Les bibliothèques au Maroc

par Anne-Marie Filiole

Latifa Benjelloun-Laroui

Paris : Maisonneuve et Larose, 1990. - XIV-413 p. ; 24 cm. - (Islam d'hier et d'aujourd'hui ; 34)
ISBN 2-7068-0967-1

Le côté mirage oriental et parchemin dans les dunes suggéré par un feuilletage superficiel ne résiste pas à la lecture du texte, car celui-ci, loin d'être une promenade dans les bibliothèques du Maroc, est en fait une nomenclature bibliographique, un précis de renseignements listés que hachent et découpent à l'extrème chapitres et sous-chapitres rédigés en style inventaire, descriptif ou narratif, dénué de tout esthétisme.

Un répertoire général des bibliothèques étant trop lourd à constituer, l'auteur a arrêté son choix aux bibliothèques traditionnelles anciennes (avec fonds de manuscrits et d'archives important), aux bibliothèques « générales » modernes ouvertes sous les protectorats français et espagnols, aux bibliothèques privées et aux bibliothèques de collectivités religieuses (zaouias). Pour les autres, elle intime aux chercheurs intéressés de poursuivre la tâche.

Des coffres scellés

L'ouvrage ouvre sur une série d'évocations royales. De 788 à 1912, des entrefilets de vies, d'écrits et d'anecdotes témoignent d'abord du goût des souverains marocains pour les livres. Un défilé de dynasties entières. Des lettrés, juristes, théologiens, mathématiciens qui s'entourent de poètes et de savants, font de la calligraphie et cherchent la copie rare en vue d'augmenter leur collection. Réseau d'information, de rédaction et de reproduction avant l'heure... Ces fervents bibliophiles qui, tous, possèdent une bibliothèque privée, alimentent parallèlement de leurs propres fonds les bibliothèques publiques qu'ils créent. Quelques beaux éclats d'histoire où se profile l'élite du pays, où Espagne et Maroc interfèrent constamment, où les bibliothèques s'attachent aux mosquées et aux médersas (collèges), où des trésors de documents, transmis de père en fils et jalousement gardés dans des coffres scellés, accompagnent les sultans dans leurs moindres déplacements - guerres y compris - et deviennent objet de négociation diplomatique.

Vient ensuite l'évocation des bibliothèques elles-mêmes, avec historique (construction et transformations diverses), description minutieuse des fonds (manuscrits, archives, imprimés, périodiques) et des catalogues (contenu, signalétique, index et anecdotes), énumération d'auteurs (vie et œuvres...), le tout sectionné à l'infini : «...Il. Le fonds...5. Les manuscrits... 2. Origine. a. les manuscrits donnés par... »

Le livre ajoute 300 à 400 notes par chapitre et 73 pages d'annexes - une énumération d'articles et d'inédits sur la culture marocaine possédés par les bibliothèques étrangères, un inventaire des Zaouias par province, la liste des auteurs et des titres déposés lors du concours du Prix Hassan II du meilleur manuscrit et document d'archives, une carte des zaouias, une bibliographie en six parties titrées -, engendrant elles-mêmes 188 notes.

La face sublime de Dieu

Malgré cette présentation un peu rude - et sans doute aussi grâce à cette même abondance de détails rangés -, l'ouvrage est une référence très précieuse pour les chercheurs épris de bibliophilie qui rêvent de pièces uniques ou rares. Pour les profanes toujours curieux d'émotions exotiques, il dévoile une culture où dansent l'arabe, le berbère et l'andalou, où scintillent des « ouvrages tracés sur peau de gazelle en écriture andalouse... », des corans luxueux, des manuscrits enluminés couleur et or, arabesque et entrelac, où passent les silhouettes du copiste et du relieur sur fonds de richesses insoupçonnées.

Savoir, royauté, religion sont omniprésents. L'inscription tracée en frontispice, au dessus de la porte d'entrée de la bibliothèque al Qarawiyyin (XIVe s.), à Fès, en est une preuve tangible : « ... le Prince des croyants al-Mawla Abu 'Inan » ... « a fondé cette bibliothèque bienfaisante multidisciplinaire, qui contient les livres dont il a fait don, pris dans son propre palais, livres qui traitent de tout ce dont il est nécessaire pour exalter et honorer les bontés divines. Abu 'Inan a constitué cette bibliothèque - que Dieu lui accorde la victoire - en a fait don en bien de mainmorte à tous les musulmans pour l'éternité. Il l'a créée pour encourager - que Dieu l'assiste - la quête de la science, ses manifestations, sa maîtrise, sa diffusion et aussi pour faciliter la tâche à celui qui désire étudier, copier, lire et collationner les ouvrages qu'elle contient » ... « Abu 'Inan a voulu ainsi (honorer) la face sublime de Dieu »... Dans cette même bibliothèque, où l'emprunt nécessitait : «... un véritable acte notarié »... « dressé par le cadi de Fès, lui-même directeur de l'Université al-Qarawiyyin, assisté de plusieurs notaires et de témoins assermentés, qui apposaient leur signature au bas de l'acte »..., les horaires du prêt s'étalaient entre la prière du matin et celle de l'après-midi...

Visions savoureuses qui allègent l'alignement de cet impitoyable guide, rêves d'espace le temps d'un livre enfermant bien d'autres livres, « chefs d'œuvre andalous, maghrébins, marocains et orientaux sortis de l'ombre »...