de prendre des notes sur disquette informatique. Des ingénieurs bénévoles aident au maniement des machines. La plupart de ces services se rendent dans une salle à laquelle J.L. Borgès a bien voulu donner son nom et qui est devenue infiniment trop petite pour le nombre d'aveugles attirés par la diversité des services rendus et la position géographique du Centre Pompidou.

La médiathèque de La Villette a structuré très rationnellement ses services autour des technologies les plus récentes: vidéoscope grossissant pour les mal-voyants, machines à lire pour les aveugles, prise de notes sur disquette informatique, interrogation orale du Minitel et du catalogue en ligne, imprimante braille. La nouvelle médiathèque de Bordeaux fait de même.

La Bibliothèque de France profitera de toutes les expériences françaises et étrangères qui auront encore fait un bond en avant quand elle ouvrira. Si l'accès aux outils informatiques par les non et mal-voyants se fait grâce à des éléments devenus relativement simples : scanners pour la reconnaissance optique des caractères, voix de synthèse et terminaux braille pour les écrans, émulation des micro-ordinateurs en Minitel, leur interaction n'est pas toujours sans faille ni leur maniement non plus. Ils demandent et demanderont sans doute encore longtemps apprentissage et aide humaine. Ils doivent chercher à associer la richesse de la convivialité et des fonctions. Bien que l'efficacité, des machines à lire par exemple, croisse alors que leur prix décroît de façon impressionnante, aucune d'elles ne permet encore une autonomie complète.

Les aveugles ont cependant le droit de les connaître et nous avons le devoir d'encourager leur développement. Nos collègues doivent donc se demander, en fonction de la politique propre de leur bibliothèque et des collectivités locales dont elles dépendent, s'ils doivent et peuvent acquérir ces machines pour leur permettre de progresser en fonction des expérimentations et observations faites sur le terrain. Dans tous les cas, il faut demander des expérimentations faites par des aveugles. En dernier ressort, c'est l'usager qui peut et qui doit juger de l'ergonomie.

La physionomie des services dépend, non seulement des moyens mis en oeuvre, mais aussi des personnalités qui les ont créés et ceci d'autant plus qu'en l'absence de formation initiale ou permanente en la matière, elles ont dû chercher elles-mêmes les moyens intellectuels et pratiques de leur action. Leur petit nombre fait qu'elles se repèrent vite et échangent volontiers leurs expériences. Elles puisent aussi leurs sources auprès des aveugles eux-mêmes, de leurs associations, de l'AGATE, de l'IFLA (International federation of library associations and institutions) et des expériences étrangères, des chercheurs et des fabricants de matériel, et de la veille technologique qu'elles peuvent faire. Plus récemment, le congrès de l'IFLA en 1989 et la réunion de la commission spécialisée de la Bibliothèque de France ont permis à plusieurs bibliothécaires et à des professionnels du handicap d'échanger leurs informations, et au Conseil supérieur des bibliothèques d'engranger moult réflexions et documentation, bases de projets futurs.

Le travail est immense tant sur le plan de la conception que sur celui des applications quotidiennes. Pratiquement toutes les bibliothèques font appel à des bénévoles, pour la production de documents, Antony pour le braille, Caen pour le sonore, ou pour la lecture et le travail en bibliothèque, le maniement des nouvelles technologies et la recherche, comme à la BPI et bientôt à la bibliothèque municipale de Bordeaux. Les bibliothèques procurent une solide formation à leurs bénévoles.

La médiathèque de La Villette a choisi de faire un remarquable effort pour motiver et former une équipe de permanents qui travaillent, à tour de rôle et à temps partiel, avec les aveugles. Elle a, de plus, recours aux avis d'un titulaire aveugle du service d'animation de la Cité des Sciences.

Les bibliothèques municipales de Caen et de Bordeaux recrutent des mal-voyants pour leur service et la BPI a accueilli des stagiaires aveugles. Malheureusement, ces exemples d'intégration des déficients visuels au travail des bibliothécaires sont encore trop rares.

Les bibliothèques qui fabriquent et distribuent des documents en édition adaptée sont toutes gênées par les problèmes de droit d'auteur. Les autorisations de transcription sont obtenues au coup par coup, pour un petit nombre d'exemplaires par titre, ce qui oblige à les refaire souvent et les soustrait au dépôt légal. Lorsqu'un éditeur a donné à une association la permission de transcrire un certain nombre de titres, elle en a l'exclusivité, bloquant ainsi les possibilités des autres, quand bien même elle met plusieurs mois à transcrire les titres obtenus. Aucune obligation n'est faite aux éditeurs de céder les droits. Dans tous les cas, la documentation ne peut servir qu'aux handicapés visuels, à l'exclusion des autres handicaps. Nul ne doute que l'esprit français ne trouve des « combines », astuces personnelles pour obtenir le document recherché, mais cette voie ne règle en rien le problème.

