Maîtriser l'information critique

par Anne Curt

François Jakobiak

Paris : Les Editions d'organisation, 1988.- (Collection Systèmes d'information et de documentation).
ISBN 2-7081-0874-3

Les services d'information et de documentation d'aujourd'hui et de demain ne doivent plus fonctionner selon des schémas préétablis et des procédures normalisées sur lesquels ils assoient leur légitimité. Ils doivent déterminer quelle est l'information « critique », celle qui est vitale à l'organisme qu'ils servent.

Actuellement, tous les types de l'information et de la documentation tendent de plus en plus à se conjuguer entre eux, que ce soit l'information de forme textuelle, numérique, graphique, sonore, audiovisuelle, ou que l'information soit brute, c'est-à-dire primaire (documents), ou qu'elle soit élaborée, c'est-à-dire secondaire (indexation ou analyse, information référentielle des banques de données...).

La valeur ajoutée de l'information ne cesse de croître. C'est ainsi que chaque opération qui entre en jeu dans l'élaboration des produits documentaires peut être affectée d'un coefficient dix (banque de données référentielles avec catalogage et indexation ; revue de sommaires ; résumés-analyses des documents...). Certains traitements intellectuels, comme les traductions scientifiques, ou les analyses statistiques, ou les synthèses de documents complexes, ajoutent une valeur considérable à l'information en termes de coût.

Nouveauté au service de l'information, l'infoservice, selon François Jakobiak, répond à un besoin ponctuel d'information. Il détermine une offre d'information par le biais d'un abonnement sur profil par exemple. La veille technologique permet de surveiller un domaine précis et de servir des profils à la demande. Cependant, l'infoservice pourra aussi jouer le rôle de conseil en information documentaire afin de constituer des bases de données internes ou d'établir des cellules d'information et de documentation destinées à concevoir des outils d'aide à la décision (dossier d'information concernant un produit, un procédé, une application contenant des renseignement scientifiques, d'environnement et sécurité, techniques, technologiques, technico-économiques, juridiques et réglementaires).

La quête du Graal

ARIST, ANIST, INIST, CNRS, DBMIST, Enseignement supérieur et recherche, DIST, ministère de la Recherche, INPI, défilent en ronde de sigles barbares pour figurer les partenaires inévitables de l'information scientifique et technique, indispensables pour soutenir cette analyse des services de documentation et d'information et cette quête de l'information « critique ».

Si partenaires il y a, la quête du Graal n'en continue pas moins car le suspense reste entier... Comment déterminer l'information critique, la définir, la caractériser, l'isoler de l'information seulement utile, bien la différencier de l'information intéressante et encore plus de l'information « fatale », c'est-à-dire de l'information inutile ? Comment ne pas tomber dans le gouffre de la surinformation ? Jakobiak insiste sur l'inadéquation de l'information qui consiste à surinformer et par conséquent à sous-informer qualitativement en diffusant une trop grande quantité d'informations.

Il est nécessaire de procéder à l'analyse précise des besoins en information, d'estimer quelle est la part de l'information utile en la distinguant de l'information critique recherchée et en levant, autant que possible, par des paramètres objectifs non ambigus, la zone frontière floue qui les sépare. Cependant, plus on monte dans la hiérarchie des décideurs, plus les besoins de ceux-ci sont difficiles à définir (besoins mal exprimés, cachés par excès de méfiance, par soif du pouvoir). Il faut alors utiliser des moyens indirects pour atteindre une réelle estimation des besoins.

Elaborer une information critique constitue un véritable outil d'aide à la décision. La prise de décision repose, au stade le plus élevé, sur la planification stratégique selon certains processus et méthodologies éprouvés (schématisés ci-dessous).

La planification stratégique se décompose en cinq stades principaux :
- analyse et évolution de l'environnement (réunion de beaucoup d'information, banques de données et modèles macro-économiques) ;
- analyse des performances de l'entreprise et détermination des voies d'évolution (diagnostic stratégique, analyse de décision multicritère) ;
- définition des objectifs et des stratégies. Cette phase décisionnelle est capitale et définit quels doivent être les facteurs critiques de succès et l'information critique stratégique ;
- chiffrage des moyens et des résultats (systèmes interactifs d'aide à la décision qui reposent sur des calculs simples sur données matricielles que l'on peut obtenir à l'aide de tableurs) ;
- suivi de réalisation en utilisant les systèmes interactifs d'aide à la décision afin de réactualiser les objectifs de la phase 2.

Bruits de couloir

Processus et composantes de la prise de décision peuvent s'appuyer sur les techniques de la recherche opérationnelle ou de l'aide à la décision multicritère...

La première consiste en une « collection de techniques issues du champ des mathématiques destinées à représenter des situations ou un ou plusieurs acteurs ont à choisir une liste de décisions de facon à satisfaire au mieux un ou plusieurs critères tout en respectant un certain nombre de contraintes ». Ce sont, en quelque sorte des scénarios organisationnels.