Toutes les bibliothèques sont confrontées au manque de place disponible ou adaptable quand elles veulent créer des espaces où aveugles et voyants puissent trouver lumière, silence, isolation complète des cloisons, etc., pour y travailler convenablement ensemble. Les plus belles réalisations viennent de la médiathèque de La Villette et de la bibliothèque municipale de Bordeaux qui ont prévu, dès la conception de l'ouvrage, de réserver et d'aménager rationnellement un espace à cet effet.

Hors de nos frontières

A l'étranger, au moins dans quelques pays qui ont étudié les chemins d'accès de la lecture des handicapés visuels avant nous, la situation est évidemment quelque peu différente.

Au Canada, aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves par exemple, l'Etat a inclus la lecture des déficients visuels et de tous ceux qui souffrent d'une déficience physique passagère ou permanente dans sa politique globale de développement des bibliothèques pour toute la population.

A Washington, la Bibliothèque nationale pour les aveugles et les handicapés physiques fait partie intégrante de la Bibliothèque du Congrès, étend son action sur l'ensemble des états, où les bibliothèques régionales lui servent de relais. Elle permet de créer une synergie entre les actions des bibliothèques publiques, des associations, des producteurs de documents adaptés, à l'échelon national.

A Stockholm, la Talking books and Braille library (TPB) est une bibliothèque, parmi d'autres, du réseau national qui distribue à toutes les bibliothèques publiques et d'hôpitaux les documents que des lecteurs handicapés sont venus y chercher. Sa politique est de favoriser la proximité du document et du lecteur qui vient le demander dans la bibliothèque publique la plus proche de son domicile, en s'appuyant sur des services bibliographiques et techniques centralisés.

Ces deux dernières bibliothèques sont dirigées par des conservateurs qui y font une partie seulement de leur carrière. A la TPB de Stockholm, parmi les 70 membres du personnel, 20 sortent de l'Ecole nationale supérieure des bibliothécaires de Suède. Plusieurs handicapés sensoriels et moteurs qui sont des professionnels de différents niveaux y travaillent.

Aux Etats-Unis, pour les documents sonores qui posent évidemment beaucoup plus de problèmes, une solution originale a été trouvée par les bibliothécaires eux-mêmes pour préserver à la fois les droits de l'éditeur et ceux de l'auteur - qui ne peuvent s'opposer, de par la loi, à ce que leurs ouvrages soient transcrits - et ceux du lecteur handicapé - qui a un droit absolu et reconnu à l'information. Les textes sont transcrits sur des bandes à 4 pistes qui ne peuvent être utilisées que sur des magnétophones spéciaux, donnés uniquement aux handicapés justifiant qu'ils en ont besoin. Cet astucieux système présente, malgré tout, le défaut d'empêcher les échanges avec l'étranger.

En Suède, où la loi est tout aussi favorable à la transcription, les documents sonores, dont les droits ont été obtenus pour les handicapés, sont expédiés et présentés dans les rayonnages sous des emboîtages de couleur qui ne peuvent être mêlés au reste de la cassettothèque destinée à tout public.

Dans les deux cas, la qualité de l'enregistrement réalisé par des professionnels répond à des normes bien précises. Il est d'autant plus dommage que la richesse du fonds ainsi constitué ne puisse servir à tous.

L'abondance des documents adaptés n'empêche pas la recherche des possiblités offertes par les nouvelles technologies. La bibliothèque américaine pour les handicapés y consacre tout un département dirigé par des ingénieurs qui évaluent les différents systèmes et en transmettent les informations aux bibliothèques qui sont ainsi beaucoup mieux armées pour effectuer des achats pertinents. La TPB de Stockholm étudie actuellement les possibilités des CD-ROM.

Comme rien ne saurait être parfait, on peut regretter que ces bibliothèques centrales ne jouxtent pas une bibliothèque ordinaire active. Il ne semble pas qu'elles aient de salle de lecture pour les handicapés ni qu'elles organisent d'animation. Or, malgré tout, un mode de lecture différent entraîne un rapport au texte différent et les progrès d'une bibliothèque naissent de la confrontation quotidienne avec ses lecteurs.

A Stockholm, les bibliothèques universitaires et de recherche se déchargent des problèmes des aveugles sur cet organisme unique, si bien que les étudiants handicapés et les chercheurs doivent se trouver mis à part du circuit documentaire ordinaire.