La seconde méthode se méfie du concept d'optimisation de la recherche opérationnelle. On ne cherche pas à « résoudre un problème », mais on recherche des « solutions acceptables, réalistes », en tenant compte des contraintes et de la complexité de l'environnement.

Cette dernière méthode se décompose ainsi :
- déterminer ensemble les actions potentielles (inventaire des solutions possibles) ;
- établir la liste des critères à prendre en considération (par ordre d'importance associé à un coefficient) ;
- examiner chaque action potentielle en fonction de chaque critère (création d'une matrice : critère pondéré par colonne/action potentielle par ligne : jugement en intersection) ;
- faire une synthèse des jugements par l'agrégation et la réduction complète des différents critères en un critère unique, global en passant par des jugements transitifs, sorte de compromis acceptable.

Les systèmes d'aide à la décision reposent sur l'utilisation combinée de l'informatique et des systèmes experts (SIAD) : mise en place de bases de données stratégiques par interrogation de banques de données en ligne; mise en place d'outils d'alerte ; réalisation de simulations... (examen des conséquences chiffrées d'un choix...). Pour réaliser ces outils, il faut prendre en compte de nombreux éléments informels (information interne de vive voix, bruits de couloir, information extérieure...). L'utilisation de l'information ainsi constituée débouche sur des décisions techniques et des décisions politiques en ce qui concerne la gestion financière, logistique, les approvisionnements, les ressources humaines, la production...

Les meilleures sources d'information technologique sont souvent verbales (art d'exploiter dans les conditions locales et spécifiques les connaissances techniques et scientifiques générales).

Coordonnateurs de l'information

François Jakobiak cite les travaux de J.F. Rockart du Center for Information systems research, Sioan school of management, Massachusetts institute of technology, qui soulignent l'importance de critères non objectifs tels que la prudence, l'intuition, la connaissance. Rockart leur attribue un poids relatif. La décision est la conjonction d'une compétence et d'une information. Donc, c'est en déterminant les facteurs critiques de succès (critical success factors) que l'on va isoler l'information utile et, par conséquent, qu'on pourra la définir. Ces facteurs critiques de succès se définissent à tous les niveaux de la hiérarchie et à tout niveau opérationnel. La politique globale de l'organisme les ordonne en arborescence : facteurs critiques de succès globaux et généraux. Ils tiennent compte particulièrement de l'activité de l'organisme, précisent le domaine dans lequel il œuvre, fixent les objectifs et la stratégie de l'entreprise, reposent sur des estimations, des évaluations, varient dans le temps et doivent être constamment réactualisés, c'est-à-dire déterminés à nouveau, à quelque niveau de la hiérarchie que l'on se place.

L'information critique est celle qui est nécessaire à la réalisation des actions constituant les objectifs prioritaires que sont les facteurs critiques de succès (scientifiques, ou techniques, ou technologiques, économiques, commerciaux, financiers, sociaux, ou humains...). Pour une optimisation maximale et une meilleure efficacité des services d'information et de documentation, ceux-ci doivent s'appuyer sur les réseaux d'information existants, sur la coopération, la normalisation et l'informatisation.

Jakobiak traite ici des stratégies d'interrogation des banques de données avec l'organisation des réseaux de transmission, des serveurs et des banques de données nationaux et internationaux. Les subtilités d'interrogation des banques de données, particulièrement en chimie et sur les brevets, opérateurs booléens et de proximité, équipements et ordinogrammes d'interrogation sont étudiés avec rigueur. Le dossier d'information stratégique repose sur une information documentaire élaborée et coûteuse qui exige, pour sa préparation et son traitement, des équipes mixtes de spécialistes (ceux de l'information concernée et ceux de l'information documentaire).

La valeur de l'information, le moyen de satisfaire les différents types de besoins en information occupent la moitié du livre. François Jakobiak conclut sur la formation de ces spécialistes que sont les documentalistes, et les définit comme des « médiateurs, mais peut-être encore plus des coordonnateurs de l'information ». Il insiste sur le fait qu'ils ne doivent pas être les seuls détenteurs de l'information critique. S'ils participent activement à son élaboration, cette information stratégique est réservée au service de recherche et de développement ou aux services de direction.

Il cite les formations offertes par l'Institut national des techniques documentaires, l'Ecole nationale supérieure des bibliothécaires, les Instituts universitaires et techniques, les formations courtes des Agences régionales d'information scientifique et technique, oubliant superbement la formation à l'interrogation des banques de données dispensée par les Unités régionales de formation pour l'information scientifique et technique (URFIST) et le certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaires (CAFB) option documentation-bibliothèques spécialisées, diplôme professionnel national et trop souvent ignoré par certains documentalistes.

Au fil de la lecture et au fur et à mesure que l'on découvre ce qui caractérise l'information critique, on se dit que l'auteur a pris critique dans le sens de crucial, indispensable, important, dont on ne peut se passer, en un mot dans le sens anglais de « critical ». Le livre quelquefois maladroit pose cependant clairement le problème de l'information des entreprises.