L'éloignement géographique de ces centres du coeur de la cité les rend plus inaccessibles à des personnes qui ont déjà du mal à se déplacer. La TPB de Stockholm est installée dans un immeuble sans grâce qui abrite plusieurs autres services pour les aveugles. Ce regroupement, pour pratique qu'il soit sans doute, a pour désavantage de sembler lier la culture des handicapés, non pas aux autres services culturels, mais aux affaires dites sociales en général.

S'il paraît que la bibliothèque américaine fuit la beauté, l'intérieur de la TPB de Stockholm reflète, quant à elle, dans son ensemble comme dans ses détails, un grand souci d'esthétique, essentielle aussi bien aux handicapés qu'aux personnes qui travaillent avec eux.

Le nombre des non et mal-voyants est sensiblement le même dans tous les pays dits développés et leurs préoccupations semblables. La section des bibliothèques pour aveugles de l'IFLA fait un travail en profondeur pour permettre des échanges de documents et créer des normes qui le permettent. Elle commence à s'intéresser aussi aux pays en voie de développement et organise, en ce sens, un séminaire d'étude à Tokyo.

Le futur

Les réalisations peuvent être une source d'inspiration, elles ne doivent pas être notre unique référence. Nous devons tenir compte du contexte national pour engager des actions qui comblent les déficits d'accès des déficients visuels à l'information et aux moyens de culture.

Comment pouvons-nous progresser dans le respect de leurs droits ? De quoi ont besoin les aveugles ? De tout document quel qu'il soit, et rapidement. Pour qu'ils puissent bénéficier de tout document, il faudrait qu'une loi, comme c'est le cas aux Etats-Unis, exige la non-discrimination de l'accès à l'information.

Comment les non et les mal-voyants peuvent-ils savoir rapidement si un document est disponible dans l'édition adaptée qu'ils souhaitent ? Principalement, comme nous l'avons vu, en consultant la base AGATE et l'association Valentin Hauy. Ils peuvent ensuite obtenir le document avec des délais plus ou moins longs qui tiennent souvent au fait qu'il n'y a pas assez d'exemplaires d'un même ouvrage.

Sinon, une procédure beaucoup plus longue de demande de transcription à l'éditeur doit être engagée qui n'aboutit pas toujours à une réponse positive ou aboutit, mais après un délai beaucoup trop important. On ne peut obliger un éditeur à céder ses droits, sans garantie.

Pourquoi, alors, ne pas lui demander de fournir l'oeuvre sous son édition adaptée ? En effet, il s'agit bien d'une nouvelle édition de la même oeuvre, dans un alphabet différent pour le braille, une impression vocale ou en relief. Chacune de ces formes a ses règles propres, des techniques et un mode de lecture particuliers qui supposent des apprentissages et un environnement spécifiques.

C'est précisément le travail d'un éditeur que de mettre une oeuvre en forme et de choisir les professionnels qui auront le savoir-faire adéquat. Des syndicats d'imprimeurs braille ou de documents sonores devraient pouvoir donner la liste de ceux, parmi leurs membres, qui respectent les règles d'une bonne édition de ce type.

Pour que l'acheteur - particulier, bibliothèque publique ou d'association - puisse se procurer le document au même prix que l'imprimé, le surcoût de la fabrication doit en être remboursé à l'éditeur par la solidarité nationale. Tous les aveugles que j'ai rencontrés sont d'accord pour payer les livres au même prix que les autres. L'éditeur garderait ainsi tous ses droits et l'usager tous les siens, comme celui d'acheter autant d'exemplaires qu'il le désire. Le fait que cette nouvelle édition soit vraiment reconnue comme telle aurait une autre conséquence heureuse au niveau bibliographique et dans le domaine des échanges internationaux.

Les bibliothécaires pourraient inscrire la mention de cette édition « adaptée » comme celle de toutes les autres éditions d'une même oeuvre dans la notice d'un même titre. Elle serait ainsi automatiquement répertoriée dans le Catalogue collectif national des publications en série. Ce qui m'amène à souhaiter que toutes les bibliographies nationales aient ce même souci de mentionner les différentes adaptations d'une même oeuvre, pour permettre des échanges internationaux, plus que nécessaires dans une communauté d'handicapés minoritaires dans chaque pays.

Faut-il une Bibliothèque nationale à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays ? Oui, à condition que ce soit une vraie bibliothèque insérée dans le réseau national, dirigée par des bibliothécaires du corps de l'Etat, dépendant des ministères de la Culture et de l'Education. Aurait-on l'idée de confier la lecture de n'importe quel autre public, celui des enfants par exemple, aux Affaires sociales?

Une telle bibliothèque devrait être couplée à un gisement national de documentation de type encyclopédique, c'est-à-dire à une bibliothèque ouverte au public, pour ne pas se couper de la pratique bibliothéconomique courante, et pouvoir réaliser des animations. Pour comprendre aussi que toute bibliothèque peut s'ouvrir aux aveugles sans donner à ces derniers l'impression d'avoir affaire à un organisme spécialisé - ce qu'ils n'apprécient guère, en général -, tout occupés qu'ils sont à rechercher une intégration.

Cette bibliothèque ne devrait faire aucune distinction de service entre le public étudiant et le public général. Elle devrait être en liaison avec toutes les bibliothèques du territoire et de la francophonie, quel que soit leur statut, tout handicapé devant pouvoir demander quelque service que ce soit à la bibliothèque publique ou universitaire la plus proche de son domicile.

Le fait qu'une telle bibliothèque, qui n'existe pas encore, arriverait à un moment où la documentation télédiffusée se répand - le réseau Numéris offre de plus en plus de possibilités, des journaux électroniques pour aveugles se mettent en place - devrait faire qu'elle soit plus légère que les bibliothèques déjà existantes à l'étranger. Il lui faudrait travailler étroitement avec des bases de données et de documentation comme celles de l'AGATE et de l'Association Valentin Hauy et prendre en compte les gisements de braille associatifs déjà existants qu'il serait injuste d'ignorer ou d'annexer.

Nombre d'expériences actuelles, malgré un côté contingent et dispersé, sont porteuses de fécondité et la synergie induite par les travaux de la Bibliothèque de France et la création du Conseil supérieur des bibliothèques devrait permettre un enrichissement mutuel. A l'opposé, une rigidité centralisatrice risquerait de trop limiter l'imagination et les initiatives créatrices.

Puisque les lois et les institutions ne sont rien sans les hommes, une formation professionnelle importante reste à faire. L'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires et la BPI ont organisé un séminaire et proposeront des sujets de diplôme sur ce sujet pour les futurs conservateurs, pépinière de futurs praticiens et enseignants. Un module spécifique sera ultérieurement inclus dans le cursus de la formation. L'ENSB étudie aussi la possibilité d'accueillir des élèves handicapés. Ne pourrait-elle pas accepter de former les responsables de bibliothèques braille déjà en place ?

Quelques centres de formation universitaires régionaux incluent déjà cette formation dans leur cursus, Le Mans par exemple. Médiadix de Nanterre cherche, comme l'ENSB, à transmettre la formation professionnelle à des handicapés. Les bibliothécaires en poste ont pu bénéficier de plusieurs colloques et journées d'études régionales, d'un stage organisé par la Direction du livre et de la lecture et, plus récemment, d'un stage d'une semaine conçu par la BPI, que, de l'avis général des participants et du Conseil supérieur des bibliothèques, il serait bon de renouveler.

Enfin, chaque établissement devrait dispenser à son personnel une formation initiale pour qu'il accueille tout handicapé comme tout autre lecteur avec le minimum de compétences requises sans s'étonner, outre mesure, des requêtes formulées. L'Association des bibliothécaires français, très sensibilisée par ce problème humain, entend faire des propositions et jouer un rôle de plateforme de rencontres en ce domaine.

De la déficience à l'efficience

A ceux qui craignent que le handicap ne coûte trop cher aux bibliothèques et à la société en général, je répondrai que la solution apportée aux problèmes posés par les différents handicaps et le courage de ceux qui y font face sont une valeur sociale et humaine ajoutée, au bénéfice de tous.

Rappelons aux Parisiens qu'ils connaissent la limite à ne pas dépasser devant les rames de métro grâce à la bande de sol bosselé posée initialement pour les aveugles. Il en est de même pour l'annonce sonore des stations de bus. Aux Etats-Unis, les malentendants ont été à l'origine du développement de la téléconférence. Si nous pouvons changer de chaîne de télévision sans nous déplacer, ou fermer sans y toucher les portes de nos voitures, c'est grâce aux handicapés moteurs qui ont inspiré, par ailleurs, aux villes de Lorient et Grenoble des moyens de rendre les transports plus sûrs. Nous pourrions multiplier les exemples.

La qualité d'une civilisation se mesure à l'attention qu'elle porte aux plus faibles. Sur le plan symbolique, la cécité permet de pénétrer plus avant dans l'épaisseur du mystère humain. Les ténèbres n'obscurcissent pas que les yeux. Puissent les bibliothèques être le lieu géométrique où les déficients visuels pourront trouver toutes lumières, eux qui peuvent nous en apporter tant.

Décembre 1990